La Russie va-t-elle faire évoluer sa politique étrangère? edit

17 décembre 2016

Est-ce l’élection de Donald Trump, le succès de François Fillon à la primaire de la droite et du centre en France, venant après les victoires à la présidence de partisans du rapprochement avec la Russie dans deux pays certes de moindre importance, la Moldavie et la Bulgarie ? Toujours est-il que dans son récent discours sur l’état de la Fédération, Vladimir Poutine a usé d’un ton beaucoup plus modéré à l’égard des Occidentaux en général et des Américains en particulier que les années précédentes. « Nous sommes prêts à coopérer avec la nouvelle administration américaine, a déclaré le président russe. Il est important de normaliser et de commencer à développer nos relations bilatérales sur la base d’un bénéfice mutuel. »

Le moment lui paraît d’autant plus favorable pour se montrer coopératif que dans le même temps, il crée des faits accomplis en Syrie. La reconquête d’Alep-Est au prix de bombardements rappelant la tactique de la terre brulée employée au débt des années 2000 en Tchétchénie, le place en position de force dans une éventuelle négociation. Au lendemain de la victoire du républicain à l’élection présidentielle américaine, les députés à la Douma ont sabré le champagne. Ils célébraient un candidat qui avait eu des mots flatteurs pour leur chef.

Mais l’enthousiasme a cependant ses limites. Il n’est pas question de laisser croire que tout avait changé du jour au lendemain. Les experts russes de politique étrangère ont vite relayé les interrogations du Kremlin. Comme d’autres dans le monde, ils se sont perdus en conjecture sur les véritables intentions de Donald Trump en politique étrangère. Les déclarations diverses et contradictoires du candidat pendant la campagne électorale n’étaient pas d’un grand secours. Pas plus que la liste des conseillers aux vues souvent divergentes. La nomination au poste de secrétaire d’État du patron d’ExxonMobil, Rex Tillerson, qui entretient de bonnes relations personnelles avec Vladimir Poutine, n’est cependant pas pour leur déplaire.

L’expérience, y compris du temps de l’URSS, montre qu’il est souvent plus facile pour Moscou de traiter avec les républicains qu’avec les démocrates, car les premiers sont censés être plus portés sur la Realpolitik et moins se soucier des droits de l’homme. Les soupçons officiellement exprimés par la CIA d’une ingérence russe dans la campagne électorale aéricaine aux dépens d’Hillary Clinton vont dans ce sens. Toutefois, il y a toujours dans le Grand Old Party des adversaires de la Russie. Or Donald Trump devra composer avec eux, remarque dans un long article du New York Times Ruslan Poukhov, directeur d’un think tank moscovite spécialisé dans les questions de défense.

Le scepticisme face à une soudaine percée dans les rapports américano-russes est aussi nourri par des considérations de fond. La Russie n’a pas grand-chose à mettre dans la corbeille d’un rapprochement. Il n’est pas question qu’elle laisse tomber son allié Bachar el-Assad. De toutes façons, Donald Trump a laissé entendre qu’il pourrait « sous-traiter » à Moscou le conflit en Syrie, voire la lutte contre l’État islamique. La contrepartie pourrait se trouver en Asie où Trump pourrait se rapprocher de Moscou pour faire pression sur Pékin, voire en Europe où Vladimir Poutine mettrait un bémol à ses velléités agressives. Mais Trump ne se soucie guère du sort « de peuples dont nous ne savons rien », pour citer Mark Galeotti. Ce chercheur à l’International Institute de Prague semble paraphraser Neville Chamberlain en 1938. Nous ne ferons pas la guerre pour un pays dont nous ne savons même pas épeler le nom, disait le Premier ministre britannique à propos de la Tchécoslovaquie.

Vu de Moscou, la Russie bénéficie de plusieurs avantages. Son talon d’Achille est sa situation économique et le risque de se trouver entraînée dans une spirale à la soviétique : des dépenses militaires et des engagements extérieurs surdimensionnés par rapport aux ressources disponibles. Ce point de rupture n’est pas encore atteint malgré les sanctions occidentales et la chute de la croissance, largement due à la baisse des prix du pétrole (jusqu’à la récente décision des pays de l’OPEP de réduire leur production). Quelques actions militaires limitées et relativement peu coûteuses procurent des bénéfices diplomatiques.

Deuxième avantage : « La Russie a la chance de n’appartenir à aucune alliance », dit Vladimir Poutine. Et donc de ne pas être freinée dans ses actions, ni inversement entraînée dans des opérations où ses intérêts ne seraient pas clairement en cause. Troisièmement, le chef du Kremlin a tout loisir de prendre des décisions dans l’heure, sans craindre des contre-pouvoirs parlementaires et les limites propres aux sociétés démocratiques.

Le mythe de l’homme fort n’est pas seulement à usage interne. Selon la conception russe actuelle du monde, la ligne de partage entre les États ne passe plus entre les démocraties et les régimes autoritaires, mais entre le chaos et la stabilité. Si la menace du chaos est plus forte que la menace de l’autoritarisme, les conditions de possibilité de la coopération internationale en sont changées. Appliqué à deux sujets de contentieux entre la Russie et les Occidentaux, ce principe se traduit comme suit, selon un conseiller de François Fillon pour la politique internationale : la menace représentée par Daech est plus dangereuse que la violation du droit international quand Moscou annexe la Crimée. Les encouragements russes aux séparatistes de l’est de l’Ukraine, qui ne menacent pas directement la France, ne doivent donc pas empêcher une alliance avec le Kremlin contre l’EI.

La stabilité dans le monde ne peut, selon Vladimir Poutine, être assurée que par un « club d’États privilégiés » qui sont pleinement souverains : outre la Russie, la Chine et les États-Unis. En dehors d’eux, les autres États, fussent-ils économiquement puissants, comme l’Allemagne ou le Japon, ne disposent que d’une souveraineté limitée. L’objectif fondamental de la diplomatie russe reste la définition de zones d’influence entre les « privilégiés ». La Russie veut être reconnue comme une grande puissance à l’égale des États-Unis, au moins comme une puissance hégémonique dans l’ancienne sphère soviétique dont les ramifications s’étendent au Moyen-Orient, comme le montre l’engagement militaire russe en Syrie.

Le nouveau « concept de politique étrangère » qui vient d’être signé par Vladimir Poutine assigne comme objectif la redéfinition des paramètres du système international et n’exclut pas l’usage de l’outil militaire pour y parvenir, si les autres moyens ont échoué. Le précédent datant de 2013 contenait au contraire un plaidoyer contre l’usage de la force dans les affaires internationales. C’était avant les interventions en Ukraine et en Syrie.

Les États-Unis de Trump, tentés par les sirènes néo-isolationnistes, sont-ils prêts à l’accepter et leurs alliés traditionnels disposés à les laisser faire ? Une chose est sûre : dans cette conception, l’Europe unie n’a pas réussi à gagner sa place.