2017, année russe? edit

12 janvier 2017

Un Européen averti en vaut deux : 2017 sera l’année de la Russie. Plus précisément, en 2017, la Russie tentera de passer définitivement du statut d’outsider incontrôlable à celui de puissance globale dans les relations internationales. Elle bénéficiera en effet de plusieurs fenêtres d’opportunité et d’un tempo favorable. Pour l’Union européenne, cette année de la Russie comportera de nombreux risques. Mais aussi plusieurs opportunités à exploiter rapidement.

La fin de 2016 a incontestablement été favorable à Vladimir Poutine. Le 23 décembre, le président russe a célébré ses succès de 2016 lors de sa quatrième conférence de presse annuelle. Cet événement désormais mondial était destiné à être le point d’orgue de l’année géopolitique. Le leader russe s’y est présenté comme le champion mondial de la lutte contre le terrorisme islamique, comme un pivot au Moyen-Orient et comme un chef de file pour les mouvements « anti-système ». Paradoxalement, l’assassinat de l’ambassadeur russe en Turquie, l’attentat d’Istanbul et les sanctions décidées par le président Obama contre les services de renseignement russes n’ont pas éclipsé ces sujets. Ils ont tragiquement souligné que Vladimir Poutine est aujourd’hui le chef d’une puissance mondiale tout à la fois incomplète, redoutée et contestée.

En 2016, la stratégie de come back de la Russie a bénéficié d’ « heureuses surprises » : remontée des cours du pétrole suite à la décision de l’OPEP de réduire la production, élection de Donald Trump promettant une amélioration des relations bilatérales, essor des thèses prorusses dans les campagnes électorales européennes. Au fil de l’année, le président russe a retourné à son avantage plusieurs situations risquées. Et il a ainsi préparé les échéances l’année qui s’ouvre, dont la principale est sa propre réélection à l’automne 2017. Les Européens sont-ils contraints d’assister impuissants au retour inexorable de la Russie, y compris à leurs propres dépens ?

Vers une Syrie russe ?

En Syrie, la victoire militaire à Alep a réalisé la percée politique, tactique et stratégique que la Russie recherche dans la région depuis septembre 2014. Quinze mois après l’annonce de l’intervention militaire depuis la tribune de l’ONU, la Russie a atteint ses principaux objectifs dans le pays. Elle a ainsi organisé une « anti-guerre d’Irak » et repris pied loin de ses frontières.

La série de succès est impressionnante : la Russie a ressuscité le régime al-Assad, son allié depuis 1970. Désormais, les négociations sur l’avenir politique du pays se feront selon le scénario russe ou du moins sur les bases proposées par la Russie. Au Moyen-Orient, l’alliance entre la Russie et l’Iran est le pôle dominant : la Turquie s’est ralliée aux positions de Moscou dans un retournement d’alliance drastique et risqué pour l’administration Erdogan : au risque de mécontenter son électorat, celui-ci s’est rapproché des chiites et a baissé la garde face à l’Iran. Les monarchies sunnites du Golfe sont sur la défensive : peu sûres de l’alliance américaine, elles sont soupçonnées d’une ambivalence coupable envers l’islamisme sunnite radical. En outre, les matériels de guerre russe (missiles Kalibr, bombardiers d’attaque Su 24M) ont bénéficié d’une forte exposition médiatique utilisée pour consolider les parts de marchés russes dans la nouvelle course aux armements au Moyen-Orient et an Asie. Enfin, les forces armées russes ont considérablement accru leur empreinte au sol, dans les airs et en mer : la base navale de Tartous se développe, la base aérienne de Hmeimim s’étend et la Méditerranée orientale est quadrillée par la flotte russe autour du porte-avion Kouznetsov. En 2016, la Russie est parvenue à se hisser au rang de puissance structurante sur le théâtre du Moyen-Orient, au prix de pertes civiles effroyables et d’un effort de guerre sans précédent.

