Too big to fail : où en sommes-nous ? edit

29 janvier 2013

Avant la crise, les vingt-neuf principales banques mondiales avaient vu leurs notes relevées d’à peine plus d'un cran par les agences de notation, car on tablait sur un soutien de l'État. Or, ces mêmes Léviathans planétaires bénéficient aujourd’hui d’un soutien implicite de près de trois crans. Quant aux attentes concernant le montant du soutien public, elles ont triplé depuis le début de la crise.

Cela se traduit dans les faits en une importante subvention implicite envers les plus grandes banques du monde sous la forme de coûts de financement réduits et de profits plus élevés. Avant la crise, cela équivalait à des dizaines de milliards de dollars chaque année. Aujourd'hui, cela représente des centaines de milliards. En d'autres termes, s’il faut en croire les attentes du marché, la réponse réglementaire à la crise n'a en aucun cas étanchéifié la fuite en avant vers le « too-big-to-fail ».

A première vue, un tel constat peut laisser perplexe. Il ne se passe pas une journée sans que l'industrie financière ne nous mette en garde contre la réglementation oppressante qui pèserait d’après elle, en particulier, sur les plus importantes banques du monde. Certes, suite à la crise, la réglementation visant à le « trop gros pour faire faillite » est arrivée rapidement (du moins au regard des rythmes habituels en matière de réglementation) et a été conséquente. Cet effort de réforme s'inscrit, grosso modo, dans trois catégories:

(a) Des surcharges systémiques de capital supplémentaire, prélevées sur les plus grandes banques du monde en fonction de leur taille et de leur connectivité. Cette taxe sur les externalités de risque systémique repose sur de solides bases conceptuelles. Et, fait encourageant, une bonne politique économique a su se frayer un chemin dans de bonnes politiques publiques. L'an dernier, le Conseil de stabilité financière (CSF) s’est entendu pour instituer une échelle mobile des taxes systémiques pour les plus grandes banques du monde. La taxe la plus élevée a été fixée à 2,5% du capital.

C’est pourtant là le cœur du problème. Sur la base de mes estimations, un tel taux est insuffisant pour affecter le comportement des plus grandes banques du monde. La probabilité de défaillance serait réduite grâce à la capacité accrue d’absorption de chocs que procure un capital plus élevé. Mais cela ne compenserait pas la hausse générale des pertes en cas de défaillance qu’entraînerait un comportement plus risqué justifié aux yeux des banques par cette augmentation de la capacité d’absorption des chocs. La taxe systémique est tout simplement trop faible.

(b) Les régimes de résolution des faillites. Une bonne approche du traitement de banques en situation de faillite permet de réduire le coût de l’opération, voire de la rendre rentable pour le contribuable. Un bon régime de résolution traite à la racine le risque systémique. Et des progrès significatifs en matière de politique publique ont été réalisés sur ce front, car au cours des 18 derniers mois, le CSF (avec l’approbation du G20) a publié un certain nombre de propositions législatives (Key Attributes for Effective Resolution Regimes). L’un des éléments phares de ces propositions, nommé « bail-in », est la capacité d'imposer aux créanciers privés et aux actionnaires de supporter les pertes plutôt que de laisser le contribuable s’en charger.

Comme pour les surcharges systémiques, le problème ici ne tient pas tant au principe qu’à son application dans la pratique. Qu’il concerne les grandes banques ou les dettes publiques, un bon régime de résolution est soumis à un grave problème de cohérence dans le temps. Les régulateurs doivent  choisir entre, d’une part, imposer à un groupe réduit (les actionnaires et détenteurs d’obligations) des pertes immédiates (le bail-in) et, d’autre part, répartir dans le temps ces coûts entre un grand nombre de contribuables (le bail-out) - une répartition trop diffuse pour qu'ils s’en rendent compte.

En général, le gouvernement aura tendance à adopter la seconde solution - et y a d’ailleurs presque toujours eu recours à travers l’histoire, notamment en réponse à la crise financière actuelle. Elle permet de repousser les échéances et elle évite un conflit direct avec des groupes influents. Bien sûr, il pourrait en être tout autrement la prochaine fois. Cependant, le marché, lui, est sceptique. Par exemple, aux États-Unis la loi Dodd-Frank, sur le papier, impose à l’avenir le renflouement en bail-in et écarte la possibilité de tout sauvetage public. Pourtant, les attentes sont claires : le marché s’attend à ce que le soutien de l'Etat pour les banques américaines soit plus élevé aujourd'hui qu'il ne l’était avant la crise, et ce malgré l’entrée en vigueur de la loi Dodd-Frank. Le dilemme de la cohérence dans le temps, du moins aux yeux des marchés, est plus aigu que jamais.

