Espagne: la clarification du 26 juin 2016 edit

29 juin 2016

Les urnes ont parlé et ont parlé clair. Elles ont même réservé deux surprises majeures : le redressement du Parti Populaire et le relatif échec de Podemos, qui entraîne avec lui la dissipation du rêve d’une majorité de changement.

Dès dimanche soir, les commentateurs ont insisté sur l’écart entre les résultats et les sondages pré-électoraux. Ceux-ci n’avaient aucunement anticipé la remontée populaire et avaient largement surestimé le vote en faveur de Podemos. Il s’est passé avec la gauche radicale ce qui s’était passé en décembre avec les centristes de C’s : les sondages leur avaient accordé jusqu’à 20% des voix, ils terminèrent à 13%. Cette fois-ci l’élan pendant la campagne semblait être du côté de Podemos qu’on voyait dépasser le PSOE. Il n’en a rien été. Du coup, comme toujours, entre l’anticipation des résultats et les résultats naît un espace de spéculation dont on a un peu de mal à sortir au moment de la soirée électorale.

L’étude précise des résultats vient corriger ce mirage et permet donc d’esquisser les réponses à notre dernière livraison sur Telos : « La crise politique espagnole est-elle soluble dans les élections? ».

Des résultats sans ambiguité
Les résultats sont parfaitement clairs et si on les synthétise par le tableau ci-dessous, on en a une vision limpide :

1. Nous regroupons sous cette rubrique les partis suivants : Esquerra republicana de Catalunya, Convergencia Democratica de Catalunya, Partido Nacionalista Vasco, EH Bildu, Coalición Canaria.

Il n’y a aucun doute sur le vainqueur des élections. En voix et en sièges, le PP est le seul à  progresser. Mieux même, il arrive en tête dans quinze des dix-sept communautés autonomes (en décembre, les socialistes gagnaient dans leurs fiefs en Andalousie et en Estrémadure). En Catalogne et au  Pays Basque, les listes de Podemos arrivent en tête, signe que la recomposition politique affecte avec force deux territoires singuliers dans lesquels les nationalistes doivent désormais compter avec une alternative inédite.

Le PSOE ne s’est pas effondré. Certes, il recule encore et ses 85 élus font pâle figure par rapport aux 169 députés de 2008, voire aux 110 de 2011. Mais la gauche radicale n’a pas pasokisé le PSOE et celui-ci se redresse un petit peu à Madrid (le PSOE gagne 30 000 voix et 1 député), à Valence (+ 10 000 voix), à Saragosse (+ 6000 voix). Les gains sont marginaux et in fine effacés par un recul en Anadalousie (- 80 000 voix), mais ils semblent indiquer comme une fin de l’hémorragie du vote jeune et urbain. De là à revendiquer l’hégémonie à gauche, il y a un pas que la prudence commanderait de ne pas franchir. Mais Pedro Sánchez le leader socialiste qui a utilisé cette expression dimanche soir ne faisait ici que conforter son leadership au sein du PSOE. Sa grande rivale Susana Diaz est affaiblie par les résultats socialistes en Andalousie. Sánchez peut respirer et espérer conduire la rénovation du socialisme démocratique espagnol. Il a du travail! Le PSOE doit repenser l’ensemble de son message politique et faire enfin l’inventaire de la période Zapatero. Ce sera difficile et compliqué et les tensions peuvent conduire à des déchirures sans retour.

Pour Podemos, comme l’ont reconnu tant Iñigo Errejón que Pablo Iglesias, les résultats sont décevants. Non seulement l’alliance avec Izquierda Unida n’a pas permis de dépasser le PSOE mais les élus restent à l’étiage de 71. La déception est liée aux espoirs suscités par des sondages trop flatteurs. Pour autant, sans l’alliance avec Izquierda Unida et à cause des effets de la loi électorale, Podemos aurait pu perdre beaucoup de sièges. Alors que les candidatures radicales perdent plus de un million de voix (soit 17% de leur électorat), le groupe Podemos conservera le même nombre de députés (71). Les centristes perdent 11% de leur électorat mais 20% de leurs élus (-8).  L’alliance avec Izquierda Unida aura été bénéfique. Sans celle-ci, le PP aurait sans doute glané entre 5 et 8 sièges supplémentaires.

Et maintenant?
La majorité absolue est à 176. Le bloc des droites (PP et C’s) est à 169 ; le bloc des gauches (PSOE et Podemos) à 156. Autrement dit la quasi-égalité de décembre (163/161) est brisée au profit de la droite et grâce à la montée du PP qui fait mieux que compenser le recul de C’s.

