STX: l’Etat actionnaire prend l’eau edit

22 février 2017

A nouveau le gouvernement français pratique le bras de fer avec un actionnaire privé étranger (l’italien Fincantieri) pour préserver le site de Saint-Nazaire, protéger les compétences technologiques françaises dans les paquebots de croisière, prévenir le risque de délocalisation en Italie et pour ce faire marier chantier naval civil (STX France) et militaire (DCNS), impliquer les croisiéristes (MSC Costa ou RCCL Caribbean) dans l’avenir des manufacturiers (STX et Fincantieri) et imposer une présence pérenne de l’Etat actionnaire (à 33%).

A nouveau l’Etat interfère avec ce qui relève d’une procédure de marché : le rachat à la barre d’un tribunal par Fincantieri des 66% du capital de  STX France détenus par le groupe coréen STX en liquidation.

A nouveau l’Etat Français en appelle à la réalisation d’un Airbus, du paquebot cette fois.

A nouveau Arnaud Montebourg prône la nationalisation provisoire comme hier à Belfort ou à Florange.

Ce qui frappe c’est la constance de l’Etat français. Hier avec Sarkozy (2008), il s’agissait déjà d’encadrer la reprise du site de Saint-Nazaire Chantiers de l’Atlantique (contrôlés par le finlandais Aker Yards) par le coréen STX pour éviter la délocalisation de l’activité en Corée, la préservation des compétences nationales et la défense de l’emploi. L’Etat s’était déjà imposé comme actionnaire minoritaire, comme porteur d’une solution avortée de rapprochement avec DCNS, comme gardien du périmètre Saint-Nazaire au sein du groupe Aker Yards puis STX.

Cette constance trouve son origine dans les modalités de la cession des Chantiers de l’Atlantique par Alstom, rendue nécessaire par le plan de sauvetage du groupe Alstom en 2004. Le rachat par Aker Yards est intervenu après qu’eurent été évoquées l’éventualité d’une fusion avec les chantiers militaires DCNS et la constitution d’un champion européen avec Fincantieri. L’intervention de l’Etat est toujours motivée par le souci de préserver l’emploi d’une entreprise qui ne fait pas de bénéfices et dont on soupçonne les actionnaires étrangers de n’avoir qu’un souci : détruire ce qui marche en délocalisant.

Ce débat sur l’intervention de l’Etat dans un secteur en restructuration, d’une grande sensibilité sociale et où l’Etat joue un rôle d’actionnaire minoritaire, intervient au moment où la Cour des Comptes et l’Institut Montaigne publient deux rapports critiques sur le rôle de l’Etat actionnaire.

Pour la Cour des Comptes, la performance financière globale du secteur public est en dégradation continue, la multiplicité des figures de l’Etat actionnaire n’est guère justifiée (APE, BPI, CDC), les finalités de l’action publique sont incertaines, la gouvernance publique laisse à désirer, et les besoins financiers futurs sont peu compatibles avec l’état des finances publiques. Bref l’Etat actionnaire doit se repenser d’urgence !

Dans le rapport rédigé pour l’Institut Montaigne par David Azema, ancien responsable de l’APE, l’angle d’attaque est différent mais la préconisation est plus radicale. Les termes Etat et actionnaire sont, pour lui, « ontologiquement incompatibles ». L’Etat n’a pas besoin d’être actionnaire pour poursuivre des objectifs de politique publique, son action de puissance publique, de régulateur ou d’état administratif suffisent. En voulant être actionnaire, l’Etat est conduit à multiplier les conflits d’intérêt : on ne peut sans risque siéger au Conseil d’entreprises concurrentes (Renault et Peugeot) ou d’entreprises fournisseurs et clientes (Areva / EDF, AF / ADP) ; on ne peut être initié permanent et intervenir sur le marché boursier (affaires Alstom et Renault)… Pour David Azema, un tel secteur public n’est pas plus gérable en fonction des critères patrimoniaux de l’investisseur avisé que des critères anciens de politiques industrielles. La solution passe donc à la fois par un mouvement massif de privatisation (ou de délégation à un tiers gestionnaire), d’un côté ; et de nationalisation intégrale, de l’autre, dans les rares cas où un intérêt public manifeste est à l’œuvre (SNCF ou RATP).

Si les mêmes dossiers reviennent sous des gouvernements différents et subissent le même traitement, si les débats sur l’Etat actionnaire reviennent dans les mêmes termes à intervalles réguliers, c’est parce que depuis que la gauche, expérience faite, a abandonné les nationalisations et s’est même engagée avec zèle dans les privatisations, la puissance publique est prise dans un triple dilemme.

Comment renoncer à la propriété publique et se priver d’un outil d’intervention quand le patriotisme économique est la chose la mieux partagée, la crainte de la désindustrialisation une obsession collective, et l’incrimination de la puissance publique une antienne largement reprise ? La question du périmètre du secteur public est clairement posée : qu’est-ce qu’une entreprise stratégique, une technologie à préserver ou un site emblématique à maintenir ?

Comment, à l’inverse, préserver les entreprises publiques de l’intervention désordonnée des mille et une expressions de l’Etat et permettre à l’entreprise, même publique, de poursuivre son objet social ? On aura reconnu là la question de la gouvernance publique.

Comment enfin réconcilier statu quo et impécuniosité croissante de l’Etat quand de surcroît la concentration des participations publiques dans l’énergie, les transports et la Défense est forte consommatrice de capitaux ? La question de la liquidité et de la rotation des participations publiques est clairement posée.  

