Primaire: les habits neufs du Tax and Spend edit

10 janvier 2017

Comment augmenter le revenu net des salariés, faire reculer la pauvreté, donner aux jeunes les moyens de l’autonomie, accroître et consolider les minima sociaux, construire de nouveaux logements, recruter plus de fonctionnaires, accorder des droits nouveaux… ? Ne cherchez pas des chiffres, un bouclage macroéconomique, une feuille de route. Quand on aime, on ne compte pas.

Comment combattre l’uberisation en inventant une nouvelle protection sociale, sortir de la mondialisation inégalitaire et promouvoir un néo-protectionnisme, relancer la demande et préserver l’Europe ? Ne cherchez pas une cohérence, l’utopie a ce mérite de rendre compatibles les promesses désaccordées. En cherchant à se distinguer, les quatre champions de la Primaire se livrent à un difficile exercice de rajeunissement des objectifs de la gauche archaïque en empruntant au registre de la nouvelle gauche démondialisatrice et championne des NBIC.

L’un ne croit plus à l’avenir du travail, il veut le revenu universel, la baisse de la durée du travail et la décroissance verte, ET au passage il supprime la loi El Khomri. S’il fallait un slogan à la campagne de BenoÎt Hamon ce serait « l’utopie c’est maintenant ». Enjambant les difficultés actuelles du chômage, des déséquilibres de la protection sociale et de la crise européenne, il se projette dans un monde où une protection nouvelle est instituée, où le droit au non-travail est reconnu et où l’on cesse la course à la productivité. Et n’allez pas lui demander comment il compte financer un revenu universel qui coûte 15 points de PIB de son propre aveu :  à la Libération, dit-il, la nouvelle protection sociale a coûté 100 points de PIB.

L’autre, à l’inverse, aime la production, les start-up, le Made in France, il se veut le héraut d’un social-colbertisme. Rien ne lui est plus odieux que l’austérité européenne, l’obsession des critères de Maastricht, les règles du commerce international et les pouvoirs bruxellois. C’est donc dans la boîte à outils keynésienne qu’Arnaud Montebourg veut puiser en relançant la demande par la dépense publique et l’accroissement du pouvoir d’achat des Français. Un cercle vertueux doit alors s’enclencher qui fait monter les eaux de la production nationale de l’emploi et de l’investissement. Instruit par l’expérience de ses échecs gouvernementaux, il entend créer un rapport de forces avec l’Allemagne, défier l’OMC, refuser toute extension des Accords commerciaux, privilégier les PME dans la commande publique, baisser l’IS et réformer la CSG pour redistribuer du pouvoir d’achat aux petits salaires.

Le troisième se veut modéré. Dans la ligne de François Hollande, il veut avant tout restaurer la crédibilité de la France en Europe, il s’engage à descendre à 1,5 points de PIB de déficit de finances publiques : une France crédible peut obtenir de l’Allemagne un budget européen conséquent et la relance de l’investissement. Mais dès qu’il passe aux propositions la liste des dépenses nouvelles s’allonge : il instaure un bouclier fiscal pour les plus modestes, il relance l’emploi public dans le Supérieur, il multiplie les aides à l’export, il accroît fortement les budgets de la Défense et de la Justice... Gage de sa « modération » il vide la Loi El Khomri de sa disposition essentielle – l’inversion de la hiérarchie des normes –, le CICE devient conditionnel et la CSG devient progressive ! Comment réconcilier dépenses nouvelles et désincitation fiscale et réglementaire à l’activité ? La réponse est simple : une croissance forte décrétée et le New Deal européen de 1000 milliards d’euros. Bref, Vincent Peillon est un frondeur déguisé en fidèle de François Hollande.

Au dernier, Manuel Valls, il revenait la tâche ingrate d’assurer la continuité de l’action gouvernementale et l’ouverture aux attentes exprimées par l’électorat de gauche. C’est l’ouverture qui domine avec l’accroissement du pouvoir d’achat des salariés, un revenu décent pour les titulaires des minima sociaux, la réduction de l’écart salarial homme-femme, un salaire minimum européen, des dépenses nouvelles pour la sécurité, l’éducation et la défense. Si Manuel Valls entend repasser sous les 3% de déficit, il n’entend pas respecter le pacte budgétaire européen (Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance) qui prévoit le retour à l’équilibre budgétaire, il n’est guère séduit par les vertus du libre-échange et entend élever le produit des taxes aux frontières.

Au-delà des positionnements politiques des uns et des autres, quatre traits communs caractérisent l’offre politique des candidats les plus en vue.

La priorité affichée par les uns et les autres est l’augmentation des revenus des Français et du pouvoir d’achat des salariés. Qu’il s’agisse des exonérations fiscales et sociales des heures supplémentaires pour les salariés, de la CSG progressive qui libère du pouvoir d’achat pour les faibles revenus, de la hausse des salaires pour les enseignants, l’impératif est de réamorcer la courbe ascendante du revenu des ménages actifs.

La deuxième priorité est d’inaugurer une nouvelle vague de redistribution grâce au revenu décent ou à l’amorce d’un revenu universel, grâce au bouclier fiscal et au plafonnement de la taxe d’habitation. Lorsque la Loi El Khomri est remise en cause on conserve malgré tout le Compte personnel d’activité et on étend les droits des salariés.