Pour autant ces regroupements ne sont pas automatiques. En février dernier, c’est avec le PSOE que C’s avait passé un accord de gouvernement. Aujourd’hui la somme PSOE-C’s ne regroupe que 117 députés, soit moins que le groupe parlementaire populaire (alors qu’en décembre cela représentait 130 élus face aux 123 populaires). La voie d’un gouvernement socialiste-centriste minoritaire n’existe pas.

Pas plus que la majorité de progrès et de changement. PSOE et Podemos ne rassemblent que 156 élus. De même qu’en mars, le PSOE n’avait pas pu élargir son accord de gouvernement avec les centristes vers Podemos, un accord (improbable) entre socialistes et podemitas se ferait sans le soutien centriste. Albert Rivera et son équipe viennent de constater que leur électorat est plutôt de centre-droit. Une aventure à gauche serait mortelle pour les centristes.

Quant à construire un front anti-PP, si l’arithmétique le permettrait (la somme socialistes+Podemos+nationalistes, à l’exception de EH Bildu, hors jeu de toute alliance possible à cause de ses liens historiques avec les terroristes de l’ETA, arriverait à 178), elle est rigoureusement impossible sur le plan politique. Les nationalistes catalans de la droite libérale (Convergence Démocratique de Catalogne) sont peut-être prêts à tout, mais pas les députés nationalistes basques du PNV! En outre, à l’automne, les Basques renouvellent leur parlement autonome (et peut-être aura-t-on aussi des régionales anticipées en Catalogne). La concurrence de Podemos (ils obtiennent 29% des voix dans les circonscriptions de Guipuzcoa, Vizcaye et Alava) inquiètent le PNV (24% des voix seulement). On pourrait imaginer qu’une abstention favorable au PP enclenche un mécanisme de renvoi d’ascenseur à l’automne pour le contrôle du gouvernement régional à Vitoria.

En fait, il n’y a pas de majorité qui ne passe par le Parti Populaire. Ne pas reconnaître ce fait c’est courir le risque d’aller à une nouvelle consultation car le blocage, s’il était maintenu, produirait les mêmes effets institutionnels. Mais les contours de cette majorité restent à définir puisque les seuls élus PP restent très en-deçà du seuil de la majorité absolue (il manque 39 voix).

L’immédiat après-élection semble maintenir toutes les incertitudes. Pedro Sánchez retarde au 9 juillet la réunion du comité fédéral du PSOE mais annonce qu’il ne soutiendra aucun gouvernement du PP. Albert Rivera fait savoir qu’il est disposé à parler de programme et de réformes (notamment celle de la loi électorale) mais pas à voter pour Rajoy. Ce sont là des postures qui se dénoueront dans la douleur et l’amertume. On sait les relations de Rajoy et Sánchez et celles de Rajoy et Rivera tout à fait mauvaises. Tant le socialiste que le centriste doivent être décomposés de voir survivre ce leader conservateur qui manque de charisme et qui préside depuis 2004 un parti englué dans des affaires de corruption. Il leur faudra beaucoup d’abnégation pour accepter cet état de fait. Il faut souhaiter qu’ils en soient capables. Quant à Mariano Rajoy, fort de ce succès, on aimerait qu’il soit enfin capable d’articuler une vision un peu large de l’avenir de l’Espagne, ce dont on peut douter tant son discours de dimanche soir était faible et indéfini (toujours cette nature galicienne!). Il a convoqué dans ses premières déclarations le thème du Brexit et de la crise européenne. Puisse-t-il être l’aiguillon qui redonnerait à la politique espagnole un peu de hauteur de vues. L’avenir est à ce prix et il y a urgence.

PS : Au regard des réactions de P. Sánchez et de A. Rivera, on peut esquisser le scénario suivant. Le PP présente Mariano Rajoy à l’investiture. Celui-ci échoue au premier tour (137 pour, 178 contre [la somme des gauches et nationalistes] et 32 abstentions ou 137 pour et 210 contre). Ainsi est manifesté le rejet personnel de Rajoy. Et pour forcer au changement de candidat, même vote au second tour. Dans ces conditions le PP est obligé de sacrifier Rajoy. Ce serait la vengeance des vaincus à l‘égard de leur vainqueur. Plusieurs problèmes : 1) le PP va soutenir jusqu’au bout la candidature Rajoy ; 2) si Rajoy n’est pas investi fin juillet, le délai de deux mois avant la dissolution automatique du Parlement se remet à courir et la possibilité de troisième élection deviendrait réelle, et tout cela dans un contexte européen de grave crise. L’Espagne se ridiculiserait. De plus PSOE et C’s se disqualifieraient gravement, et lors de nouvelles élections, le PP pourrait encore progresser. Ce scénario cauchemardesque n’est pas à exclure totalement. Comme nous l’avons écrit, l’articulation entre une société espagnole mouvante et dynamique et une classe politique sectaire et partisane demeure difficile.