Maroc: la victoire électorale de la monarchie edit

2 décembre 2011

La victoire du Parti de la Justice et du Développement (PJD) est une victoire pour le système politique marocain. Démonstration est faite, en effet, de ce que réformer un système politique est possible, et que cela accouche plus vite, plus efficacement et avec moins de souffrances de transformations sérieuses. Il faut souligner quatre traits fondamentaux du processus ayant permis l’intégration politique de l’islamisme : l’inscription de la réforme politique marocaine dans la durée ; la capacité à gérer politiquement la contestation ; le choix de la transformation contrôlée du système ; le pari légitimiste de l’islamo-démocratie conservatrice.

L’évolution du système politique n’est pas le seul produit de la « pression de la rue », mais d’un triple désamorçage du potentiel déstabilisateur de la contestation. Le premier date de la dernière décennie du règne précédent, avec l’ouverture de l’espace politique à la société civile et l’organisation d’une alternance au gouvernement permettant d’absorber l’opposition historique. Le deuxième se situe à l’avènement du nouveau roi, qui s’engage personnellement dans le champ social et dans un projet de développement du pays. Le troisième date du 9 mars 2011, quand, à la suite de ce qu’il est convenu d’appeler le Printemps arabe et de son prolongement marocain, la décision a été prise de reprendre un processus de réforme quelque peu endormi et d’inscrire, ce faisant, la réponse à la contestation dans la dynamique politique de la continuité réformatrice. L’efficacité de ce triple désamorçage est attestée par, d’abord, la difficulté du Mouvement du 20 février à mobiliser massivement, et, ensuite, par son incapacité à traduire sa revendication d’un changement de régime dans des termes audibles pour la majorité de la population. Le referendum du 1er juillet sur la nouvelle constitution, qui doit se lire en termes de plébiscite de la monarchie, a clairement démontré que le sommet du système politique marocain ne souffrait d’aucune usure et que les changements radicaux n’étaient pas du goût de la population.

Depuis le déclenchement du Printemps arabe et, en particulier, depuis les premières mobilisations du 20 février, les autorités marocaines et, tout particulièrement, le ministre de l’Intérieur ont largement fait le choix d’une gestion faiblement policière de la contestation. Ceci aussi n’est pas totalement nouveau, si l’on veut bien se souvenir que la tension sociale dans la région du Sahara occidental n’a pas été le prétexte, tout au long de cette dernière année, à une répression systématique, au point d’ailleurs que le reproche a été fait aux autorités de ne pas avoir suffisamment anticipé le risque sécuritaire que posaient les clivages ethniques caractéristiques des villes de ces provinces. Le double mouvement de contestation, l’un socioéconomique, l’autre politique, qui a marqué la vie marocaine depuis le 20 février, a fait l’objet d’une gestion mélangeant les gratifications matérielles pour dégonfler la charge explosive de la fracture sociale et les mesures institutionnelles pour faire bouger les lignes de la carte politique. Ce dosage, qui n’est jamais tombé dans le tout sécuritaire, a permis d’éviter que les deux bouts de la contestation se rejoignent et que le mouvement socioéconomique ne se politise. Parallèlement, l’adoption d’une constitution renforçant les prérogatives du gouvernement et du Premier ministre a signifié la mise en demeure des partis politiques de se prendre davantage en main. Le Palais ayant en quelque sorte « fait son boulot », c’était au champ partisan d’assurer le relai, une fois le rapport de force clairement établi par les élections. C’est à cet instant précis que nous nous trouvons.

Le Mouvement du 20 février regroupe deux composantes principales : la gauche radicale (dont le parti du Nahj demoqrati et l’Association marocaine des droits de l’homme) et l’association islamiste Justice & Bienfaisance. L’agenda de ces deux tendances, à bien des égards aux antipodes, se retrouve sur la mise en cause globale du système politique et donc dans une aspiration républicaine. Pour des raisons d’opportunité, cette revendication n’a jamais été totalement explicite, mais elle est indéniable et facile à documenter. Le suicide étant rarement du goût d’un système politique, il n’est pas étonnant que les autorités ne se soient pas alignées sur cette perspective. A défaut de constituante démocratiquement élue, le choix a été fait d’une commission exclusivement marocaine pour la rédaction d’une nouvelle constitution. Celle-ci a entendu tout ce que la société politique et civile comporte d’associations, syndicats, partis et autres groupes d’intérêt. N’en ont été exclus que ceux qui, pour reprendre leurs propres termes, se considéraient comme « une force de protestation, pas de proposition ». On connaît le résultat du travail de la commission : un texte qui n’affaiblit pas le pouvoir du roi, mais renforce les prérogatives du gouvernement et du parlement, la protection des droits humains et du pluralisme, les représentations identitaires et régionales. Le caractère plébiscitaire du referendum d’adoption de la constitution n’aura échappé à personne, mais on ne saurait pour autant en inférer le caractère illégitime de la nouvelle charte fondamentale du pays. Celle-ci définit une Deuxième monarchie, qui n’est bien sûr qu’une étape dans la vie politique marocaine, pas un terminus ad quem mais un terminus a quo. La monarchie a contrôlé la transformation du système, mais il ne s’en agit pas moins d’une transformation.

En ne s’attaquant pas de front au régime monarchique – que sa légitimité religieuse immunise partiellement d’une mise en cause fondée sur l’islam –, en adoptant la stratégie de la patience et des concessions, et en labourant le champ social, le PJD a réussi à intégrer le paysage du pays.

Mais le plus dur reste probablement à accomplir, pour le PJD comme pour le Palais. S’agissant des premiers, il leur reviendra à convertir une victoire électorale conjoncturelle en une permanence politique structurelle. Quant au Palais, il lui reste à continuer de réformer sans pour autant se saborder.