Les deux premières priorités correspondent à l’air du temps qui est keynésien, anti-globalisation, favorable à la redistribution des richesses. Le sentiment dominant au FMI, à l’OCDE comme à la BCE est qu’on a épuisé les ressorts de la politique monétaire et qu’il est temps de réactiver la demande globale par la dépense publique quand c’est possible et par la reprise de l’emploi et des salaires quand cela l’est aussi. Les inégalités croissantes, le décrochage des classes moyennes et l’enrichissement insolent d’une poignée de financiers militent aussi pour une politique de compensation des perdants.

Pour autant les quatre candidats n’ont guère réfléchi à l’adaptation à la France de ces recommandations et ne se sont guère attelés à un chiffrage rigoureux de leurs propositions, encore moins à un bouclage macroéconomique de leurs propositions sur la base d’hypothèses réalistes de croissance et de retour à l’équilibre des Finances publiques. Ne cherchez pas de réflexion sur le comment, sur les étapes, sur l’acceptabilité ou la cohérence des mesures proposées, il s’agit d’aligner des mesures face à des demandes perçues.

Enfin tous les candidats prennent des libertés avec les engagements européens et même lorsque, formellement, ils adhèrent en paroles à l’objectif de maîtrise des finances publiques, en pratique ils n’en tiennent pas compte.

Mais le plus frappant n’est pas là : aucun des quatre candidats n’évoque même les quatre problèmes fondamentaux de l’économie française.

Comment traite-t-on la question du chômage structurel ? et notamment les questions récurrentes du marché du travail, de la formation …

Comment traite-t-on les faiblesses du système productif, la question de la compétitivité et de la montée en gamme ?

Comment retrouve-t-on la maîtrise des finances publiques et des finances sociales quand les marges de manœuvre fiscale sont nulles ?

Comment bâtir la crédibilité nécessaire au niveau européen pour restaurer l’axe franco-allemand et construire des politiques communes ?

Tout se passe comme si l’acceptation par Hollande du diagnostic Gallois sur la compétitivité, l’adhésion aux principes de l’économie de l’offre, la mise en œuvre du CICE, un début timide d’amélioration des marges des entreprises valait résolution du problème pour la gauche de gouvernement. Le fait que le chômage structurel persiste, que toute relance de la demande se traduise par une envolée des importations et non de la production domestique, le fait à l’inverse que la dévaluation de l’euro n’ait pas provoqué de dynamique exportatrice n’est même pas évoqué. À l’inverse, les discours protectionnistes refleurissent et l’intégration européenne est de moins en moins défendue. Le fait enfin que l’amélioration des marges des entreprises ait eu plus d’effets en matière de salaires que d’investissements n’interpelle pas davantage. C’est dans le contrôle des entreprises, la conditionnalité des aides et l’alourdissement des prélèvements que l’on cherche la solution.

Comme la contradiction entre les promesses nouvelles, l’état de nos finances publiques et nos engagements européens est aveuglante la solution est trouvée… dans l’exportation de notre modèle social au reste de l’Europe !

On l’aura compris, la Primaire de la Belle Alliance populaire n’a pas pour objet de désigner un candidat qui peut gagner à la présidentielle et encore moins un programme qui peut être mis en œuvre en mai prochain. C’est l’éloignement des perspectives de pouvoir pour des dirigeants socialistes qui sont encore aux commandes qui explique pour une large part les programmes et les positionnements.

Pour le champion de la décroissance verte, de la réduction de la durée du travail, du revenu universel, il s’agit de montrer que le PS comprend les enjeux du XXIe siècle et qu’il est capable de penser la nouvelle protection sociale. Dès lors il ne s’encombre guère ici et maintenant du traitement des problèmes qui assaillent la France.

Pour le contempteur de l’austérité bruxelloise, la relance est à l’ordre du jour et peu importe que le système productif ne puisse y répondre, peu importe que les taux repartent à la hausse, et peu importe que le retour de la crise de l’euro mette le tout en péril.

À l’autre extrême Manuel Valls peut estimer qu’il a montré dans l’action ce qu’étaient ses orientations et que, dès lors, il peut se livrer à la course au sinistrisme qui est à la base de toute stratégie classique de conquête du pouvoir dans la gauche française.

La spécificité du moment présent tient au fait que le PS n’a pas attendu d’être dans l’opposition pour critiquer la politique menée : les frondeurs l’ont fait alors même que leurs amis étaient au pouvoir. La fin du quinquennat libère tous les candidats des exigences du réel.

Si l’on considère les textes produits, non comme des programmes de gouvernement, mais comme des contributions ou des motions pour un congrès tranché non par les militants mais par le peuple de gauche, alors on retrouve une cohérence. C’est donc l’avenir du parti plus que le programme du futur président qui est débattu. Par rapport à la primaire de 2011 la régression est manifeste tant en termes programmatiques qu’en termes de débat public. Alors que l’on imaginait la gauche française converger tardivement avec la gauche social-démocrate européenne, la voilà saisie par la nouvelle utopie de la fin du travail et du revenu de base universel, de la démondialisation et du néo-protectionnisme, du retour au keynésianisme et de la restauration du « Tax and Spend ».