Trump peut-il gouverner l’Amérique? edit

17 mars 2017

Elisabeth Drew qui suit la politique intérieure américaine pour la New York Review of Books conclut son dernier article en date du 7 février par les observations suivantes : « les Républicains peuvent supporter Trump tant qu’ils ont des raisons de craindre la réaction de ses partisans mais si, à un moment donné, il devient trop coûteux politiquement de le soutenir, ils seront très à l’aise pour prendre Pence (le vice-président) comme solution de rechange. »

Si les Européens ont de bonnes raisons de se préoccuper des foucades de Trump en matière de politique étrangère, il ne faut jamais perdre de vue le fait qu’aux États-Unis, les carrières des présidents se font et se défont en fonction des aléas de la politique intérieure. Il en sera ainsi pour Trump comme pour tous ses prédécesseurs.

Or aujourd’hui, trois obstacles de taille se dressent en interne face à l’hôte de la Maison-Blanche et contribuent à accroitre le malaise du camp républicain. Le premier, qui a beaucoup agité l’opinion depuis trois semaines, est la réaction de l’appareil judiciaire aux initiatives de l’exécutif. La décision du président sur l’interdiction d’accès aux États-Unis de citoyens originaires de sept pays musulmans, ce que la presse a appelé le « Muslim ban », a été annulée par les tribunaux fédéraux de première instance puis d’appel. Il est vrai que le texte avait été rédigé à la va-vite par quelques conseillers de la Maison Blanche, sans consultation des ministères compétents.

Un nouveau décret vient d’être promulgué, excluant de la liste l’Irak, partenaire militaire des Américains. Ce texte s’est révélé difficile à rédiger car l’équipe de Trump découvre une déplaisante réalité : les États-Unis sont un pays de droit où on ne peut pas faire n’importe quoi, même quand on est président, car les avocats et les magistrats sont vigilants et les associations de défense des droits des citoyens comme l’ACLU sont puissantes.

Il n’est même pas sûr que la nomination en cours d’un juge très marqué à droite à la Cour Suprême garantisse un blanc-seing systématique aux initiatives du président. La Cour est très soucieuse de ses prérogatives et n’hésitera pas à désavouer Trump s’il ne respecte pas la Constitution. Après tout les juges sont nommés à vie et seront encore là après le départ de l’actuel président.

Le deuxième obstacle tout aussi redoutable est celui des médias. Depuis son élection, le milliardaire ne cesse de pourfendre les médias américains considérés par lui comme « la plus grande menace pesant sur les États-Unis ». Certes, une brochette de titres prestigieux, le New York Times, le Washington Post, des chaînes d’information comme CNN ou MSNBC ou des sites comme Politico ne ménagent pas le président et profitent de nombreuses fuites émanant des administrations et même de la Maison-Blanche pour diffuser des informations embarrassantes pour le pouvoir.

Là encore, on voit mal comment Trump et son conseiller Stephen Bannon qui veut « démolir l’État » considéré comme un nid de démocrates et de gauchistes pourront venir à bout de ces indiscrets. La liberté de la presse est une composante majeure des institutions américaines, comme s’est fait un plaisir de le rappeler il y a quelques jours l’ancien président George W. Bush. Au surplus, les médias sont d’autant plus enclins à attaquer le président que cette attitude agressive se révèle payante pour eux. Les abonnements numériques des journaux progressent de manière spectaculaire et la chaîne d’information la plus à gauche, MSNBC, bat des records d’audience.

La contre-offensive de Trump et de son équipe de communicants consiste à boycotter ces mauvais esprits et à s’adresser presque exclusivement aux médias amis comme Fox News ou le site d’extrême-droite Breibart News tout en utilisant systématiquement le compte Twitter du président qui est capté par 20 millions d’abonnés. Cette solution présente cependant l’inconvénient majeur de couper le pouvoir de supports d’information influents alors que tous les présidents depuis Nixon se sont efforcés souvent avec succès de se concilier les journalistes et notamment les correspondants de la Maison-Blanche. Aux États-Unis, plus peut être qu’ailleurs, le pouvoir a besoin d’expliquer sa politique de manière moins schématique qu’avec les 140 signes de Twitter. L’affrontement permanent avec les médias ne peut que conduire à une impasse comme le même Nixon en fit l’amère expérience.

Le plus grand danger peut-être pour la présidence Trump est le débat sur l’intervention de la Russie dans les affaires intérieures du pays. Pour en mesurer la gravité, il faut prendre en considération le fait capital que les Républicains ont depuis un demi-siècle manifesté une hostilité constante à l’encontre de l’Union soviétique puis de la Russie. Ils ont toujours été sensibles au risque entraîné par l’actions d’agents d’influence, communistes autrefois, poutiniens aujourd’hui.

La volonté maintes fois exprimée par Trump de nouer des rapports cordiaux avec Poutine dont il fait constamment l’éloge a certes fait évoluer l’électorat républicain. Désormais, celui-ci est plus favorable à la Russie que les Démocrates. Néanmoins, l’accumulation de preuves sur les relations entre les proches de Trump et les Russes, pendant la campagne électorale, crée un malaise au Congrès. Les présidents républicains des commissions du Renseignement des deux chambres ont été contraints d’entamer des investigations sur une affaire qui peut leur ménager de mauvaises surprises. Le ministre de la Justice, Jeff Sessions, qui avait dissimulé ses rencontres avec l’ambassadeur de Russie a dû se récuser pour l’enquête sur la campagne électorale qui sera suivie par un de ses adjoints.

Dans un long reportage publié par le Washington Post du 5 mars, il est fait état de l’exaspération croissante de Trump qui se rend compte qu’il est beaucoup plus compliqué de diriger un grand pays que ses affaires personnelles. Manifestement le président ne supporte pas les mises en garde des juristes et surtout les fuites incessantes sur tous ses faits et gestes alors que ces fuites sont une caractéristique de la vie politique américaine que tous ses prédécesseurs ont dû accepter.

Il semble aussi que l’hôte de la Maison-Blanche commence à réaliser que son agenda de réformes et notamment le lancement d’un vaste plan d’investissement dans les infrastructures du pays ne coïncide que partiellement avec les objectifs d’un Congrès très conservateur. Celui-ci ne veut pas augmenter les déficits et a surtout comme préoccupation de réduire les impôts des plus riches et de liquider le plus vite possible le régime d’assurance maladie promulgué par Obama, sans trop se soucier du sort des vingt millions de nouveaux assurés dont beaucoup ont voté Trump.

La médiocre cote de popularité de Trump qui oscille entre 40 et 45% d’opinions favorables et ses divergences avec les élus de son parti augurent mal de la prochaine échéance électorale, les « midterm », qui aura lieu en novembre 2018 et à laquelle les états-majors des deux partis commencent à penser sérieusement. Les premières projections réalisées à partir des sondages font craindre des pertes spectaculaires aux Républicains, une perspective que les élus n’envisagent pas avec sérénité.

Si le président ne parvient pas à mettre un terme à un comportement chaotique qui indispose une partie croissante de l’opinion, la prédiction d’Elisabeth Drew risque de se réaliser et le pays traversera une nouvelle crise institutionnelle.