Quelles sont les conditions minimales pour la survie de l’euro? edit

23 mai 2016

Quelles sont les conditions minimales pour la survie de l’euro ? En général, cette question est formulée comme si l’intégration monétaire européenne, qui a atteint son apogée avec l’euro, va maintenant être complétée par l’intégration politique nécessaire à la survie de la monnaie unique. C’est ainsi que les technocrates et l’intelligentsia politique responsables de la création de l’euro ont envisagé la question ; puisque l’union monétaire n’est pas possible sans l’union politique, la création de l’euro était une façon de forcer le rythme de l’intégration politique. Ce n’est pas ainsi que nous voyons les choses.

Limites de l’intégration politique
Au cours de la période dans laquelle se joue la survie de l’euro, l’intégration politique en Europe a atteint ses limites. C’est ce que suggèrent les comparaisons historiques. Il a fallu aux États-Unis plus d’un siècle, y compris une guerre civile dévastatrice, avant que le pays ne devienne une véritable union politique, irrévocable. Or l’Europe n’est pas aussi engagée dans l’intégration politique, loin s’en faut. La crise existentielle de l’euro sera résolue, dans un sens ou dans l’autre, bien avant que la destination politique ne soit atteinte.

La théorie économique suggère elle aussi des limites à l’intégration politique européenne. La théorie des finances publiques (par exemple Buchanan, 1965) souligne l’existence d’économies d’échelle dans la fourniture de biens publics (l’intégration permet de fournir à moindre coût des biens publics comme la coassurance fiscale et un système bancaire bien réglementé), ce qui souligne les avantages de l’intégration politique et de la centralisation. Mais cette théorie met également en évidence les coûts de la centralisation parce que les populations sont hétérogènes et les préférences pour les biens publics varient selon les groupes et les régions. Ces coûts créent une résistance compréhensible à la mise en commun des responsabilités pour la fournitures des biens publics.

Cette tension se manifeste clairement dans la façon dont l’Europe a réagi à la crise. Dans certains domaines où les preuves des rendements croissants sont manifestes, l’Europe a évolué vers la centralisation. C’est le cas par exemple des filets de sécurité pour les marchés de la dette souveraine (les opérations monétaires sur titre de la BCE) et de la création du mécanisme de surveillance unique (Single Supervisory Mechanism, SSM) pour le système bancaire.

Mais dans d’autres domaines les avantages d’une prestation centralisée sont dominées par les coûts de l’uniformité, ce qui induit une résistance à une plus grande centralisation. Cela est vrai, à l’évidence, de la politique budgétaire où les différents pays ont des préférences différentes pour la rigueur et la stabilisation fiscale, et différents degrés de tolérance pour la dette et les déficits. Cette hétérogénéité crée à son tour un problème de confiance : peut-on se fier à ceux qui formulent et exécutent la politique commune pour le faire d’une manière compatible avec les goûts d’un groupe ? On retrouve ici un problème identifié par Alberto Alesina et ses collègues (1999) et qui se traduit par une pénurie de biens publics comme la police et les écoles dans les localités où la population est hétérogène, chaque groupe se montrant réticent à payer des impôts supplémentaires par crainte que les ressources mobilisées paieront pour des biens publics prisés surtout par les autres.

Ces idées peuvent guider une discussion des conditions minimales pour la survie de l’euro. Avec une implication : pour que la monnaie unique survive, l’Europe a besoin à la fois de plus et de moins d’intégration politique. L’astuce consiste à comprendre quand moins, c’est plus.

Première condition
La première de nos quatre conditions minimales pour la survie de l’euro est une banque centrale normale, qui soit en mesure de poursuivre un ciblage flexible de l’inflation et d’assurer un filet de sécurité pour les marchés financiers, protégeant ainsi la zone euro de crises potentiellement auto-réalisatrices. Dans une union monétaire, ce sont des fonctions qui doivent être fournies à un niveau centralisé. Compte tenu de l’existence d’une politique monétaire unique, il y a peu de possibilités pour les États d’influer sur les taux d’inflation nationaux. Les banques centrales nationales (qui sont partenaires de la BCE dans le système européen de banques centrales) ne peuvent faire crédit aux banques nationales ayant besoin de liquidité que contre des garanties considérées éligibles, et avec l’approbation de la BCE en ce qui concerne une assistance de liquidité d’urgence. Les États souverains, ne pouvant recourir à une banque centrale nationale, ont une capacité limitée pour offrir unilatéralement un filet de sécurité à leurs marchés financiers.

