Le budget est-il réformiste ? edit

21 mai 2008

Le paquet fiscal du 21 août 2007, alors présenté comme un important dispositif pour renforcer la confiance et ainsi faciliter les reformes, est devenu la principale cible des critiques de Nicolas Sarkozy, un an après son élection. Qu’en est-il en réalité ? La politique budgétaire française est-elle au service des reformes ? 

J’avais jugé à l’époque qu’un « choc fiscal » artificiel irait dans le sens opposé à celui des réformes. Je crains que les faits n’aient confirmé ce diagnostic : le choc fiscal était une mauvaise idée, tirée d’un argumentaire économique datant d’un autre âge. La politique budgétaire du gouvernement ne mérite pas pour autant l’excès d’indignité dont l’accable ses critiques, et il n’est pas trop tard pour la mettre vraiment au service des reformes.

Les résultats budgétaires de l’année 2007 et les perspectives pour 2008 sont décevants si l’on s’en tient à ce qui fut un thème important de la campagne électorale : la nécessité d’enrayer la spirale de l’endettement public. La tendance à la réduction du déficit des années 2004 à 2006 s’est inversée l’an dernier, le déficit des administrations publiques dans leur ensemble augmentant de 7 milliards d’euros (0,3% du produit intérieur brut), pour atteindre 2,7% du PIB.

Le gonflement de l’impasse budgétaire ne tient pas à des raisons conjoncturelles : la croissance économique moyenne en 2006-2007 (les recettes fiscales dépendent de l’activité de l’année courante, mais aussi de la période précédente), sans être brillante, était néanmoins de 2,2%, selon les tous derniers chiffres de l’INSEE, soit la croissance moyenne des 10 dernières années. En gros, si la politique budgétaire avait été neutre, le déficit serait resté à peu près constant, du moins en proportion du PIB. Il y a donc bien eu un stimulus budgétaire, que la conjoncture ne justifiait en rien.

Mais on aurait tort de l’attribuer à la loi TEPA, nom officiel du paquet fiscal d’août 2007. L’essentiel de la dégradation est venue d’une fièvre de dépenses d’équipement par les collectivités locales. En France comme ailleurs, les maires sortants et leurs équipes continuent à serrer les cordons de la bourse au lendemain des élections, et à les ouvrir un an avant les suivantes, convaincus que les contribuables ont la mémoire courte. Par ailleurs, les recettes de l’impôt sur le revenu ont augmenté moins que prévu, mais c’était l’effet du renforcement de la prime pour l’emploi (l’impôt négatif à la française), plus que de la loi TEPA.

Le gouvernement pense pouvoir ramener le déficit public à 2,5% du PIB cette année. L’objectif parait excessivement ambitieux pour deux raisons.

D’une part, la loi TEPA produira ses effets en année pleine, qu’on peut estimer à environ 10 milliards d’euros, soit un demi-point de PIB, sous forme principalement d’exonérations de prélèvements (heures supplémentaires, nouveaux emprunts logements, héritages, bouclier fiscal…).

D’autre part, la croissance économique ne sera probablement pas au rendez-vous : les toutes dernières enquêtes de conjoncture indiquent en effet que l’accélération de l’inflation, le ralentissement américain, la force de l’euro et le resserrement des conditions de crédit, commencent à peser sur la demande, en France aussi bien que chez nos proches partenaires. Si la croissance tombait à 1,6%, comme l’anticipe le consensus des prévisionnistes du groupe technique de la Commission économique de la Nation, une prévision plutôt optimiste, le déficit public pourrait s’accroître d’environ 0,2% du PIB du seul fait de la moindre croissance. Au total, le déficit pourrait donc s’accroitre spontanément de 0,6 à 0,7% du PIB cette année. Même si, comme c’est le plus probable, l’Etat maintient une gestion rigoureuse de la dépense courante et si les mesures de contrôle des dépenses d’assurance maladie sont efficaces, il semble difficile d’éviter une augmentation du déficit public, qui devrait s’approcher, voire dépasser la norme maastrichtienne de 3% du PIB. Ce n’est donc pas sans raison que le Commissaire européen Joaquin Almunia manifeste quelques inquiétudes sur la situation budgétaire de la France.

L’important n’est en fait pas là. En vérité, la politique budgétaire française n’est que modérément expansionniste, les baisses de prélèvements étant partiellement compensées par une action assez volontariste de contenir les dépenses de l’Etat et de santé. La vraie question est de savoir si l’action budgétaire a soutenu les réformes structurelles que le gouvernement cherche à mettre en œuvre.

Sous cet angle, elle n’est guère convaincante. Les réductions d’impôts et de cotisations sur les heures supplémentaires vont bien dans le sens d’une augmentation de l’offre de travail (donc de la croissance) par une réduction de son coût marginal, mais leur mise en œuvre est complexe, et leur effet risque d’être pro-cyclique, c’est-à-dire plus faible en basse conjoncture.

Le crédit d’impôt sur les nouveaux emprunts logements, même s’il tombe plutôt bien alors que le crédit se fait plus rare, n’est pas fondamental pour la croissance à long terme. Quand aux autres baisses d’impôts (transmissions, bouclier fiscal), elles peuvent se justifier dans une perspective de réduction des taux marginaux (propice à un renforcement de l’offre), mais à condition d’être gagées sur des baisses de dépenses, ce qui ne fut clairement pas le cas.

Comme le budget 2009 est encore en préparation, il n’est pas trop tard pour mettre la politique budgétaire plus clairement au service des réformes structurelles.

La Révision générale des politiques publiques présentée le 4 avril dernier (RGPP) devrait en théorie aller dans ce sens : son but affiché est de rendre plus simple et plus efficace l’action des administrations et de réduire la dépense publique. Les mesures associées, dont les détails sont encore vagues, traitent certains des dysfonctionnements les plus évidents, comme par exemple celui de l’aide au logement, qui, dans son état actuel, entretient la pénurie plutôt que de développer l’offre. Mais l’ambition générale de la RGPP est timide : les baisses de dépenses potentielles sont chiffrées à 7 milliards d’euros à l’horizon 2011, soit 0,3% du PIB à cette date.

Bien des réformes structurelles peuvent se faire sans coût budgétaire, comme le montre la loi de modernisation de l’économie défendue par Christine Lagarde. Cependant, d’autres réformes importantes, qu’il s’agisse de l’extinction des rentes de situation (professions protégées, des notaires aux pharmaciens), de la réduction du poids des administrations centrales ou de l’assouplissement du statut des fonctionnaires, seront coûteuses. On le voit bien à propos des taxis : par quel miracle les chauffeurs de taxis accepteraient-ils de bonne grâce de voir la valeur de leur actif (la « plaque ») réduite de moitié par une décision gouvernementale visant à ouvrir la profession ? Ce n’est pas en réduisant la dépense publique de 0,3% du PIB qu’on dégagera assez de ressources pour les mettre en œuvre. Encore moins qu’on convaincra nos partenaires de l’Union Monétaire que la France est un partenaire fiable et ne tente pas d’utiliser la crédibilité budgétaire de ses partenaires à son service.

Il est plus que temps de mettre la politique budgétaire au service des réformes : les années 2009 et 2010 sont les plus propices à l’action structurelle. Après, la proximité de l’élection présidentielle rendra la tâche bien plus ardue.