Revenu universel: la question est-elle correctement posée? edit

15 novembre 2016

Souvent décrié mais difficile à remplacer, le salaire minimum n’est en effet pas le meilleur outil de soutien aux revenus modestes. D’abord, il exclut de l’emploi tous ceux qui ne trouveront pas d’employeur au salaire minimum – jeunes peu ou mal formés, salariés en reconversion… Ils sont en France sans doute environ un million. Pour eux le SMIC est un enfer pavé de bonnes intentions. Ensuite, son niveau est unique en France, alors que le pouvoir d’achat peut varier de 30 à 40% en France selon le lieu : on se loge ainsi à Guéret, dans la Creuse, pour moins de 5 euros le mètre carré et on s’y nourrit pour une fraction du prix parisien. Enfin le salaire minimum laisse de côté  indépendants et autoentrepreneurs : près de  1,3 millions de non-salariés ne touchent pas l’équivalent du SMIC horaire. La solidarité nationale les ignore, pour une raison difficile à justifier ! Ainsi le « prix de marché » de l’heure de ménage (où l’on trouve surtout des salarié(e)s) est poussé à la hausse par le SMIC, alors que celui de la chaussure ressemelée ne bénéficie d’aucun soutien.

Comment proposer un revenu d’existence suffisant en évitant les inconvénients liés au SMIC ? La plus débattue des alternatives est le revenu universel.

Le revenu universel: belle idée réservée aux pays «rentiers»?

Le revenu universel consiste à distribuer une allocation à tous les citoyens en les laissant la compléter à leur guise : celui qui n’a qu’un petit revenu indépendant peut, au total, atteindre un revenu acceptable. Il présente trois inconvénients :

1. Le coût. Sa mise en place déplace des montants si élevés (de l’ordre de la centaine de milliards) que la moindre erreur de ciblage coûte extrêmement cher.

2. Le « droit à la paresse ». Sa simplicité (aucun critère d’attribution) a pour contrepartie un « droit à la paresse » : on bénéficie sans travailler d’un revenu payé par ses concitoyens. C’est peu défendable en période de stagnation du pouvoir d’achat. Du reste la plupart des expérimentations sur le sujet concernent des pays disposant d’une « rente » à distribuer.

3. Son uniformité cache de grosses inégalités en pouvoir d’achat : le bénéficiaire parisien joindra à peine les deux bouts, là où son homologue de Guéret pourra vivre plus confortablement.

Le revenu universel d’activité: une grande partie des bénéfices au prix de plus de complexité

Plus novateur est le « revenu universel d’activité » étudié par l’Observatoire du Long Terme. Principale différence : ce dispositif est réservé à ceux qui entreprennent une activité. L’idée sous-jacente est que ceux qui ne peuvent pas exercer une activité (malades, handicapés…) relèvent d’un autre type de solidarité, généralement assortie d’un suivi médical. Ceux qui ne le veulent pas en ont le droit – mais ils s’excluent du bénéfice de la solidarité : le « droit à la paresse » n’existe plus. Ceux, enfin, qui veulent exercer une activité mais qui ont des difficultés à y parvenir doivent relever d’un dispositif d’aide à l’insertion. N’est-il en effet pas plus juste d’aider ceux qui ont du mal à atteindre une activité suffisante que leur donner une allocation en les laissant à leur triste sort ?

Ce RUA procure un complément de revenu à tous ceux – salariés ou non – dont le revenu est inférieur au SMIC horaire mais inférieur à 1500 euros par mois. Pour ne pas inciter à développer des activités sans valeur ajoutée suffisante, il est ciblé sur les revenus supérieurs à, par exemple, 50% du SMIC horaire (les autres actifs étant renvoyés à d’autres formes de solidarité). En parallèle, le SMIC serait maintenu en niveau mais stabilisé, au fur et à mesure que le RUA augmenterait. Pour un salarié le RUA sera initialement proche de zéro. À terme ce même salarié aura le même pouvoir d’achat qu’il aurait eu avec le SMIC, mais avec un SMIC stabilisé à son niveau initial, le complément de pouvoir étant apporté par les évolutions du RUA.