Dans sa conception initiale, la BCE n’était pas dotée de ces fonctions. La stratégie à deux piliers de la banque ne se concentrait pas seulement sur l’inflation, mais aussi sur la croissance d’un agrégat monétaire talismanique qui n’était pas associé à des résultats inflationnistes. Plutôt que d’adopter une cible d’inflation symétrique, la BCE poursuivait un objectif de « moins de mais proche de 2% », dangereusement proche des eaux déflationnistes. Sous la présidence de Jean-Claude Trichet, la BCE s’est concentré sur l’inflation observée plutôt que l’inflation sous-jacente (qui est plus stable car elle exclut des produits importés dont le prix est volatile comme le pétrole), ce qui l’a conduit à augmenter les taux d’intérêt en 2008 et en 2011, alors que le danger fondamental sous-jacent était la déflation. Elle a menacé de mettre fin à l’assistance de liquidité d’urgence pour l’Irlande en 2010, à moins que le gouvernement irlandais ne demande un plan de sauvetage et ne décide d’un programme d’austérité et de recapitalisation des banques (BCE 2014). Elle a arrêté l’assistance de liquidité pour la Grèce en 2015 jusqu’à ce que le gouvernement accepte un programme rejeté par les électeurs lors d’un référendum. Elle a hésité à adopter des politiques monétaires non conventionnelles lorsque les taux d’intérêt se sont rapprochés de zéro. Elle s’est montré réticente à intervenir via des achats d’obligations d’État lorsque les investisseurs doutaient de la «cohésion essentielle» (Draghi 2014) de la zone euro, craignant que la Cour constitutionnelle allemande ne juge une telle action incompatible avec la Loi fondamentale de ce pays.

Fort heureusement, la BCE a désormais commencé à devenir une banque centrale normale. La politique d’assouplissement quantitatif mise en place en mars 2015 a montré que les membres de son Conseil des Gouverneurs avaient compris la nature particulière et particulièrement dangereuse de la déflation. Dans ses opérations au jour le jour, la BCE a efficacement mis en veilleuse le pilier monétaire et elle distingue maintenant plus soigneusement et plus systématiquement l’inflation globale et l’inflation sous-jacente. Même s’il faudrait aussi un objectif d’inflation symétrique et un comité de politique monétaire plus petit et plus agile, ce sont des pas dans la bonne direction.

Que faut-il faire à présent pour consolider ces progrès?

Premièrement, la BCE doit accroître sa transparence, en contrepartie à sa plus grande discrétion et à l’étendue des pouvoirs conférés à une banque centrale normale.

La transparence permet à une banque centrale indépendante d’être responsable devant le tribunal de l’opinion publique. C’est un moyen de montrer aux citoyens que les politiques sont mises en œuvre dans le souci du bien commun et non des intérêts nationaux particuliers. Si la présence de représentants nationaux au Conseil des Gouverneurs est un obstacle à la tenue et la publication de votes formels, alors c’est un argument pour le réorganiser en réduisant le nombre de ces représentants nationaux ou même en les éliminant. Cela serait une étape très limitée dans le sens d’une plus grande intégration politique, mais une étape nécessaire pour la survie de l’euro.

Deuxièmement, au moment d’entreprendre des achats d’obligations d’État dans le cadre de l’assouplissement quantitatif ou d’opérations d’open market classiques, la BCE, doit avoir l’assurance que ses décisions ne seront pas rejetées par la Cour constitutionnelle allemande.

Cela peut nécessiter un changement dans la loi fondamentale de l’Allemagne ou une déclaration sans équivoque de sa Cour constitutionnelle qu’elle acceptera le jugement de la Cour de justice européenne sur les questions liées à la BCE. Modifier cet aspect de la loi fondamentale pour se conformer à la jurisprudence de l’UE serait un pas limité dans le sens de l’intégration politique.

