Cafouillage sur l’euro edit

4 mai 2017

Un élément essentiel du programme économique du FN est la sortie de l’euro et de l’Union européenne. C’est parfaitement normal. L’essentiel des promesses électorales de Marine Le Pen sont incompatibles avec les traités européens. Sentant que ce n’est pas un thème porteur, elle a essayé de revenir en arrière, mais ses nouvelles propositions sont totalement confuses, reflétant sans doute une incompréhension totale de ce qu’est une monnaie. Il est vrai que ce n’est pas simple.

Disposer d’une monnaie forte, parce que l’inflation est faible, n’est pas donné à tout le monde. Pour y parvenir et s’y maintenir, il faut faire preuve de discipline tant sur la politique monétaire que sur le budget de l’État. Or le programme économique du Front national s’affranchit de ces contraintes, dites comptables avec quelque mépris, mais en fait purement économiques. Une politique monétaire indisciplinée se traduit tôt ou tard par de l’inflation. Dans la zone euro, cela se traduit par une perte de compétitivité, une chute des exportations et une hausse des importations, et donc par la récession et la montée du chômage. La raison est qu’il n’y a plus de taux de change national pour compenser la hausse des prix. Récupérer un taux de change pour pouvoir dévaluer la monnaie nationale est donc essentiel. Ça l’est d’autant plus que la perte de compétitivité serait aggravée par les promesses d’augmentation des salaires.

En matière budgétaire, ce n’est pas mieux. Augmenter les dépenses publiques, réduire les impôts (revenu, entreprises, héritages), distribuer des subventions à toutes les catégories d’électeurs (retraités, allocations familiales, agriculteurs, etc.), tout cela aboutit à creuser le déficit budgétaire. Or tout déficit doit être financé par des emprunts. Comme il est peu probable que les financiers, tant décriés par Le Pen, se précipiteront pour prêter, l’autre solution est d’obliger la Banque de France à boucher les trous. Or la Banque de France est indépendante, c’est une exigence de l’appartenance à la zone euro. Taxer les importations pour boucher les trous est interdit par les traités qui régissent l’Union Européenne (laquelle est, entre autres choses, une union douanière).

On voit bien que le programme de Le Pen est tout simplement impossible à mettre en œuvre au sein de la zone euro et de l’Union européenne. Rompre ces liens est donc parfaitement logique. C’est aussi illusoire, j’y reviendrai. Mais comme toutes les enquêtes d’opinion publique indiquent que les Français sont très majoritairement attachés à l’Union européenne et à l’euro, Le Pen a imaginé une solution en apparence astucieuse : on garde la monnaie unique (l’euro) et on crée une monnaie commune. La distinction entre monnaie unique et monnaie commune est nébuleuse. Il faut donc essayer d’interpréter ce que ça pourrait être. Les commentaires en provenance du FN ne sont pas d’un grand secours, sauf qu’ils parlent parfois de francs.

Admettons donc que l’idée est d’avoir à la fois des euros et des francs. C’est rigoureusement interdit par les traités. Si la Banque de France, ou tout autre institution officielle, émet des francs, la France sera immédiatement expulsée de la zone euro, sans la moindre discussion.

On pourrait donc s’arrêter ici, mais imaginons que ce ne soit pas le cas, et que, par miracle, la France reste dans la zone euro. Si des francs sont créés en abondance – c’est la motivation essentielle – l’inflation suivra. Le franc se dépréciera vis-à-vis de l’euro. Disposant d’une monnaie forte, l’euro, et d’une monnaie faible, le franc, les Français réagiront en se débarrassant des francs et en plaçant leur épargne en euros. De fait, l’euro cessera de circuler pour être thésaurisé (c’est ce qu’on appelle la loi de Gresham). En pratique, la France n’appartiendra plus à la zone euro. Certes les Français pourront épargner en euros et les échanges commerciaux avec l’étranger se feront en euros car personne ne voudra du franc faible, mais c’est déjà possible de faire tout ça en dollars sans appartenir à la zone dollar. Mission accomplie ? En un sens, oui, mais ce sera une sacrée catastrophe.

En effet, tout ce qui est importé, pour être consommé ou pour être utilisé dans la production, deviendra de plus en plus cher au fur et à mesure que le franc se dépréciera. Les consommateurs seront frappés, mais aussi les entreprises, qui doivent importer pour produire. La France connaîtra le cercle vicieux inflation-dépréciation qui, partout et toujours, se termine par une inflation galopante, qui désorganise le système économique et punit en premier les plus démunis, ceux qui n’ont pas les moyens de se protéger de l’avalanche. Demandez aux Vénézuéliens ce qu’ils en pensent !

Face à cette tragédie, habituellement, les gouvernements s’enferrent en imposant des contrôles de change (pour éviter la fuite devant la monnaie) et des rationnements (dans le vain espoir de stopper l’inflation). Le Pen n’a rien inventé, elle ne fait que céder à une tentation classique et répéter les erreurs tragiques que l’on a vu à l’œuvre encore et encore. Dans un passé récent, il y a une vingtaine d’années, on l’a vu en Serbie sous Milosevic et au Zimbabwe jusqu’à ce que Mugabe abolisse la monnaie nationale pour adopter le dollar. C’est bien normal. Abandonner toute discipline monétaire et budgétaire ne peut pas assurer la prospérité. Jamais et nulle part, même en France. Ce serait trop facile.

Face à cette évidence, les partisans de Le Pen nous expliquent que ce n’est pas vrai, que nous avons vécu des expériences où deux monnaies circulent. Ils évoquent l’ECU dans les années quatre-vingt. C’est évidemment faux. L’ECU (European Currency Unit) était un panier de monnaies européennes, autrement dit un peu de marks allemands, de francs français et belges, de lires italiennes, etc. Défini au départ pour tenir les comptes de la Commission européenne, ce panier a été utilisé par les marchés financiers pour définir des placements dits synthétiques. L’ECU n’a jamais été une monnaie, il n’a jamais circulé dans nos mains, il n’a jamais servi pour les transactions commerciales. Aucune autorité officielle n’a jamais créé d’ECUs.

L’autre exemple utilisé par le FN est la situation entre 1999 et 2001. Nous étions dans la zone euro depuis le 1er janvier 1999 mais les euros ne sont apparus que le 1er janvier 2002, parce qu’il fallait du temps pour fabriquer pièces et billets. Entretemps nous avons utilisé nos bons vieux francs. Ces francs n’étaient que des subdivisions de l’euro. Un franc valait 0.152455 euros, comme un billet de 10 euros est le cinquième d’un billet de 50 euros. La Banque de France était devenue membre (une sorte de filiale) du système européen des banques centrales et n’avait plus aucune autorité pour créer des francs. Les deux monnaies n’ont pas circulé en même temps, sauf pendant deux mois lorsque les euros ont été introduit. Bien sûr, il était impossible de modifier le taux de change, on parlait à juste titre de taux de conversion.

Une monnaie, une banque centrale. Le Pen propose deux monnaies, une banque centrale. Ça n’existe pas, ça n’a jamais existé, c’est impossible. Soit elle et ses conseillers ne comprennent pas ce qu’est la monnaie, soit ils le savent et essaient de tromper les électeurs. Peut-être même les deux en même temps.