Egypte, Syrie: le désarroi de l’Occident edit

28 août 2013

Les Occidentaux, qui soutenaient au moins de façon implicite les régimes arabes dictatoriaux suivant la logique du « tout sauf les islamistes », ont tout d’abord été désarçonnés par les protestations qui se sont produites dans le monde arabe un peu contre toute attente en 2011. Même si elles ont fait l’objet de répressions plus ou moins fortes, elles ont contribué au départ de dirigeants qui étaient au pouvoir depuis très longtemps – Ben Ali en Tunisie, Hosni Moubarak en Egypte, Mouammar Kadhafi en Libye – et conduit à l’organisation des premières élections libres dans ces mêmes pays. Mais elles ont aussi provoqué des conflits plus ou moins violents entre forces rebelles et loyalistes aux pouvoirs en place en Libye, en Syrie, au Yémen ou à Bahreïn. Ces événements ont suscité en Occident à la fois des inquiétudes et de l’espoir, celui de voir la région du monde la plus réfractaire à la démocratie se démocratiser enfin. Le modèle que l’on a alors souvent projeté sur le « printemps arabe », à tort, on le sait maintenant, était celui de la libéralisation des pays de l’Est en 1989, les différents régimes communistes tombant les uns après les autres comme une cascade de dominos.

Les Occidentaux ont été ensuite abasourdis par l’arrivée au pouvoir d’islamistes en Tunisie (Ennahda) et en Egypte (Frères musulmans) à l’issue d’élections libres. Ils n’ont pas moins été étonnés de la violence du conflit en Syrie, qui aurait fait plus de 100 000 morts selon l’ONU depuis son déclenchement en mars 2011. L’accession des islamistes au pouvoir fut en partie une surprise car la plupart de ces mouvements n’avaient pas pris part de façon active aux protestations de 2011. En même temps, il y avait une logique dans ces victoires à partir du moment où les islamistes forment les mouvements les plus structurés et les mieux organisés. Ils bénéficient du prestige d’avoir été durement réprimés par les régimes précédents. Enfin, ils jouent un rôle essentiel de nature caritative auprès des populations les plus pauvres, ce qui assure le soutien de ces dernières.

Dans les pays occidentaux, les points de vue sur cette montée en puissance des islamistes ont été alors partagés. Les sceptiques craignaient que les islamistes ne finissent par confisquer définitivement le pouvoir suivant le « modèle iranien ». Le mouvement révolutionnaire qui a conduit au départ du Shah initialement porté par une large partie de la société iranienne a été, en effet, très rapidement détourné par les éléments conservateurs du clergé chiite pour aboutir à la mise en place fin 1979 d’une véritable théocratie sous l’autorité de l’ayatollah Khomeyni. Les optimistes, eux, tendaient à mettre l’accent sur le « modèle turc » et le caractère « modéré » des mouvements qui arrivaient au pouvoir en formulant l’hypothèse selon laquelle le seul moyen d’ancrer durablement la démocratie dans le monde arabe était de démontrer de façon concrète la comptabilité entre l’islam et la démocratie que seuls des régimes islamistes modérés étaient susceptibles de pouvoir entreprendre, à l’instar de qu’a pu faire l’AKP au pouvoir en Turquie depuis 2002. La réalité n’a été conforme ni à l’une, ni à l’autre de ces prédictions.

Les Occidentaux semblent être à nouveau désemparés depuis cet été en ne sachant trop sur quel pied danser face à l’évolution de la situation dans les pays arabes. En juillet, un opposant politique, Mohamed Brahmi, a été à nouveau assassiné en Tunisie, quelques mois après le choc provoqué par celui de Chokri Belaïd. En Egypte, ce même mois, les militaires ont repris le pouvoir en renversant le président Morsi au terme d’un véritable coup d’Etat, même s’il a rencontré une certaine approbation populaire. Cela s’est traduit par une vive répression des pro-Morsi, en particulier le 15 août dernier conduisant au décès de plus de 600 personnes, l’arrestation de Morsi et du principal dirigeant des Frères musulmans, Mohamed Badie, et la libération d’Hosni Moubarak. Les Occidentaux ne savent pas trop s’ils doivent se réjouir de cette reprise en main du pays par l’armée ou bien craindre le retour d’une dictature militaire ou même une guerre civile en Egypte.

Enfin le conflit syrien semble être entré dans une nouvelle phase depuis cet été avec l’affirmation par les autorités syriennes de leur prochaine « victoire » suite à plusieurs succès militaires et surtout l’utilisation massive d’armes chimiques le 21 août dans la périphérie de Damas contrôlée par les rebelles. Là aussi, les Occidentaux sont déroutés car s’il est avéré que la fameuse « ligne rouge » a bel et bien été franchie par le régime de Bachar el-Assad du fait de son recours à des armes chimiques, ils seront tenus de réagir d’une manière ou d’une autre, y compris éventuellement sur le plan militaire. Or, les expériences précédentes d’interventions dans le monde arabe – guerre en Irak en 2003, intervention en Libye en 2011 – montrent que le but recherché (renversement des régimes de S. Hussein et de M. Kadhafi) peut être atteint, mais au prix d’un chaos sécuritaire pour ces pays et de dommages collatéraux ailleurs, comme ce fut le cas au Mali. Les risques sont d’autant plus grands dans le cas syrien que Bachar el-Assad a menacé d’utiliser ses armes chimiques en cas d’intervention occidentale, que les rebelles sont extrêmement divisés et que figurent parmi eux des groupes djihadistes proches d’Al-Qaïda que personne n’a envie de voir au pouvoir à Damas dans un pays menacé de partition ethnique.

Le désarroi des pays occidentaux apparaît donc très grand face à l’évolution du monde arabe car, dans l’état actuel des choses, ils semblent être dans une impasse puisqu’ils ne peuvent ni intervenir directement sur le cours des événements, ni rester indifférents au sort des populations réprimées.