L’Union bancaire à l’épreuve italienne edit

7 avril 2016

L’adoption en juin 2012 des principes de l’Union bancaire a été légitimement saluée comme une avancée majeure de la construction européenne.

À l'épreuve de la crise l’Europe n’était pas seulement capable de réaction déterminée comme elle avait su le faire avec les crises grecque, irlandaise et portugaise en inventant des dispositifs appropriés sans se soucier de la lettre des traités, mais elle se révélait capable de corriger les failles de Maastricht et plus généralement de s’attaquer à l’incomplétude des institutions de l’Eurozone en créant d’abord le Mécanisme européen de stabilité (MES) puis l’Union bancaire (UB).

L’UB a été d’emblée saluée comme une avancée de l'intégration positive après tant de mesures de remédiation, une correction d’institutions européennes qui n’avaient rien prévu en matière de régulation macro-prudentielle comme en matière de régulation bancaire intégrée. En adoptant l’UB, les pays membres acceptaient sur le papier une mutualisation du risque et une renonciation de principe aux mécanismes inter-étatiques d'assurance peu de temps après avoir rejeté les eurobonds.

L’UB est apparue en juin 2012 comme la solution à une crise qui menaçait d'emporter des États affaiblis par leur soutien à leurs banques nationales, après s'être développée dans le bilan des banques par accumulation de mauvais risques étatiques.

Trois objectifs étaient simultanément poursuivis par le programme d'UB.

Un, casser le « doom loop », cette spirale perverse qui entraîne vers le bas banques et États dont le soutien mutuel provoque la défiance des marchés et aggrave leur crise commune. Plus les États creusaient leurs déficits, notamment par soutien à leurs banques, plus ils émettaient de la dette et plus les banques locales étaient sommées d’acheter cette dette réputée sans risque mais dont les investisseurs non-nationaux ne voulaient plus.

Deux, détacher les banques nationales de leurs adhérences aux régulateurs et aux décideurs nationaux, bref mettre un terme à la politique des champions nationaux  et plus encore aux écosystèmes politico-financiers locaux dont la crise espagnole avait révélé la contre-performance.

Trois, unifier le marché unique européen en incitant à la diversification des portefeuilles et des risques et sortir ainsi de la renationalisation financière qui fut un des résultats de la crise.

L’UB a été d’emblée conçue autour de trois piliers : la supervision (quelle est l’instance européenne existante ou à créer qui supervise les banques et à partir de quel seuil), la résolution (comment traiter la défaillance bancaire et avec quels fonds), la garantie des dépôts (comment assurer les déposants et avec quels moyens) ; trois piliers dont la mise en œuvre devait s’étaler sur une décennie. À défaut d’une mise en œuvre rapide les pays membres se sont mis d’accord sur des principes communs et ont laissé ouverte la question cruciale du financement de la garantie de dépôts. Trois principes se sont rapidement imposés : la prévention des risques avec la mise en œuvre de stress tests permettant d’évaluer les éventuels besoins en recapitalisation pour améliorer la solvabilité des 130 banques européennes supervisées, l’adoption de solutions de « bail in » c’est-à-dire de renflouement des banques en difficulté d’abord par les parties prenantes de la banque en difficulté puis par les banques de place, la mobilisation de la solidarité européenne comme solution ultime après épuisement des solutions locales.

La crise bancaire italienne de novembre 2015 a fonctionné comme un test grandeur nature de l’édifice en cours de construction, de son adaptabilité comme de ses failles. Rappelons-en les principaux épisodes avant de s’interroger sur les problèmes que soulève la nouvelle UB.

La crise italienne prend d’emblée un tour dramatique avec le suicide d’un retraité qui perd la totalité de son épargne, placée en obligations bancaires réputées aussi solides que des dépôts, suite à la faillite de la Banque d’Étrurie.