(c) Les réformes structurelles: une façon d'atténuer ce dilemme pourrait consister à agir directement au niveau de la taille et de la structure de la banque. Plusieurs initiatives récentes de réforme de la réglementation ont cherché à le faire, notamment la « règle Volcker » aux États-Unis, les « propositions Vickers » au Royaume-Uni et, plus récemment, le rapport Liikanen en Europe. Bien qu’elles diffèrent au niveau des détails, chacune de ces propositions partage un objectif commun : parvenir à un certain degré de séparation ou de confinement entre investissement et activités de banque commerciale.

En principe, ces initiatives de cloisonnement des activités apportent des bénéfices aussi bien ex-post (meilleure résolution ou mise en faillite) qu’ex-ante (gestion des risques améliorée). Et étant donné qu’elles agissent sur la structure bancaire, leurs chances de résister à l’épreuve du temps sont accrues. Bien que cela constitue un véritable pas en avant, ces avantages ne seront crédibles que si le cloisonnement parvient lui-même à le rester. En effet, nombreux sont ceux qui se demandent si, dans la pratique, la séparation des comptabilités pourrait s'avérer poreuse. Car si l’on n’y prend pas garde, le cloisonnement d’aujourd’hui pourrait devenir demain un parapluie criblé de trous.

Que faire, si chacune de ces initiatives est nécessaire, mais qu’aucune n'est suffisante, individuellement ou collectivement, pour faire face au « trop gros pour faire faillite » ? Une solution pourrait consister à renforcer ces propositions. Par exemple, on pourrait envisager un réajustement de la surtaxe sur le capital, éventuellement sur la base des estimations quantitatives concernant le ratio de fonds propres optimal.

Une option plus radicale, évoquée récemment par un certain nombre de commentateurs et de décideurs, serait de tout simplement plafonner la taille des banques, soit en fonction du système financier dans son ensemble, soit, de façon plus cohérente, en fonction du PIB. Les propositions de ce type sont généralement confrontées à deux types de critiques.

La première critique est d’ordre pratique : comment calibrer une limite appropriée ? Une étude récente sur le lien entre la profondeur et financière et croissance économique apporte un éclairage sur la question : elle suggère qu'il existe un seuil à partir duquel le rapport crédit privé sur PIB pourrait commencer à avoir un impact négatif sur le PIB, et en particulier, sur la croissance de la productivité. En analysant attentivement ce seuil global ainsi que le degré le plus approprié de concentration au sein du système financier, on pourrait établie un seuil propre à chaque institution.

La deuxième critique est d’ordre empirique : limiter la taille des banques les rendrait-il moins efficaces ? Il y a encore peu de temps, la littérature empirique suggérait que l’efficacité des banques décline à partir de tailles relativement basses. Mais un certain nombre d'études récentes ont dressé un tableau plus optimiste, détectant un seuil de plus de 1000 milliards de dollars.

Pourtant, ces résultats doivent être interprétés avec prudence, notamment parce qu’ils ne tiennent pas compte des subventions implicites associées au « trop gros pour faire faillite », telles que nous les avons décrites plus haut. Ces subventions ont tendance à réduire les coûts de financement des grandes banques et à gonfler leur valeur ajoutée. En d'autres termes, la subvention implicite a pour effet d’augmenter le seuil à partir duquel l’efficacité des banques décline. Une étude de la Banque d'Angleterre a récemment montré qu’une fois que ces subventions sont prises en compte, le seuil est abaissé à 100 milliards de dollars. En réalité, il semble que l’efficacité des banques décline assez rapidement avec la taille parce que les grandes banques sont aussi « trop grosses à gérer ».

Loin d'avoir disparu, le « too-big-to-fail » est toujours là. Il est par conséquent d'autant plus vital de ne pas l’oublier. De nouveaux travaux, examinant les coûts et les avantages liés aux différentes propositions de réforme structurelle, permettraient de rafraîchir les mémoires et de maintenir la réforme des politiques bancaires sur la bonne voie.

 

Une version anglaise de ce texte est publiée sur le site de notre partenaire Vox.