Deuxième condition
Une deuxième condition minimale pour la survie de l’euro est d’achever l’union bancaire. La crise a mis en évidence le fait que la stabilité du système bancaire est un bien public de la zone euro, sujet à des rendements croissants. Il suffit de se rappeler comment la réglementation laxiste des banques françaises et allemandes permettant à ces institutions de prêter à tour de bras aux pays d’Europe du Sud a contribué à ouvrir la voie à la crise, ou comment les problèmes ultérieurs de certaines banques ont menacé de déstabiliser les autres via le marché interbancaire et les mécanismes connexes. Pour de bonnes et de mauvaises raisons, les Etats membres ont des traditions différentes dans leur méthode de surveillance des banques et de résolution des faillites. Mais l’expérience a montré que c’est un domaine où les rendements fortement croissants d’un service centralisé l’emportent sur les coûts de l’uniformité. L’union monétaire ne fonctionnera pas sans union bancaire.

À cette fin, les Etats membres de la zone euro (et d’autres États membres de l’UE qui ont décidé de les suivre) ont créé un superviseur unique des institutions financières, abritant ce mécanisme de surveillance au sein de la BCE. Le mécanisme de surveillance unique supervise les grandes institutions financières et travaille en étroite collaboration avec les superviseurs nationaux qui supervisent d’autres intermédiaires. Le superviseur unique est déjà intervenu pour améliorer le bien public de la stabilité financière, par exemple en limitant l’exposition des banques grecques au risque souverain grec, et plus généralement en pressant les banques qu’il supervise de réduire le poids des obligations souveraines de leur propre Etat dans leur portefeuille (Véron 2015 ).

En outre, le Conseil et le Parlement européen ont adopté un mécanisme commun pour la résolution des faillites d’institutions financières, la Directive sur le redressement et la résolution des crises bancaires. Cela oblige tous les gouvernements de l’UE à apporter leur caution aux créanciers non garantis avant de toucher l’argent des contribuables, les États membres étant obligés de d’introduire ces règles dans la législation nationale. Encore une fois, ce sont des mesures limitées mais nécessaires vers une centralisation financière et politique.

Un pas de trop a été fait dans cette direction, un pas politique : la création d’un fonds de garantie commun des dépôts bancaires dans lequel l’argent de tous les membres de la zone euro sera mis en commun pour garantir que les dépôts bancaires, jusqu’à 100 000 €, seront entièrement garantis. Selon les termes de l’union bancaire, les Etats membres sont désormais tenus de mettre en place des régimes d’assurance pour les comptes jusqu’à ce plafond, la crise ayant montré que la non-uniformité et, dans certains cas, l’absence d’assurance-dépôts peut menacer la confiance et la stabilité financière monétaire dans l’ensemble de l’union. Mais l’assurance-dépôts ne peut inspirer confiance que si les fonds auxquels elle s’adosse sont suffisants pour répondre aux réclamations éventuelles, et les membres d’une union monétaire, n’étant pas en mesure de recourir à la planche à billet, peuvent éprouver des difficultés à trouver les fonds nécessaires in extremis. C’est la raison pour laquelle aux Etats-Unis, après quelques expériences malheureuses au début des années 1930, les dépôts sont assurés par le gouvernement fédéral plutôt que par les États.

Certains pays, notamment l’Allemagne, craignent que les autres membres ne soient alors enclins à puiser dans le fonds (les commentateurs allemands citent régulièrement la Grèce comme un cas d’espèce). Ils rejettent la mutualisation de l’assurance-dépôts, dans laquelle ils voient un transfert fiscal de facto. La réponse vient en trois parties. Premièrement, la stabilité bancaire est un bien public aux rendements croissants, suffisamment croissants pour justifier la centralisation de la fonction d’assurance-dépôts. Deuxièmement, tous les Etats membres, la Grèce pas moins que les autres, sont tenus de mettre en œuvre les nouvelles règles de résolution de l’union bancaire afin de limiter la responsabilité du contribuable. Troisièmement, on parle ici d’une mutualisation limitée de moyens budgétaires visant spécifiquement un problème financier intimement associé à l’union monétaire, et non pas d’une centralisation généralisée du contrôle fiscal au niveau de l’UE ou de la zone euro.