On apprend alors que quatre banques régionales, dont la Banque d’Étrurie, sont concernées et que les mauvais risques accumulés dans les bilans des grandes banques italiennes étaient plus importants qu’annoncé par les derniers stress tests. Le gouvernement italien réagit en mettant en œuvre par avance une solution qui doit devenir la norme européenne de résolution à partir du 1er janvier 2016, c’est-à-dire une solution de bail in qui consiste d’abord à rincer les actionnaires, puis les grands créanciers, puis par vagues successives les autres créanciers jusqu’au seuil de la garantie de dépôts.

Par ailleurs le gouvernement adopte un mécanisme de résolution qui consiste à séparer la bonne banque qui récupère les actifs sains de la mauvaise banque qui reprend les mauvais risques avec une garantie de l’État Italien.

La Commission européenne va s’opposer à ce plan déjà jugé ruineux par les déposants et les épargnants concernés, au motif qu’il contrevient aux règles des aides d’État. Un compromis est finalement trouvé, la Commission acceptant que les concours de l’État italien se fassent aux conditions du marché dans un véhicule regroupant les quatre mauvaises banques.

Cette affaire va agir comme un puissant révélateur car elle soulève quatre types de problèmes.

D’une part la mise en place du superviseur européen unique appuyé par l’Agence bancaire européenne et sa batterie de stress tests n’ont pas empêché une dérive à bas bruit non seulement de petites banques qui échappent à leur supervision mais de grandes banques dont les mauvais risques se révèlent plus importants (taux de mauvais risques italiens : 17% du PIB pour une moyenne européenne de 7,3%), ce qui soulève la question plus générale de l’adéquation du niveau des fonds propres durs des grandes banques européennes.

Par ailleurs, la technique de résolution utilisée illustre pour la première fois (si on met de côté l’épisode chypriote) le risque couru pour l’épargnant ordinaire lorsqu’il confie son argent à une banque de dépôt locale. L’État et donc le contribuable n’est plus là pour renflouer l’épargnant ou le déposant d’une banque locale en difficulté.

Ensuite, loin d’aider l’État Italien dans sa tentative de sauvetage d’établissements en difficulté, les institutions communautaires mobilisent les instruments de la concurrence pour interdire une solution de renflouement trop généreuse.

Enfin, même si ce ne fut pas le cas avec les banques régionales italiennes, le risque pour le déposant lambda dans un système peu réformé de banques universelles devient réel. Certes tout déposant doit faire un choix éclairé en choisissant sa banque, certes tout épargnant éclairé doit savoir que des obligations bancaires sans risque peuvent être risquées, certes tout client est sensé connaître les règles de la garantie de dépôts et savoir que des solutions de « bail in » seront adoptées chaque fois qu’une banque sera en difficulté. Mais dire cela c’est en même temps reconnaître qu’il y a loin de la réalité aux principes et que la prochaine crise sera l’occasion de réveils douloureux pour le client bancaire et le citoyen qui se demandera si ce qu’il a gagné comme contribuable n’a pas été perdu, et au delà, par l’affaiblissement de sa protection comme usager bancaire, si ce qu’il a gagné en responsabilité individuelle n’a pas été perdu en opacité grandissante de grandes banques peu réformées, et enfin si ce qu’il gagné à la supervision européenne n’a pas été perdu et au-delà par l’absence de réels mécanismes de solidarité européenne.

La réforme majeure que constitue l’institution d’une Union bancaire est représentative de toutes ces avancées amplement justifiées en théorie mais dont les mécanismes de mise en œuvre font douter de la portée réelle. L’extension des responsabilités du superviseur européen a été fixée de telle sorte que les grandes banques locales y échappent. Le modèle de la banque universelle a été préservé largement à la demande des Français qui entendaient ainsi protéger leurs champions nationaux. Le caractère très lent et à ce jour non réglé de la mise en œuvre de l’assurance des dépôts est le résultat du refus allemand d’être mis à contribution pour la mauvaise gestion des banques du Sud. La volonté unanime chez des hommes politiques de préserver les contribuables et de ne pas venir au secours de banquiers spéculateurs et gavés de bonus et de stock options lorsqu’ils sont en difficulté se comprend… sauf que l’accumulation de ces choix et de ces compromis livrent le citoyen consommateur final à un monde plus risqué, moins lisible et pour lequel il n’est pas équipé.