Dans les mois qui viennent, la Russie animera son réseau d’alliance pour remodeler la région dans son intérêt. Les Européens ne peuvent plus l’ignorer car le président russe l’a déclaré : la Russie entend remodeler le Moyen-Orient en réaction à la décennie américaine, en mettant à profit la faiblesse de la Turquie et avant que l’Iran ne s’affirme encore davantage. Les puissances européennes doivent en conséquence agir vite si elles veulent éviter d’affronter les effets (les réfugiés et le terrorisme) sans maîtriser les causes (les conflits au Moyen-Orient). Seule une remontée en puissance de leurs appareils militaires respectifs sur le terrain et une initiative diplomatique énergique pourront défendre les intérêts de l’Europe à ses portes. L’Europe doit en particulier refuser de sous-traiter sa souveraineté à la Turquie en matière de gestion des réfugiés, elle doit peser sur la définition des cibles prioritaires (Daech et non les forces d’opposition) et faire valoir au Conseil de sécurité l’impossibilité de reconduire le régime al-Assad dans la solution politique à la crise syrienne.

Un système international régi par le rapport de force militaire

En 2016, la Russie a montré dans les faits les limites du système international qu’elle critique dans les discours depuis une décennie. Certes, dans la réactualisation de sa doctrine stratégique de décembre 2016, elle rend hommage au système juridique de l’ONU. Mais ces déclarations ne doivent pas faire illusion : la communauté internationale et les mécanismes de sécurité collective de l’ONU sortent discrédités et affaiblis de la guerre en Syrie. En utilisant régulièrement son veto au Conseil de Sécurité, la Russie a paralysé les initiatives des Occidentaux sur la Syrie et a réussi un rapprochement avec la Chine. On le voit déjà dans les efforts déployés par la Russie au Conseil de sécurité de l’ONU : résolution après résolution, la Russie entend désormais récolter, sur le plan diplomatique les fruits de son engagement militaire pour fixer l’avenir du pays et de la région. La Russie a classiquement modifié le rapport de force militaire pour en dériver le règlement juridique du conflit. L’idée même de paix par le droit est sapée. Au Conseil de sécurité, les Européens doivent utiliser leurs leviers d’action, y compris le veto, pour refuser d’entériner un rapport de force conquis par la Russie, la Syrie et l’Iran au mépris du droit humanitaire.

La Russie a également laminé les enceintes européennes : l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) chargée de veiller à la sécurité du continent en associant Russes et Occidentaux, s’est enlisée. En 2016, l’annexion de la Crimée par la Russie et le « conflit gelé » dans l’est de l’Ukraine se sont installés durablement dans le paysage géopolitique de l’Europe. Et les accords de Minsk II sont restés lettre morte, y compris en raison de l’inertie de l’administration Porochenko. La Russie a même réussi à éclipser la remontée en puissance de l’OTAN consacrée au sommet de Varsovie en juillet. En 2016, le président russe a réussi sa prophétie auto-réalisatrice : le système de sécurité collective et le règlement des différends par le droit sont impuissants face aux nouvelles menaces et face à l’unilatéralisme russe.

Les Européens ne peuvent se le cacher: en 2017, la Russie continuera à pousser son avantage contre les organisations multilatérales à la faveur des incertitudes géopolitiques créées par l’élection de Donald Trump et les campagnes électorales européennes. Ils doivent donc réagir, à l’ONU et à l’OSCE, pour rappeler inlassablement les principes du droit international. Seule une fidélité sans faille aux principes de règlement juridique des différends pourra inciter à la Russie à revenir à une position moins agressive.   

L’Europe doit sortir de l’affrontement entre russophiles et russophobes

En 2016, malgré les sanctions, la Russie a réussi à changer de statut sur la scène politique européenne. Mesurons le chemin parcouru depuis 2014, année où le président russe était traité en paria des opinions publiques européennes. Deux ans après, la Russie est de plus en plus perçue comme le seul pays à agir efficacement contre le terrorisme islamiste et à défendre l’identité chrétienne de l’Europe. Ce succès d’image est le fruit d’une stratégie de softpower de longue haleine et d’une longue guerre de l’information.

Le président russe est devenu un point de ralliement pour de nombreux partis et leaders en Europe, au détriment de la solidarité intra-européenne. Les leaders « anti-système » revendiquent ouvertement leur proximité avec Vladimir Poutine dans de nombreux Etats-membres d’Europe centrale : hormis la Pologne, les partis populistes et autoritaires au pouvoir (Hongrie, Slovaquie, Bulgarie) ou aux portes de celui-ci (Autriche) se déclarent favorables à un renforcement des liens avec la Russie. Les thèses pro-russes infusent même en Allemagne dans les mouvements anti-réfugiés exploitant la vague d’attentats qui frappe le pays. A travers l’Europe, s’affirmer pour un rapprochement avec la Russie est devenu une marque d’autorité personnelle et de patriotisme eurosceptique. Dans l’UE, le président russe conclut l’année 2016 en retournant la situation : comme contre-feu aux sanctions, il a accentué les divisions entre Européistes bruxellois et eurosceptiques populistes. En 2017, la Russie poursuivra son travail de division de l’Europe à la faveur des négociations sur le Brexit. Elle animera ses relais auprès des gouvernements et des partis « anti-système » pour obtenir la levée des sanctions.

