Européens, qui sommes-nous ? edit

10 juillet 2015

L’accord qui se profile, s’il est signé, ne sera pas le point final de la crise grecque. Elle ne date pas, d’ailleurs, des cinq dernières années. Et le débat sur l’austérité ne la résume pas – même si elle explique largement la dimension politique de la crise et la délégitimation que subit l’Union européenne dans une part importante des opinions nationales. Ce que montre surtout cette crise, ce sont les dysfonctionnements de l’Union européenne et la difficulté de s’entendre sur les termes de la solidarité entre les États et entre les peuples. Le problème initial était relativement mineur – la Grèce représente 2% du PIB de la zone euro. Mais d’hésitations en demi-mesures beaucoup de temps a été perdu, et contrairement à la vieille affirmation qu’il n’y a pas de problème qu’une absence de solution ne puisse résoudre… les difficultés ont crû au point de menacer peut être d’éclatement l’Union européenne.

L’arrivée au pouvoir de la coalition Syriza a remis en lumière, si besoin était, que le choix européen était fondamentalement politique – ce que le débat de technique économique a fait parfois oublier. L’Union européenne, ce sont avant tout des Etats et des peuples. La Commission européenne a tenté de jouer son rôle de représentante de l’intérêt général européen. Mais dans l’Eurogroupe ce sont les Etats et les plus influents d’entre eux qui prennent les décisions. Nous payons l’inachèvement et les querelles de légitimité dans l’organisation politique et institutionnelle de la zone euro.

Ce qui était peut être supportable en temps ordinaire ne l’est plus. La crise grecque le démontre où un problème pourtant maîtrisable peut laisser place à un engrenage destructeur. Le malheur est que l’Europe est confrontée, en même temps, à une série de crises, qui toutes mettent en cause les solidarités qu’on serait en droit d’attendre de l’Union. La question des migrations est d’une grande ampleur. Elle est appelée à durer et ne peut pas être résolue par les Etats pris un par un. La proposition de la Commission, dite des « quotas » nationaux, autrement dit d’une répartition maîtrisée, a été rejetée par la plupart des États, dont la France. Certes, des mesures ont été prises pour renforcer les contrôles des passeurs en Méditerranée. Mais une réelle mutualisation des moyens de surveillance des frontières et des procédures d’asile serait indispensable. Sinon les pays les plus exposés, l’Italie et la Grèce, cèderont. Et l’immigration incontrôlée amènera des contre-mesures en ordre dispersé, contraires aux Droits de l’homme – la Hongrie dessinant déjà un avenir redoutable. La crédibilité et la sécurité de l’Europe sont également engagées, à l’évidence dans le défi du terrorisme qui, dans presque tous les pays européens, a une double face, intérieure et extérieure, dans les conflits du Moyen-Orient, et dans les troubles à l’est des frontières de l’Union, en Ukraine, mais peut être demain dans les pays baltes, où le régime russe a choisi une politique de déstabilisation durable, méprisant les règles internationales. Les États européens ne devraient donc pas s’en tenir au plus petit dénominateur commun en ces domaines.

Le paradoxe de la situation présente est qu’au moment où la situation du monde, avec des rapports de puissance qui évoluent rapidement, et les crises qui s’additionnent et se recoupent, demanderait plus d’union entre les États européens, le contraire pourrait se produire. D’autant que se profilent les négociations voulues par les conservateurs britanniques avec les autres partenaires européens pour rogner encore les politiques communes européennes, et que la Grande-Bretagne pourrait ne pas être seule, d’autres gouvernements d’Europe du Nord appuyant dans le même sens. Les promesses initiales de l’Europe étaient de garantir la paix et de favoriser la prospérité. Les deux ne paraissent plus si évidentes aujourd’hui. L’urgence, pour les Européens, est de renouer avec ce qui fait le fond du projet européen, des valeurs et des institutions de droit, en les ré-explicitant au vu du monde actuel, la détermination de quelques propositions essentielles, au-delà du plan Juncker, touchant la vie quotidienne des Européens, des réformes, enfin, pour donner plus de légitimité aux instances politiques de l’Union. Cela n’est pas aisé, dira-t-on, dans le climat actuel des opinions publiques. Mais de la crise grecque peut sortir aussi une nouvelle gouvernance européenne. Dans une période de troubles et d’interrogations, l’important pour les Européens est de savoir dans quel monde nous sommes, où sont nos ennemis, et, surtout, qui sommes-nous nous-mêmes.