Fonds souverains : ne nous trompons pas de débat edit

17 janvier 2008

Conséquence de la crise du crédit, les capitaux se font plus rares. Et, en réponse, certaines banques se sont tournées vers un groupe d'investisseurs qui n’ont pas été touchés par la crise et ne rendent pas directement de comptes au marché : les fonds souverains. Faut-il s’en alarmer ?

Le 26 novembre, Citigroup, la plus grande banque du monde, annonçait qu'elle céderait pour 7,5 milliards de dollars de titres d'un rendement annuel fixe de 11%, et qui seront convertibles en actions, au plus puissant des fonds souverains, Abu Dhabi Investment Authority (ADIA).

Le 10 décembre, la banque suisse UBS annonçait par surprise qu'elle céderait elle aussi l'équivalent de 11 milliards de dollars d'obligations convertibles en actions, avec un rendement de 9,9%, à un groupe d’investisseurs parmi lesquels figurait the Government of Singapore Investment Corporation, ce qui est pour le moins intéressant puisque Zurich et Singapour sont deux places financières rivales.
 
Neuf jours plus tard, c’était autour d’un des plus grands noms de Wall Street, Morgan Stanley, d’annoncer qu’il avait vendu 5 milliards de dollars de titres obligataires convertibles à la société d’investissement de la République populaire de Chine (People’s Republic of China Investment Corporation ).

Et c’est enfin Merrill Lynch qui juste avant la fin de l’année annonçait avoir cédé pour 5 milliards de dollars de titres au fonds singapourien Temasek.

Comme c’est intéressant… Voici des banquiers qui, le jour, justifient les fortes compensations qu’ils paient à leurs collègues en invoquant les contraintes du marché, un marché impitoyable et froid. Mais de nuit, quand les choses vont mal, ils sont secourus par l'argent facile des banques centrales, par la patience régulatrice et les capitaux frais des agences d'investissements gouvernementales. On a un peu l’impression que les banquiers pensent marché quand il s’agit de faire des profits, mais qu’ils apprécient l’argent public quand il s’agit du risque. Mais si nous mettons cela de côté, et si nous laissons également de côté pour le moment le problème de l’influence politique excessive des fonds souverains sur les entreprises dans lesquelles ils investissent, le rachats d'actions de banques par ces fonds est défendable sur le plan macroéconomique.
 
L’émotion générale à propos de l’accumulation des réserve en Asie et au Moyen-Orient m'a toujours semblé un peu étrange. La capacité des pays à épargner ou au contraire à dépenser davantage que ne leur permettraient les capacités locales, me semble être un indicateur du succès de la finance globale, pas de son échec. Il me semble également plutôt raisonnable qu'après un boom de surinvestissement qui a mal fini, ou après la hausse soudaine des prix des denrées qu'ils exportent, certains pays choisissent d'épargner davantage que ce qu'ils pourraient investir chez eux.

Ce qui m’inquiétait, en revanche, c’est que cette épargne nationale, qui aurait dû profiter aux générations futures, n'était pas gérée dans une logique d’investissements à long terme, mais plutôt dans la perspective des banquiers centraux et dont le principal souci est la gestion des liquidités. Le vrai problème n'était pas la quantité nette de l’épargne, mais la concentration de l’épargne internationale sur des titres à court terme du Trésor américain. Cette concentration abaissait le taux du crédit sans risque et encourageait les prêts aux emprunteurs pauvres par des banquiers qui cherchaient à améliorer leurs marges. La concentration de la richesse nationale de beaucoup de pays d’Asie du Sud-Est et du Moyen-Orient sur des titres américains avait aussi pour conséquence une concentration de l'exposition au dollar américain.

Ce n'est pas seulement le problème de la concentration du risque, mais une mauvaise allocation de l’épargne nationale. Les investisseurs à long terme, qui ne s’inquiètent pas de la volatilité du marché au jour le jour, devraient bénéficier de primes de risque de marché et de liquidités en diversifiant leurs portefeuilles, en achetant des actions sous-évaluées et en investissant dans les économies émergentes ; pas en utilisant les instruments les plus sûrs et les plus liquides de l'économie la plus développée ! Même si c’était l'allocation appropriée pour les réserves liquides.

Mais ne devrions-nous pas cependant nous inquiéter de l'influence qu’auront sur les décisions des entreprises les États étrangers qui possèdent les fonds souverains ? Il est intéressant que ceux qui posent cette question ne voient souvent rien à redire à l'investissement militant de CALPERS et ABP, les deux plus grands fonds de pensions publics. CALPERS n'est-il pas un fonds souverain californien ? Qu’est-ce qui justifie qu’on dise non à un fonds souverain et oui à, disons, un fonds privé au conseil d’administration duquel figure d’anciens Premiers ministres et d’anciens présidents ?

Céder à la tentation du protectionnisme en matière d’investissements réduira la valeur des biens locaux et, comme toujours avec le protectionnisme, réduira la discipline gestionnaire. J'hésite à proposer une solution, mais là où il y a des inquiétudes légitimes, un compromis pourrait être de demander aux fonds souverains de céder leurs droits de vote à d’autres actionnaires ; le Dr. Helmut Reisen a émis cette idée lors d’un séminaire de l'ODCE Emerging Market Network. Mais d’une façon générale nous devons remercier notre bonne étoile d’avoir les fonds souverains et les encourager à jouer leur rôle d’investisseurs à long terme.