Les Européens doivent éviter ces écueils. Dès le 31 janvier, ils devront se prononcer sur le maintien des sanctions. En outre, ils aborderont, dans plusieurs Etats majeurs, des campagnes électorales où la Russie sera au centre des débats. Qu’ils se gardent de lever trop rapidement les sanctions : tenir le rapport de force est indispensable pour se faire entendre de la Russie. Qu’ils se gardent également d’inviter la politique russe à l’intérieur du débat sur l’avenir de l’Europe : être russophile ou russophobe n’est pas la question quand les défis du terrorisme, de l’accueil des réfugiés et de la lutte contre le chômage doivent occuper toutes leurs forces. Paradoxalement, les Européens doivent exploiter la campagne électorale discrète que Vladimir Poutine mènera en 2017 pour l’amener à se notabiliser davantage : s’il souhaite la levée des sanctions pour le début de son nouveau mandant, il devra faire des concessions aux Européens.

Vladimir Poutine, candidat à l’élection présidentielle française ?

En France, le président russe a réussi à devenir une figure à part entière du débat politique nationale. En forçant le trait, on pourrait affirmer qu’il a été transformé en homme politique français par l’excès de détestation comme d’admiration qu’il suscite sur notre scène politique.

Le tour de force est impressionnant. En 2016, le président russe a réussi à attirer une partie de l’opinion publique auparavant choquée par sa brutalité dans le Caucase, en Ukraine et en Syrie. Il transforme patiemment son image. Il rallie désormais les partisans d’une présidence forte. Les résolutions non contraignantes de l’Assemblée nationale (28 avril 2016) et du Sénat (8 juin 2016) soulignent que de nombreux parlementaires sont en train d’évoluer dans le sens d’un rapprochement avec la Russie. Victoire symbolique, deux des candidats majeurs de la présidentielle, François Fillon et Marine Le Pen font ouvertement campagne pour un rapprochement avec la Russie. En 2016, Vladimir Poutine a réussi à acquérir le statut de force politique française à part entière. De nombreuses voies reprennent en Frances des thèmes classiques du président russe : la défense de la chrétienté, la lutte contre le totalitarisme islamique ou encore le combat contre le déclin des valeurs traditionnelles.

En 2017, le poutinisme risque d’être à la mode en France. Que nos leaders politiques se gardent pourtant de faire de Vladimir Poutine un des candidats à la présidentielle. L’avantage qu’ils y trouvent est bien maigre : cela leur donne à peu de frais l’image d’hommes forts. Mais le modèle politique proposé par le Kremlin est bien plus pauvre et bien moins transposable à l’Europe qu’on l’affirme souvent. Mélange opportuniste entre conservatisme sociétal, autoritarisme politique, aventurisme géopolitique et amateurisme économique, le poutinisme n’est pas une offre politique cohérente. C’est un système de pouvoir en constante reconfiguration. Les hommes politiques français ne gagneront que le mépris du Kremlin à s’aligner sur les positions russes sans condition.

Les Européens sont prévenus. En 2017, la Russie a devant elle une série d’opportunités : remontée des cours du pétrole, évolutions des opinions publiques occidentales sur les sanctions, vacances du pouvoir relatives aux Etats-Unis, en France et en Allemagne, victoires militaires en Syrie. Mais la Russie ne sera pas insensible aux pressions occidentales : le président Poutine cherchera un triomphe électoral à l’automne. Pour le bâtir, il a besoin des Européens. Levée des sanctions, conclusion d’un accord politique en Syrie, promotion d’une ligne pragmatique à l’OTAN, réformes en Ukraine, etc. Dans tous ces domaines, le président russe a besoin des Européens. Ceux-ci doivent donc prendre conscience de leurs forces dans la relation avec la Russie. Et exploiter ces leviers de pression pour que 2017 ne soit pas seulement une année russe.