Face à la Russie, l'Europe a besoin d'une politique énergique edit

12 janvier 2007

Depuis 1994, l’UE demande avec insistance à la Russie qu’elle ratifie la Charte de l’énergie et le Protocole sur le transit. Mais les dirigeants européens ne semblent pas avoir réalisé que le Kremlin n’en pas la moindre intention.

Il y a un an, l’Union Européenne s’est trouvée prise au dépourvu quand la Russie a coupé ses livraisons de gaz via l’Ukraine. Aujourd’hui la Russie coupe ses livraisons de pétrole via la Belarus, et l’Europe est à nouveau piégée. La Russie a montré comment elle compte opérer. Si elle ne développe pas une politique appropriée, l’Europe devra payer son indécision d’un coût toujours plus élevé.

La Russie est une économie de marché et, même son vaste secteur public fonctionne de manière largement commerciale. Ces dernières années, le Kremlin a travaillé à faire monter le cours des actions de Gazprom, désormais la troisième compagnie au monde par sa capitalisation. Une partie de la recette a consisté à mettre un terme aux subventions aux anciennes républiques amies de l’URSS, en leur demandant de payer des prix qui se rapprochent des cours mondiaux. Il restait la Belarus, c’est fait.

Le problème n’est pas l’augmentation des prix, mais la dureté de la méthode adoptée, et le fait d’avoir touché des pays tiers.

Le 10 décembre dernier, le gouvernement réussit à augmenter de 64% le prix du pétrole demandé à la Belarus à compter du 1er janvier. Unilatéralement, par décret, sans négociation. Habilement, la Belarus répond du tac au tac. Elle impose une taxe de 45$ par tonne au pétrole russe qui transite par son territoire, une augmentation qui rend le pipeline plus coûteux que le chemin de fer. Le pipeline appartient à la société d’Etat Transneft, qui refuse de payer. La Belarus saisit alors la somme correspondante, sous forme de pétrole. Transneft réplique en stoppant le pétrole, touchant ainsi ses clients européens.

Un tiers du pétrole russe consommé en Europe transite par la Belarus, et il n’existe pas de moyen de transport de remplacement. La Russie frappe donc ses clients européens, pas la Belarus. Cela n’a pas empêché le service de presse de Dimitri Peskov, directeur adjoint du Kremlin, de publier le 4 janvier un communiqué apparemment très clair : « En tout état de cause, la Russie remplira ses obligations en matière de livraison d’énergie » à l’Europe. Et il ajoute : « Au bout du compte, la Russie respecte ses obligations. » Après quoi, le Kremlin a stoppé ses livraisons de pétrole à l’Europe via la Belarus, sans avertissement.

La Russie a longtemps montré deux visages. Jusqu’en 2006, elle a été un fournisseur parfaitement fiable vis-à-vis de l’Europe, mais pas vis-à-vis des anciens pays de l’URSS, y compris les républiques baltes, qui ont eu à souffrir, de manière répétée, de sérieuses interruptions de livraisons.

L’URSS a toujours fait peu de cas du droit, parce que rien ne devait restreindre l’autorité du Parti Communiste. Vis-à-vis de l’Ouest, cependant, l’URSS a été obligée de se plier aux règles de droit international parce que sa réputation de fiabilité était quasi-nulle, surtout depuis le début des années 1980 à la suite d’un boycott américain. Fort de sa puissance énergétique et de son pouvoir, le président Poutine est revenu au mépris soviétique pour le droit, y compris vis-à-vis de l’Ouest. Il a restauré la kleptocratie soviétique. D’ailleurs, d’après « Transparency International », la corruption monte en Russie.

Le problème c’est que la Russie n’est plus l’URSS. Il serait erroné d’accuser le Kremlin d’impérialisme, car en réalité il sacrifie sa politique étrangère pour des profits financiers. L’impérialisme, ça coûte cher ; aujourd’hui le Kremlin est guidé par l’appât du gain. Ainsi la Russie a abandonné son projet d’union avec la Belarus. Celle-ci s’est ajoutée à la longue liste des pays « amis » de l’ex-URSS qui se sentent agressés.

Sur la base des statistiques officielles de la Russie, d’après mes calculs, les subventions offertes à la Belarus sous forme de prix préférentiels sur le gaz et le pétrole représentaient en 2005 11,2% de son PIB. En 2006, ce chiffre aura sans doute dépassé les 12%. Ces subventions ont disparu d’un trait de plume. De plus, aux nouveaux prix, les raffineries de la Belarus ne sont sans doute plus profitables. Même si le PIB de la Belarus a augmenté de 10% en 2006, chiffre annoncé par les autorités mais hautement improbable, il va profondément chuter cette année. De plus, la majorité des exportations de la Belarus sont acheminées vers la Russie. Or la Russie a aussi l’habitude d’imposer des sanctions sur ses échanges commerciaux. L’année qui s’annonce devrait voir la Belarus sérieusement déstabilisée, économiquement et politiquement.

Il est grand temps que l’Europe se réveille et réalise que la Russie est décidée à utiliser ses ressources en énergie de manière agressive. Ce n’est pas une question d’idéologie, l’inspiration ici est celle de Rockefeller. Les mauvaises surprises vont se multiplier. La question, pour l’Europe, est de coordonner ses actions pour faire face aux manœuvres déstabilisatrices de Poutine.

Depuis 1994, l’UE a demandé avec insistance à la Russie qu’elle ratifie la Charte de l’énergie et le Protocole sur le transit. Mais les dirigeants européens ne semblent pas avoir réalisé que la Russie n’en pas la moindre intention. Sans ces accords, l’Europe doit bien trouver une base à ses échanges énergétiques avec la Russie, surtout vis-à-vis de Gazprom, qui agit comme un monopole pour la vente et le transport du gaz. Le pétrole russe est exporté par des producteurs privés, mais c’est l’Etat russe qui contrôle les pipelines ; ici encore, un minimum de règle est nécessaire.

La meilleure solution serait que l’EU et la Russie négocient une nouvelle Charte de l’Energie que la Russie serait disposée à ratifier. Cette charte devrait reposer sur un principe fondamental : le droit réciproque à acheter des actifs énergétiques et l’infrastructure. Elle devrait également garantir l’accès aux systèmes de transport de l’énergie. Enfin, il devrait être établi qu’en aucun cas des parties tierces ne peuvent prises en otage d’une dispute commerciale qui ne les concerne pas. La Russie, en retour, souhaite inclure l’énergie nucléaire, ce qui est tout à fait normal. Bien sûr, tous ces accords devraient être l’objet d’un arbitrage international qui comporte des pénalités en cas de non respect.

Il est possible que la Russie refuse de négocier une nouvelle Charte de l’Energie. Les pays de l’UE devront alors présenter un front unique pour négocier collectivement des accords commerciaux énergétiques. Bien sûr, il est aussi nécessaire de diversifier les sources d’approvisionnement, mais cela prendra du temps, beaucoup de temps.