Troisième condition
Bien sûr, cela soulève la question de savoir si la centralisation généralisée des fonctions fiscales est souhaitable – en d’autres termes, si l’union monétaire peut fonctionner sans union budgétaire. Depuis le traité de Maastricht et le Pacte de stabilité et de croissance, il y a eu des efforts répétés pour centraliser les politiques budgétaires de l’UE. Ces premières tentatives ont été complétées par d’autres initiatives de la Commission européenne, y compris le Six Pack, le Two Pack, le semestre européen, et un nouveau traité (le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance en Europe).

La seule chose que ces mesures ont en commun, c’est qu’elles ne fonctionnent pas. Les Etats membres de l’UE ont des préférences profondément différentes en matière de politique budgétaire. Ils sont réticents à mutualiser les ressources fiscales ou à déléguer à la Commission ou au Parlement européen des décisions sur les politiques budgétaires nationales, étant donné que les décisions qui en découlent seraient parfois très différentes des préférences de certains membres. Le niveau des impôts et la structure des dépenses publiques sont intimement liés à la culture et l’histoire nationales. La politique budgétaire est fondamentalement politique et redistributive, ce qui limite la délégation, même au niveau national. Dès le début, il était évident que les membres de l’UE étaient réticents à interférer dans ces questions (Eichengreen et Wyplosz, 1998). On ne voit pas pourquoi l’avenir devrait être différent ici du passé.

Bien sûr, la politique budgétaire a quelques-unes des caractéristiques d’un bien public. Ses effets macroéconomiques traversent les frontières, et l’instabilité financière dans un pays donné peuvent se diffuser dans d’autres pays, notamment parce que les banques d’un pays investissent massivement dans les obligations d’autres pays et que les crises financières obligent à des sauvetages multilatéraux.

Mais l’idée qu’il y a des rendements fortement croissants dans la centralisation peut être remise en question. L’ampleur des retombées directes transfrontalières est limité; par exemple une hausse du déficit budgétaire allemand accroît la demande pour les exportations italiennes, mais elle entraîne aussi une hausse des taux d’intérêt en Italie, compensant partiellement le premier effet. Si les retombées transfrontalières sont dues aux effets en spirale explosive des dettes souveraines et de la faiblesse des banques, alors la solution est, comme le superviseur unique cherche à le faire, d’empêcher les banques de détenir des positions concentrées dans des obligations souveraines. Si la source est la pression pour les sauvetages multilatéraux, alors la solution est une règle de non-renflouement.

Y a-t-il une alternative à cet effort, voué à l’échec, de centraliser la politique budgétaire au niveau de l’Union? Nous pensons que oui: elle consiste à renationaliser la politique budgétaire. C’est notre troisième condition minimale pour la survie de l’euro. La fiction selon laquelle on peut centraliser la politique budgétaire devrait être abandonnée, et la zone euro devrait reconnaître qu’avec l’abandon des politiques monétaires nationales, un contrôle national de la politique budgétaire est d’autant plus important pour la stabilité de l’ensemble. Si des politiques budgétaires nationales irresponsables mettent en danger les banques, il faudrait interdire à celles-ci de détenir des obligations souveraines de leur pays. Il n’y a aucune raison pour laquelle une règle de non-renflouement, similaire à celle imposée aux États américains depuis le milieu du XIXe siècle, ne serait alors pas crédible. Sans la perspective d’un plan de sauvetage, les investisseurs se montrent plus attentifs, et la discipline de marché sera plus intense. Les gouvernements, à leur tour, se verront davantage incités à renforcer leurs institutions et leurs procédures fiscales afin d’obtenir de meilleures conditions pour leurs emprunts.

Quatrième condition
Utiliser efficacement la politique budgétaire pour la stabilisation suppose de supprimer des surplombs de dette existants, qui empêchent aujourd’hui de mettre en œuvre une vraie politique budgétaire. La suppression de ces surplombs est donc notre quatrième condition préalable à la survie de l’euro.