A la première question, l’Etat répond par l’extension du domaine de la lutte, je veux dire par une définition floue de ce qui est stratégique et de ce qui ne l’est pas.  Si toutes les propositions d’explicitation des objectifs poursuivis par l’Etat actionnaire-stratège ont échoué, c’est bien parce que l’Etat veut se réserver à tout moment la possibilité de sauver Saint-Nazaire ou Belfort, faire de Danone la cathédrale de Chartres et de Suez un rempart contre le capital prédateur italien ! Personne en effet ne contesterait que les secteurs du nucléaire ou de la Défense soient qualifiés de stratégiques mais en quoi l’automobile, Belfort, les paquebots, Saint-Nazaire et les services de télécommunications le seraient-ils ?

A la seconde question, l’Etat a voulu donner une réponse claire après les ratages spectaculaires d’EDF et de France Telecom de 2003 (cf. le rapport Douste-Blazy). En séparant les fonctions de régulation et d’exploitation (ART et FT dans les telecom, CRE et EDF dans l’électricité), en érigeant en autorité administrative indépendante les régulateurs ainsi constitués, en créant l’APE et en la chargeant d’assumer les fonctions patrimoniales de l’Etat, en édictant des règles strictes de gouvernance dans les entreprises du secteur public, enfin en confiant à la BPI la gestion de participations publiques cessibles l’Etat a fait un gros effort de gouvernance publique. Et pourtant l’Etat n’a rien vu venir de la crise mortelle d’Areva, il a interféré dans la politique de rémunération de Carlos Ghosn mais n’a rien vu venir de l’effondrement de l’emploi industriel de Renault en France, il n’a cessé de sauver Alstom pour constater in fine la ruine de ses efforts.

A la dernière question, l’Etat répond par une politique au fil de l’eau en fonction des urgences, de l’état des marchés et de la fortune relative des entreprises du secteur public. C’est ainsi qu’il met en place le prêt d’actions avec Bouygues pour accompagner la cession d’Alstom Energie à GE. C’est ainsi qu’il monte dans le capital de Renault, provisoirement, pour assurer ses votes doubles et qu’il se trouve « collé » à cause d’évolutions défavorables du marché boursier. C’est ainsi enfin qu’il mobilise EDF pour venir au secours d’Areva avant d’avoir à refinancer EDF qui se trouve face à un mur d’investissements.

Cette navigation à la godille fait justice de la prétention de l’Etat à se penser comme stratège, comme garant du long terme et unique défenseur de l’intérêt général. La Cour des Comptes n’a pas tort lorsqu’elle évoque les progrès réalisés notamment avec l’autonomisation de la fonction patrimoniale de l’Etat ou l’adoption de règles de corporate governance dans les entreprises publiques. On peut même la suivre dans ses recommandations lorsqu’elle propose d’aller plus loin dans la redistribution des rôles entre APE, BPI et CDC. Mais la faiblesse de l’Etat-stratège, la multiplicité des conflits d’intérêt  et la tentation permanente du micro-management sont inhérents à l’action de la puissance publique. On comprend dès lors que David Azema, ancien dirigeant de l’APE, en vienne à considérer que la solution de l’Etat actionnaire emprunte au pire des deux mondes : du monde de l’entreprise, l’Etat ne peut emprunter l’objectif du profit, l’alignement des intérêts entre direction et CA, la réactivité ; du monde de l’Etat la continuité, les poches pleines du contribuable, l’unité des politiques publiques.

La confusion des rôles est inséparable de la qualité d’Etat actionnaire. Un gouvernement doit en permanence assurer la paix civile, répondre aux détresses sociales, composer avec ses limites budgétaires et prouver qu’il ne renie pas totalement ses engagements de campagne. Il est ainsi conduit à multiplier les interventions brouillonnes, à s’immiscer dans la gestion d’entreprises autonomes et à interférer avec les choix des régulateurs indépendants. Le drame est que le renouveau du débat intervient au moment où les Français goûtent aux charmes vénéneux du protectionnisme commercial et financier, au moment où ils ont peur et se défient de l’étranger, au moment où les offres politiques populistes se multiplient à l’occasion des présidentielles de 2017.

Que penser dans un tel contexte des recommandations des deux rapports qui visent à réaménager ou à céder les participations publiques ?

Si l’on jette un regard rétrospectif sur ce qu’étaient les participations publiques après 1981, on constate qu’après nationalisation et privatisation les champions nationaux de naguère ont disparu, victimes du marché mais aussi de l’étreinte de l’Etat : CGE, Rhône-Poulenc, Pechiney Ugine Kuhlmann, Usinor, Sacilor, CII-Honeywell Bull etc.

Si l’on s’intéresse aux affaires qui ont défrayé l’actualité récente des participations publiques, force est de constater qu’en voulant affirmer son pouvoir sur Renault, l’Etat a fini par consentir un pouvoir exorbitant à son PDG Carlos Ghosn, pour ne pas faire fuir le partenaire japonais, créant au passage un problème grave de gouvernance puisque Ghosn représente l’actionnaire japonais et qu’il est sous la tutelle de l’actionnaire français.

Enfin la nécessité de trouver des fonds dans un contexte financier tendu contraint l’Etat au quotidien à céder une fraction de ces participations dans des entreprises devenues soudain moins stratégiques : Engie ou Safran aujourd’hui, Orange demain ?

Le combat cessera donc bientôt faute de combattants. Nul, même à gauche, n’entend promouvoir les nationalisations comme solution aux problèmes économiques nationaux. Seules des nationalisations provisoires et défensives sont parfois évoquées pour éviter la casse sociale ou la désertification de bassins d‘emplois. L’héritage est donc géré en fonction des besoins financiers et des risques de « prédation » du capital étranger. Bref l’Etat est alternativement pompier ou brancardier !