L’Europe déclassée ? edit

17 juin 2010

Qui se souvient qu’en 2007, sur une initiative française, un groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe a été mis en place ? Présidé par Felipe González, le « groupe des sages » a rendu son rapport au Conseil européen du 17 juin. On comprend que les priorités du moment invitent plus à chercher des parades aux attaques des marchés qu’à envisager le futur lointain de l’Union. Mais cette réflexion à un horizon de vingt ans est capitale à plus d’un titre. D’abord parce que le soulagement qui a pu accompagner l’adoption du Traité de Lisbonne pose la question de l’après-Lisbonne : quel est le nouvel horizon que l’Europe se donne à moyen terme ? Ensuite parce qu’à l’évidence la crise financière impose des réformes profondes au modèle européen de gouvernance et plus largement aux politiques européennes elles-mêmes.

À la lecture du rapport, ce qui frappe c’est d’abord que le diagnostic – malheureusement loin d’être original – ne nous propose pas un avenir radieux pour les lendemains de crise. L’Europe a développé un modèle économique et social particulier mais elle risque le déclassement car elle est un continent vieillissant qui perd du terrain vis-à-vis de l’Asie et notamment pour ce qui concerne la course à l’innovation et sa capacité à disposer de personnes formées. Par ailleurs la dépendance européenne dans le secteur énergétique la fragilise alors que les ressources naturelles sont plus que jamais âprement disputées. Le diagnostic est donc fondamentalement pessimiste : les menaces sur le modèle européen de développement sont réelles et peuvent conduire au déclin de l’Europe.

Quelles réponses ou plutôt quelles pistes de réflexion pour éviter la catastrophe ? Un premier point sur lequel le rapport insiste est de faire du niveau européen un réel niveau de coopération pour l’ensemble des politiques et de mettre fin à une concurrence voire à une hostilité entre les gouvernements et les institutions européennes. Il ne peut y avoir de solutions dans le repli national ou dans des concurrences internes stériles.

Dans ce contexte, le groupe considère qu’il appartient au Conseil européen de renforcer son rôle et d’assumer cette fonction de coordination et d’impulsion. C’est ce que l’on voit se dessiner dans la perspective d’une coordination des politiques économiques.

Quelles politiques faut-il mener ? Si on devait résumer en quelques mots le rapport, il semble bien que l’élément capital à prendre en compte est l’évolution démographique. Cela conduit à proposer des solutions pour faire en sorte d’une part que la quantité de travail mobilisable en Europe reste élevée ce qui suppose que les catégories tenues à l’écart du marché du travail (femmes, seniors) y soient intégrées mais aussi que l’attitude à l’égard de l’immigration change profondément, en la considérant positivement. Dans le contexte de la globalisation, le groupe de réflexion propose d’investir massivement à la fois dans une stratégie industrielle européenne basée sur le développement de l’innovation et dans le développement d’une société de la connaissance basée sur des systèmes éducatifs solides.

On notera que les propositions du groupe sur les frontières de l’Union risquent de surprendre en France: la proposition de 2007 d’instaurer un « groupe des sages » se développait dans le cadre d’interrogations sur les frontières de l’Union et en particulier sur la place de la Turquie. Or le rapport prend clairement position en faveur de l’intégration de la Turquie à l’Union et plus largement voit très favorablement tout élargissement de l’Union. Dans une analyse marquée par un diagnostic basé sur un risque de marginalisation sur la scène mondiale, le groupe de réflexion considère qu’un des plus forts atouts de l’Union est bien sa capacité d’attraction.

Force est de constater que le rapport explore des pistes pour lesquelles les politiques traditionnelles de l’Union se sont révélées souvent être plutôt des politiques d’appui aux niveaux nationaux que des politiques pleinement communautaires. Le groupe de réflexion invite bien à renforcer le niveau européen, y compris dans des domaines tels que la sécurité, la défense ou la politique étrangère. Le Traité de Lisbonne ouvre de ce point de vue des possibilités nouvelles d’intégration européenne qu’il appartient de saisir.

Mais plus largement, l’impression laissée par le rapport est qu’au-delà des secteurs « communautarisés » par le Traité, aucune politique ne peut plus se concevoir dans un strict cadre national et qu’au contraire l’échelon européen s’impose si on souhaite réellement agir.

En définitive, le rapport propose une vision cohérente des politiques à mener en Europe et montre que pour relever les défis considérables auxquels nous devrons faire face, l’action à l’échelle européenne est la seule pertinente : reste une question, y a-t-il une volonté politique européenne pour engager un tel programme ?