La question est de savoir si ce processus gagne à être organisé au niveau national ou européen. On peut plaider dans les deux sens. D’une part, les positions budgétaires et donc les préférences en matière de restructuration diffèrent d’un État membre à l’autre. Les pays avec des dettes insoutenables préfèrent les voir restructurées, tandis que les pays plus faiblement endettés craignent les pertes et les conséquences sur leur réputation. La théorie des choix publics insiste sur les coûts de l’uniformité et de la centralisation, face à une telle hétérogénéité.

D’autre part, les avantages d’une approche coordonnée et centralisée sont significatifs lorsque la survie d’un bien public, en l’occurrence l’euro lui-même, en dépend. Une approche fragmentée dans laquelle quelques pays seulement retrouvent des marges de manœuvre fiscale ne permettrait pas le rapatriement de la politique budgétaire au niveau national, ce qui enfreint une autre de nos conditions clés pour la survie de l’euro. Les pays peuvent être découragés par la stigmatisation liée à la restructuration et ce qui s’ensuit – mauvaise cote de crédit et primes de risque – et on peut en déduire qu’aucun pays ne voudra y aller seul, ou même y aller en premier. Une approche globale où les surplombs de la dette sont réduits dans toute la zone euro, ce qui permet de déléguer le contrôle fiscal aux gouvernements de tous les Etats membres participants, contribuera à rétablir la stabilité macroéconomique et financière dont dépend la survie de l’euro.

Une approche coordonnée centralement peut également aider à surmonter deux obstacles supplémentaires à la restructuration. Tout d’abord, elle peut être aider à surmonter la résistance des débiteurs. Les banques d’un pays de la zone euro détiennent généralement des obligations émises par le gouvernement d’un autre pays, et les institutions européennes comme la BCE détiennent elles aussi des titres souverains. Si un pays restructure ses dettes, il altérera le bilan de ses propres banques, mais aussi des banques dans d’autres pays. Une restructuration isolée ne prend pas cette externalité en compte, alors qu’une approche collective peut le faire. Elle peut distribuer les pertes dues à ces externalités de bien des façons, y compris en les affectant entièrement au pays faisant la restructuration. Quelle que soit la solution choisie, l’idée est que dans l’approche collective, il y aura un accord sur le partage du fardeau. Si la solution convenue implique des transferts – ce qui est pas nécessairement le cas, comme on va le voir – alors elle devra être acceptée par les autorités de chaque pays au nom de ses contribuables plutôt que d’être imposée par une autorité étrangère.

Le deuxième obstacle est que la restructuration de la dette peut être considérée comme un encouragement à accumuler des dettes importantes à l’avenir, dans l’espoir qu’elles seront restructurés à nouveau. Affaiblir les obligations associées à une dette est donc une source d’aléa moral. L’action collective peut aider à éliminer ces objections. Les Etats membres seront conscients du risque et imposeront des garanties pour qu’à l’avenir les pays n’agissent pas unilatéralement et de façon opportuniste. Les garanties peuvent prendre diverses formes. Elles ne sont pas forcément contraignantes, et elles doivent être comparés à la façon dont la question est traitée dans le cadre de l’approche unilatérale.

Plusieurs propositions ont été avancées dans ce sens (voir, entre autres, Buchheit et al. 2013, Corsetti et al. 2015 et Pâris et Wyplosz 2014). Pâris et Wyplosz (2014) par exemple, proposent de remplacer une partie importante de toutes les dettes publiques en circulation par des obligations perpétuelles à coupon zéro. Dans le cadre de cette proposition, le coût de la restructuration des institutions européennes peut être entièrement financé par les recettes du seigneuriage. Si les dettes sont éteintes au prorata des parts des gouvernements nationaux dans le capital de la BCE, l’avantage (la dépréciation de dette) pour chaque pays est exactement compensée par le coût qu’il encourt (le revenu de seigneuriage auquel il renonce). Dans ce cas, il n’y a pas de perte pour les titulaires des titres de dette, et aucun transfert entre pays. L’application est garantie par un engagement de reconvertir les dettes perpétuelles en dettes normales, en cas de non-respect de l’accord. Étant donné que tous les pays participent, il n’y a pas de stigmatisation.