Le RUA règle certains des inconvénients du revenu universel :

1. Son coût sera limité à quelques milliards. Il est à court terme limité au support aux non-salariés. A plus long terme il remplace en partie le SMIC, les hausses de revenu induites par la baisse du chômage permettant de mieux « mutualiser » la solidarité : à la place d’un SMIC qui fait payer cette solidarité par les seules entreprises (et leurs clients) employant des salariés peu qualifiés, le coût sera à terme payé par tous, avec à la clef moins de chômage. Autrement, la collectivité payera toujours le coût de la solidarité (donner plus à ceux qui ont un revenu faible), mais elle réduit le coût du chômage (moins de salariés exclus de l’emploi à cause du niveau du SMIC) et elle mutualise mieux le coût de la solidarité (les banques d’affaires en payeront une partie par leurs impôts, alors que le SMIC les touche peu actuellement).

2. Réservé à ceux qui entreprennent une activité salariée ou non, il ne crée pas de droit à la paresse, au contraire : il corrige une injustice flagrante de notre système actuel – à savoir que l’on garantit le revenu des salariés tout en ignorant la situation des indépendants qui occupent parfois des emplois similaires.

Le dispositif se présenterait sous la forme d’un « bonus horaire » (cf. ci-après). Nous aurions ainsi un système garantissant un niveau équivalent aux salariés au SMIC, un emploi à beaucoup de ceux qui en sont exclus, un dispositif universel n’excluant pas les indépendants mais également de justice : le coût de la solidarité aux bas revenus serait financé par tous, plutôt que par les seules entreprises créant des emplois peu qualifiés ou leurs clients.

Avec ce dispositif, un agriculteur à temps plein gagnant 75% du SMIC pourra toucher 1400 euros de plus par an, soit une hausse de 13% de son revenu. Cela assurerait à cette personne – et à tous les indépendants dans la même situation – un véritable complément de revenu. L’inconvénient du RUA reste sa plus grande complexité, mais c’est le prix à payer pour séparer incitation et droit à la paresse, et pour épouser les contours du SMIC (dont il serait peu réaliste de supposer la suppression).

Conclusion: un quatrième modèle?

Dans Les Trois Mondes de l'Etat-providence. Essai sur le capitalisme moderne (Seuil/La République des idées), l’économiste et philosophe Gosta Esping-Andersen note trois façons de traiter les actifs les moins productifs :

- le modèle du « laisser faire », qui laisse faire le marché. Dans ce modèle, ces personnes sont embauchées, à des salaires réduits, dans les emplois de service. Ainsi le salaire moyen dans les pressings ou les fast-foods aux États-Unis est de 75% du SMIC français ;

- le modèle nordique de « l’inclusion par le travail », qui embauche les personnes concernées dans les services publics de proximité (crèches, etc.) ;

- le modèle français quant à lui les condamne au chômage, principalement par l’effet du SMIC. En effet, le nombre de personne au chômage peu qualifié en France correspond au surcroit d’emploi dans les services de proximité aux USA, et les services publics de proximité dans les pays nordiques.

Le revenu universel d’activité permettrait d’inventer un quatrième modèle, qui allie l’efficacité du modèle anglo-saxon et l’inclusion du modèle nordique.

Annexe : Eléments de chiffrage

Pour effectuer un chiffrage fin, il est nécessaire de disposer de la répartition des revenus des indépendants.

Le tableau ci-dessus regroupe tous les indépendants (y compris ceux qui ont une activité à temps partiel) – l’estimation réalisée sur la base de ces chiffres sera donc un majorant du chiffre final (qui devra tenir compte d’une proratisation pour activité partielle, même s’il est vrai que le contrôle peut être difficile).

Une estimation basée sur les profils de revenu conduit à estimer à 1,3 millions environ le nombre d’indépendants sous le SMIC, dont 800 000 environ sont au-dessus de SMIC/2. Sur cette base on peut estimer le coût du complément horaire entre environ 600 millions et 1 milliard par an (hypothèse où les 800 000 personnes bénéficieraient du montant maximum).

Cet article a été rédigé par Vincent Champain et le pôle Stratégies économiques de l'Observatoire du long terme.