Réformes, oui, choc fiscal, non ! edit

2 juillet 2007

Le programme économique sur lequel Nicolas Sarkozy a été brillamment élu ne cachait pas son drapeau : il est résolument réformiste et l’est en profondeur. L’objectif est de relever le potentiel de croissance de la France en lui faisant retrouver sa compétitivité perdue et en allant vers le plein emploi. Accessoirement, il n’est pas de meilleur remède pour rétablir l’équilibre de long terme des finances publiques. C’est une question d’actif-passif : en renforçant le potentiel de l’économie, les réformes augmentent l’actif public (le flux des revenus futurs) ; en nous faisant revenir au plein emploi et en réduisant le poids des dépenses publiques, elles diminuent le passif. Du point de vue de qualité du crédit de la France, l’impact potentiel des réformes devrait donc être largement positif.

Mais à court terme, la tentation est grande de vouloir « rétablir la confiance » en distribuant du pouvoir d’achat par un « choc fiscal ». Une justification économique souvent avancée est que le pouvoir d’achat stimule la consommation qui « fait marcher l’économie » en retour. C’est une dangereuse illusion, même à court terme : dans une économie ouverte en perte de compétitivité, une relance de la consommation bénéficie aux producteurs étrangers plus qu’aux nationaux. Plus grave, la stimulation artificielle des revenus risque de déprimer la croissance à long terme, soit en nourrissant l’inflation ce qui nuit à la compétitivité, soit en dégradant structurellement les finances publiques, ce qui risque d’entrainer une réaction de méfiance des contribuables.

La seule justification qu’on pourrait trouver à une stimulation budgétaire serait une forte dégradation conjoncturelle qui pourrait appeler une action budgétaire contra-cyclique. Mais en la circonstance, les indicateurs conjoncturels nous indiquent plutôt que l’économie française, aidée par celles de ses partenaires européens, a tendance à accélérer. De stimulation budgétaire nous n’avons aucunement besoin. Du point de vue de la qualité du crédit de la France, un choc fiscal artificiel irait donc dans le sens opposé des réformes : il la détériorerait.
Dans le monde réel, bien sûr, il n’y a pas d’un côté les bonnes réformes et de l’autre les mauvaises actions budgétaires ; il faut donc entrer dans les détails pour différencier ce qui améliore la qualité du crédit de ce qui peut la dégrader. En théorie du moins, le bon critère est de jauger l’impact d’une décision sur l’actif net de la collectivité publique. En pratique, même si le calcul est difficile et, au bout du compte incertain, ce fil directeur mérite d’être déroulé.

Prenons les premières mesures dont l’Assemblée nationale va être saisie dans les prochains jours. Le crédit d’impôt auquel donneront droit les versements d’intérêts sur les emprunts logement comporte deux éléments. Sa partie rétroactive est une pure baisse d’impôt sur le revenu. Même si la propension à dépenser cette baisse de revenu était élevée, ce qu’elle n’est probablement pas, l’effet sur l’actif public serait négatif, puisque notre économie est ouverte. Rien ne justifie donc cette mesure, d’un point de vue économique tout au moins.

La déductibilité pour les nouveaux emprunts est de nature différente. Le relativement faible taux de propriété en France et les tensions à la hausse sur les loyers indiquent qu’il existe une demande potentielle. En réduisant le coût du capital pour les emprunteurs, la mesure devrait stimuler l’investissement logement ainsi que l’offre, avec néanmoins un risque de hausse des prix là où l’offre est contrainte. Elle devrait aussi augmenter la capacité d’endettement des ménages en renforçant leur collatéral. L’ensemble de ces effets devrait être positif pour la croissance et générateur de recettes fiscales de long terme, dans la mesure où le capital immobilier taxable n’est pas mobile. L’actif net public pourrait donc en bénéficier légèrement, malgré le coût élevé de la mesure.

La déductibilité fiscale des heures supplémentaires est également ambiguë mais probablement positive. Pour faire simple, elle réduira le coût marginal du travail, ce qui devrait stimuler la demande de travail peu qualifié car, pour le travail qualifié, l’équilibre du marché se fait par les prix, c'est-à-dire par les salaires. L’effet sur l’emploi est en revanche négatif, puisque la baisse du coût porte sur l’heure marginale et non pas sur l’employé marginal. Mais comme l’effet net sur la demande de travail est positif, la mesure devrait augmenter la production potentielle et ainsi être neutre à marginalement positive pour la qualité du crédit. On peut lui trouver d’autres avantages, comme celui de contourner intelligemment la contrainte des 35 heures, mais je me restreins ici au crédit.

Au total, ces premières mesures risquent donc de détériorer les déficits publics (le passif) sans relever l’actif (la croissance future) dans les mêmes proportions. Pour prendre un exemple dans ce que le gouvernement ne propose pas, une baisse du taux de l’impôt sur les sociétés aurait un effet net positif, puisqu’elle attirerait le capital et donc renforcerait la croissance potentielle.

Il faudra donc probablement attendre les réformes structurelles pour anticiper une amélioration de la qualité du crédit de la France. Dans le programme du président, les plus importantes me semblent : la réforme du marché du travail (le contrat unique et la réforme de l’assurance chômage, qui devraient réduire le chômage structurel, le service minimum, qui, en réduisant le pouvoir des « insiders » devrait faciliter les autres réformes), l’autonomie des Universités (qui devrait stimuler la capacité d’innovation et donc la croissance potentielle), et la réforme de la protection sociale, en particulier de l’assurance maladie (la réorganisation des départements ministériels devrait faciliter la réduction des dépenses improductives). La baisse des effectifs de la fonction publique devrait également être positive, à condition de s’accompagner d’une reforme des statuts autorisant une plus grande flexibilité de l’emploi au sein de la fonction publique.

Comme les marchés sont impatients et sceptiques, il est possible que la perception de la qualité du crédit de la France se dégrade momentanément. Plus vite les réformes de fond seront engagées, plus rapidement notre crédit devrait en profiter.