On peut imaginer d’autres schémas de restructuration collective des surplombs de dette des membres de la zone euro. Mais quels que soient les détails, la restructuration devra être assez globale pour permettre aux pays membres de la zone euro de retrouver leur capacité à mettre en œuvre une politique budgétaire nationale. L’idée principale, ici, c’est qu’une restructuration globale est plus facile et moins coûteuse lorsqu’elle est effectuée collectivement. Une fois atteintes la discipline budgétaire et une faible dette publique nationale, la clause de non-renflouement devra être complétée par une interdiction faite à la BCE des mener des opérations dans les instruments de la dette d’un pays donné. Si la BCE est en mesure, même en théorie, d’acheter les dettes d’un État en difficulté financière, la discipline budgétaire imposée par la règle de non-renflouement sera incomplète. Il n’y a pas besoin d’une telle interdiction aux États-Unis, étant donné que la Réserve fédérale ne détient que des obligations du gouvernement fédéral, et de celles émises par les différents Etats. Pour créer un régime équivalent dans la zone euro, il faudrait limiter les transactions opérées par la BCE sur les marchés obligataires à ses propres instruments, les Eurobonds, et à des obligations souveraines achetés en fonction des parts du capital de la BCE détenues par le pays considéré. Ainsi, le nouveau régime permettrait l’assouplissement quantitatif (dans le cadre duquel les obligations sont achetées en fonction des parts du capital de la BCE) et les opérations en open market structurées de la même façon, mais non les opérations monétaires sur titres, dans le cadre desquelles la BCE achète des obligations d’une économie en difficulté, sur demande de ce pays.

La crise de la zone euro a montré que l’union monétaire implique davantage que le partage des politiques monétaires, et une banque centrale commune doit viser plus que la stabilité des prix. Il est certes difficile de compléter l’architecture, mais cela ne requiert nullement une marche forcée vers l’union politique. La théorie suggère même qu’une union politique ne se justifie pas à ce stade. Cette théorie clarifie aussi les moyens souhaitables pour résoudre les problèmes exposés par la crise. Nous avons identifié quatre conditions minimales pour solidifier l’union monétaire. Dans un cas, la politique budgétaire, cela signifie une solution décentralisée. Dans deux autres conditions, la supervision financière et la politique monétaire, la centralisation est sans ambiguïté la réponse appropriée. Dans le cas d’une quatrième condition, la restructuration de la dette, les deux approches sont possibles, mais nous préférons une solution qui consiste à restructurer les dettes au niveau central, tout en répartissant les coûts au niveau national.

Ces conditions, nécessaires, sont également suffisantes, ou du moins nous l’espérons. Elles devraient être adoptées le plus rapidement possible.

Une version anglaise de ce texte est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU.

Références
Alesina, A, R Baqir and W Easterly (1999), “Public Goods and Ethnic Divisions,” Quarterly Journal of Economics 114, pp.1243-1284.
Buchanan, W (1965), “An Economic Theory of Clubs,” Economica 32, pp.1-14.
Buchheit, L C, A Gelpern, M Gulati, U Panizza, B Weder di Mauro, and J Zettelmeyer (2013) “Revisiting Sovereign Bankruptcy,” Committee on International Economic Policy and Reform.
Corsetti, G, L P Feld, P R Lane, L Reichlin, H Rey, D Vayanos, B Weder di Mauro (2015) “A New Start for the Eurozone:Dealing with Debt,” Monitoring the Eurozone 1, London: CEPR.
Daghi, M (2014), “Stability and Prosperity in Monetary Union,” Speech at the University of Helsinki, Helsinki, 27 November.
Eichengreen, B and C Wyplosz (1998), “The Stability Pact: More than a Minor Nuisance?” Economic Policy 26, pp.67-113.
European Central Bank (2014), “Irish Letters,” Frankfurt: ECB (6 November)
Pâris, P and C Wyplosz (2014) “PADRE: Politically Acceptable Debt Restructuring in the Eurozone,” Geneva Report on the World Economy Special Report No. 3, London: CEPR.
Véron, N (2015), “Europe’s Radical Banking Union,” Bruegel Essay and Lecture Series.