Printemps arabe : des Européens sans Europe edit

14 juillet 2011

Il y a six mois commençait à Tunis le printemps arabe. Beaucoup d’observateurs y ont vu un enjeu géopolitique qui concernait d’abord et avant tout l’Europe, pour des raisons géographiques et historiques évidentes. Les États-Unis sont très présents mais, pour des raisons de politique intérieure, ils cherchent à donner l’impression de ne pas trop s’y impliquer. Pourtant, dans l’engagement de l’Europe il y a un immense paradoxe : les Européens sont bien présents, mais l’UE est totalement absente.

Les États sont là. Mais l’Europe communautaire est inexistante. Le paradoxe ne s’arrête pas là. Car parmi les États européens, deux seuls existent réellement : la France et la Grande-Bretagne. En dehors deux, les Européens sont réduits à la figuration. Toute la question est donc de savoir ce que cette donne politique implique pour l’avenir de l l’Europe.

Au niveau des États, le printemps arabe a d’ores et déjà profondément affecté la politique étrangère de la France. Celle-ci qui pendant plus d’un demi-siècle n’a pratiqué vis-à-vis de cette région qu’une realpolitik très classique a changé de cap. Elle sait désormais qu’elle ne peut plus ignorer les sociétés civiles arabes, ni faire l’impasse sur la nature antidémocratique des régimes arabes. Ce changement est à la fois important et indispensable. Car la Méditerranée reste pour elle une zone d’influence politique importante. Si elle se tient à l’écart des changements qui s’y déroulent, si elle ignore la volonté des peuples de la région à prendre en main leur destin, elle prend le risque d’une marginalisation diplomatique inévitable. De ce point de vue, sa maladresse face à la révolution tunisienne lui a coûté très cher. C’est la raison pour laquelle elle a décidé de se montrer en pointe en Libye et aujourd’hui en Syrie.

Faute d’avoir réussi à obtenir que l’intervention des pays occidentaux en Libye se passe en dehors de l’OTAN, elle est parvenue à mettre en place un groupe de contact de manière à ce que le processus politique en Libye ne soit pas capté par les seuls Américains. Si on ajoute à cela son engagement économique multilatéral en faveur des pays arabes, on constate clairement une volonté française de se déployer sur trois axes : militaire, politique et économique.

Dans l’affaire libyenne, la France et la Grande-Bretagne ont été très complémentaires. Ces deux pays ont vu dans cette crise l’occasion de se remettre en scelle, mais cette exemplarité franco-britannique n’est pas sans présenter certaines limites. Malgré la conjugaison de leurs moyens militaires respectifs, la France et la Grande-Bretagne sont menacés financièrement par une surexposition militaire qui pourrait les contraindre soit à réclamer de nouveau un renfort américain, qu’un pays comme la France jugera toujours humiliant, soit à renoncer à chasser du pouvoir le colonel Kadhafi, ce qui serait bien plus dramatique. Car en dehors de la France et de la Grande-Bretagne, les Européens sont totalement inexistants. L’Allemagne, qui avait tout fait pour que l’union pour la Méditerranée de M. Sarkozy regagne le giron de l’Europe, est moins que jamais disposée à consentir un effort militaire en dehors de ses frontières. L’Italie est totalement inconséquente et l’Espagne tout simplement absente. Au niveau de l’Union européenne le vide est encore plus impressionnant. Mme Ashton s'est farouchement opposée à ce que l'UE puisse de quelque manière se trouver militairement engagée en Libye. Avec l'appui de nombreux etats membres elle s'est opposée à toute action militaire de protection des convois humaniataires.La participation de l'UE à la surveillance en haute mer du traffic maritime vers la Libye a également été refusée par la plupart des Etats membres. Le comble est venu de la Suède qui s'est farouchement opposée à toute intervention de l'UE en Libye , considérant que celà relevait de l'Otan alors qu'elle même n'est pas membre de cette organisation. De cette réalité très ambiguë il est difficile de tirer des conséquences très claires. Tout au plus peut-on échafauder un certain nombre d’hypothèses.

La première consisterait à faire son deuil de l’Europe de la défense pour ne se concentrer que sur la constitution de coalitions entre États disposés à agir ensemble pour atteindre un objectif politiques bien précis. C’est le vœu des Britanniques, qui ont été amenés à réévaluer – notamment depuis la signature des deux accords militaires en novembre 2010 avec Paris – l’idée qu’ils se faisaient de la France et de son rôle. Elle était vue comme un obstacle à la politique britannique. Désormais elle constitue un partenaire fiable, le seul avec lequel Londres peut parler sérieusement des affaires du monde et envisager sans inhibition de recourir à la force si nécessaire.

Le paradoxe est que si les Britanniques croient beaucoup à l’avenir de la relation franco-britannique ils croient moins que jamais à l’avenir de l’Europe politique et de la défense.William hague a fait clairement savoir que son pays s'opposait à la création d'un etat major Européen, création approuvée par les 26 autres Etats membres. La Grande-Bretagne sait que son alliance privilégiée avec les États-Unis tire à sa fin. Mais ses élites sont encore très loin d’avoir tiré les conclusions de cette nouvelle réalité. La France est dans un tout autre état d’esprit. Elle souhaite que la convergence stratégique franco-britannique débouche sur une défense européenne. C’est d’ailleurs à ce prix qu’elle avait accepté de réintégrer pleinement l’organisation militaire intégrée de l’OTAN.On se trouve ainsi dans une situation où ceux qui parlent d’Europe de la défense ne veulent surtout pas consentir un effort militaire supplémentaire tandis que ceux qui ne veulent pas en entendre parler comme la Grande-Bretagne, le consentent effectivement.

Dans cette équation compliquée, la France occupe à l’évidence une position centrale. Elle est le seul pays à vouloir plus d’Europe tout en se donnant les moyens d’y contribuer à la mesure de ses moyens. Mais ces derniers sont relativement limités et il n’est pas sûr qu’elle parvienne à infléchir la conduite d’États européens confrontés soit à des problèmes de survie financière soit à un provincialisme politique exacerbé. Le printemps arabe place l’Europe fasse à ses responsabilités. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle soit disposée à les prendre si facilement. L’Europe est décidément encore une idée neuve.