Le problème avec le Mécanisme européen de stabilité edit

12 avril 2011

La guerre en Libye et les terribles catastrophes japonaises ont détourné l’attention du public des conclusions du dernier Conseil européen (24 et 25 mars 2011). La plupart des commentateurs ont souligné la portée limitée des décisions. Beaucoup de bruit pour rien, serait-on tenté de dire avec Shakespeare. Malheureusement, les décisions concernant le nouveau Mécanisme européen de stabilité ne sont pas rien, et elles pourraient nuire à la stabilité de la zone euro. Voici pourquoi.

La plupart des commentaires ont porté sur les mesures visant à renforcer le volet correctif du Pacte de stabilité et de croissance (les pays devraient réduire leur dette publique en proportion de sa distance avec la cible de 60% du PIB), son volet préventif (les pays devraient adopter des règles budgétaires nationales compatibles avec les objectifs du pacte), et les propositions visant à réduire les déséquilibres macro-économiques, comme de surveiller la compétitivité et la croissance de la productivité. Pourtant, ces questions sont à peine mentionnées dans les conclusions du sommet. Et ce pour une bonne raison : le processus législatif européen sur ces questions est toujours en cours, exigeant l’approbation, le cas échéant après d’importantes modifications, du Parlement européen. Le sommet a toutefois décidé de mettre en place le Mécanisme européen de stabilité.

À partir de juin 2013, le nouveau fonds va succéder au Fonds européen de stabilité financière et au Mécanisme européen de stabilisation financière, avec la tâche de fournir une aide financière aux membres de l’eurozone. Cela se fera grâce à des prêts (sous réserve de mesures d’ajustement) et, dans des cas exceptionnels, par l’achat direct de titres publics sur le marché primaire. L’architecture de l’ESM pose au moins quatre problèmes majeurs.

Le premier problème est que la dotation est trop faible et arrive trop tard. Elle s’élève à 700 milliards d’euros, ce qui donne une capacité de prêt de 500 milliards (pour obtenir des agences de notation un AAA). Les pays membres ne débourseront réellement que 80 milliards d’euros, en cinq versements annuels à compter de 2013. Le reste prendra la forme de garanties et de « capital exigible », autrement dit un engagement à verser en cas de besoin les sommes nécessaires. Trop peu, trop tard, peut-on dire, étant donné qu’en 2011 (et non pas en 2013 !) la dette de la Grèce, de l’Irlande, de l’Italie, du Portugal et de l’Espagne arrivant à échéance dépassera 502 milliards, et que pour la seule Espagne le gouvernement central et les collectivités locales devront rembourser 470 milliards d’ici 2013. L’accord prévoit la possibilité d’accélérer les paiements au cas où une crise survienne avant 2013. Pourtant, des retards peuvent se produire, voire durer, laissant les émissions de dette publique de la zone euro à la merci d’attaques spéculatives.

La deuxième faiblesse réside dans le système de financement. Puisque que le nouveau fonds est financé par des garanties qui seront appelées en cas de besoin, plutôt que par une dotation propre, l’activation de la garantie est susceptible de produire des effets multiplicateurs et de la contagion.

Prenez l’Italie. Pour chaque tranche de 100 milliards nécessaire pour « sauver » les autres pays de la zone euro, le budget italien sera grevé de près de 18 milliards (égal au pourcentage attribué à l’Italie dans la clé de répartition de la Banque centrale européenne), soit environ un point du PIB italien, et cela pourrait se produire au plus mauvais moment possible, lorsque les marchés exigeraient probablement des taux d’intérêt élevés et en hausse.

Le troisième défaut, et il est très grave, concerne le mécanisme de vote. Contrairement au FMI, dont les décisions sont prises à la majorité simple des actions détenues, la décision d’approuver un prêt, d’en déterminer le taux d’intérêt et les conditions requiert l’unanimité des ministres des Finances de la zone euro. Chaque pays dispose ainsi d’un droit de veto au sein du conseil d’administration. Il n’est pas difficile d’imaginer des scénarios comme celui-ci : le pays A, qui est en bonne santé financière, monnaye son consentement à prêter au pays I, celui-ci consentant à adopter une mesure politique qui profite principalement au pays A (par exemple, une augmentation du taux de l’impôt sur les sociétés).

Enfin, la loi exige que la Commission européenne procède à une évaluation de la viabilité de la dette publique du pays qui aurait des difficultés à accéder aux marchés financiers. Si la Commission européenne devait conclure que le pays est techniquement insolvable, alors le Mécanisme de stabilité financière ne fournira un prêt que dans la mesure où le secteur privé sera impliqué, ce qui signifie que les créditeurs absorberont des pertes, une manière élégante de parler de défaut. Notons d’abord que, pour des raisons économiques, si un pays a des difficultés à exploiter les marchés financiers, ce doit être justement parce que les investisseurs le perçoivent comme insolvable, et il n’est pas difficile d’imaginer que la Commission arrive à la même conclusion. S’il est compréhensible de ne pas récompenser la prise de risque excessive de la part des investisseurs, cette norme peut se révéler très dommageable. Imaginez ce qui arriverait si l’Europe devait déclarer aujourd’hui que tous les pays demandant (encore) des fonds européens après 2013 feront défaut (même partiellement), avec une certitude absolue, en 2013. Or c’est exactement ce que dit cette norme. À compter d’aujourd’hui, les marchés exigeront des taux plus élevés sur les nouvelles émissions des clients actuels et possibles du Mécanisme européen de stabilité, précipitant ainsi la crise d’insolvabilité. Exactement comme cela se passe aujourd’hui au Portugal.

En bref, la conception du Mécanisme européen de stabilité présente de graves lacunes. Le fonds n’a guère de chances de résister au choc d’une crise financière grave (concernant le Portugal et l’Espagne). En fait, il peut accélérer et même propager la crise à des pays fortement endettés, tout en laissant la zone euro sous l’emprise de dangereux droits de veto.

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