Ukraine : la machine à remonter l’Otan edit

8 avril 2008

Le Sommet de l’Otan à Bucarest a vu de vifs débats sur l’adhésion éventuelle de l’Ukraine, mais sur le plan intérieur, la cause semble entendue : soutenir les aspirations ukrainiennes à l’Otan, ce serait couronner l’esprit de la Révolution orange en encourageant la démocratie. Un examen attentif de la situation amène pourtant à davantage de prudence.

C’est avant tout chez les experts des affaires militaires et de défense, ainsi qu’au sein des centres de réflexion stratégique, que l’on trouve les plus fervents partisans de l’adhésion ukrainienne à l’Otan. Plus encore qu’une alliance militaire, l’Otan est perçue comme un choix géopolitique afin de garantir la souveraineté contre les ingérences éventuelles du voisin russe. L’Otan serait ainsi l’équivalent fonctionnel de l’arme nucléaire que Kiev a dû rétrocéder à Moscou au milieu des années 1990, notamment sous la pression américaine.

Toutefois, ce n’est pas la communauté stratégique qui obtiendra le dernier mot, puisque l’orientation pro-Otan doit être entérinée par le pouvoir politique et la population. Et contrairement à l’UE et à l’OMC, qui sont dans l’ensemble bien acceptées, l’Otan divise les politiques et plus encore l’opinion publique ukrainienne.

Si la majorité est plutôt favorable à l’adhésion alors que l’opposition est plutôt rétive, la ligne de fracture n’est toutefois pas aussi nette que l’on pourrait le supposer.

Parmi les trois partis partenaires de la Révolution Orange – le parti Notre Ukraine de Viktor Iouchtchenko, le Bloc Timochenko et les socialistes d’Oleksandr Moroz – on trouve toute une gamme d’opinions divergentes. Les plus farouches partisans de l’Otan se trouvent chez Iouchtchenko ; le président met tout son crédit – certes aujourd’hui diminué – pour la réalisation de cet objectif qu’il juge hautement prioritaire. Le bloc Timochenko ne manifeste pas le même attachement à l’Otan. La position de la Première ministre, Ioulia Timochenko, résume assez bien les ambigüités actuelles. Elle s’avère bien davantage pro-européenne que pro-Otan, sans doute parce qu’elle sait qu’elle devra ménager les régions Est et Sud de l’Ukraine pour l’emporter dans les présidentielles de 2009, pour lesquelles elle fait aujourd’hui figure de favorite. Enfin, les socialistes, qui ne siègent plus au Parlement depuis septembre 2007 après avoir participé à une « coalition anticrise » avec le Parti des régions de Viktor Ianoukovitch et les communistes, sont opposés à l’adhésion à l’Otan.

L’opposition n’est pas davantage homogène, même si certains emploient une rhétorique très dure. Le Parti des régions s’oppose à l’adhésion, d’une manière toutefois moins véhémente que les communistes. Lorsque Viktor Ianoukovitch est redevenu Premier ministre entre août 2006 et décembre 2007, la rivalité institutionnelle qui existait avec le président a ralenti l’intégration. Ianoukovitch a demandé une « pause » dans le processus d’adhésion en septembre 2006 lors d’un discours à Bruxelles. De fait, il apparaît que l’opposition à l’Otan est un thème qui ressurgit périodiquement au moment des élections, tout comme celui de l’adoption du russe comme seconde langue officielle d’Ukraine. Dans la pratique, le Parti des régions n’exclut pas de coopérer avec l’Otan et l’a même fait par le passé. Le Bloc Litvine, du nom de l’ancien président de la Rada (le Parlement) aujourd’hui dans l’opposition (et un temps favorable à la coalition orange) se déclare pour sa part en faveur de la neutralité. Quant aux communistes, leur opposition à l’Otan ne souffre aucune contestation, mais leur poids électoral est désormais assez faible comparée à ce qu’il était il y a quelques années.

Enfin, la Révolution orange ne concernait nullement l’adhésion à l’Otan en soi, et les deux dynamiques (mouvement social dénonçant des fraudes électorales et adhésion à une organisation internationale) doivent être clairement séparées.

Tout d’abord, l’orientation vers l’Otan ne remonte pas à la présidence Iouchtchenko issue de la Révolution orange, mais à celle de Leonid Koutchma. En effet, le rapprochement avec l’Otan s’est effectué dès 1995 (Partenariat pour la paix), puis lors du Sommet de Madrid en 1997 ; en janvier 2001, le président ukrainien adopte un programme de coopération pour la période 2001-2004. En mai 2003, le Conseil de défense et de sécurité nationale se fixe pour objectif de rejoindre l’Otan, et le Parlement approuve cette orientation stratégique (dont des députés du Parti des régions). Difficile donc de se prévaloir d’un passé « orange » lorsque l’un des principaux architectes aura été l’ancien président désormais honni.

La Révolution orange avait marqué le triomphe d’une volonté populaire propre à renverser des choix et des arrangements politiques qui l’en excluait. Or, il faut observer que le soutien à l’organisation n’a que très rarement dépassé les 25-30% au cours de la décennie écoulée ; un sondage réalisé en décembre 2007 auprès de 1800 personnes donnait 53% de non à une adhésion à l’Otan, contre 32% d’un avis contraire. En outre, si l’on a vu des drapeaux européens dans les rues au moment de la Révolution orange, les drapeaux de l’Otan ont été aux abonnés absents.

Des inquiétudes étaient nées, lors de la Révolution orange, d’une relative polarisation au sein de la géographie électorale du pays. Prenons garde toutefois à ne pas tomber dans une vision trop manichéenne de résultats certes contrastés. Si les régions orientales et méridionales sont très hostiles à une adhésion, les autres régions ne lui sont pas pour autant extrêmement favorables. Pour mémoire, de grandes manifestations anti-Otan ont été organisées en juin 2006 en Crimée, région grandement influencée par la Russie, au moment de manœuvres militaires de l’alliance ; l’un des mots d’ordre était « rejoindre l’Otan mènerait à la dissolution de l’Ukraine ». D’autres, de taille bien plus modeste, sont survenues lors de la visite de George W. Bush à Kiev, sur la place de l’indépendance (Maïdan). Dans ces conditions, force est de constater que l’adhésion n’est pas de nature à renforcer la cohésion du pays.

In fine, la décision d’adhérer à l’Otan devra être prise par référendum. Il faudra alors prouver aux yeux des électeurs l’utilité de rejoindre une alliance solide ; une bonne campagne d’information peut laisser espérer un retournement suffisant de l’opinion, comme cela s’était passé en République tchèque dans les années 1990. Les partisans de l’Otan vont essayer de présenter l’adhésion comme un premier pas vers l’UE, même si les conditions posées par Bruxelles sont relatives à l’Etat de droit, à la démocratisation et à l’économie de marché et qu’elles ne font naturellement pas référence à l’Alliance atlantique.

Toutefois, les adversaires de l’adhésion feront valoir plusieurs arguments, qui vont au-delà des seules relations avec Moscou. L’adhésion impliquerait par exemple d’augmenter significativement le budget militaire tout en mettant en danger les industries militaro-industrielles coopérant avec les entreprises russes.

Le référendum est donc loin d’être gagné, d’autant que l’on peut déjà compter sur une forte mobilisation des anti-Otan. Proposer un Plan d’action pour l’adhésion (MAP) ne sera donc qu’une première étape avant un passage crucial, et difficile, par les urnes.