Le monde après le G20 edit

14 avril 2009

Si l’on attendait du sommet de Londres qu’il mette fin à la crise par de mâles décisions qui auraient tout à la fois restauré la confiance, puni les coupables, et établi les règles de fonctionnement d’un nouveau monde, on peut être déçu. En revanche, si l’on était resté sur le pâle résultat du précédent sommet, animé de bonnes intentions, mais pauvre en décisions concrètes, on est agréablement surpris. Laissant de côté leurs désaccords, les dirigeants du G20 ont concentré leur tir sur les points de rupture de l’économie mondiale : les pays présentant de forts risques de crise de balance des paiements, et le financement du commerce mondial. Ils ont voté leur confiance aux institutions de Bretton Woods et leur ont donné une nouvelle légitimité. Ce faisant, ils ont augmenté la probabilité d’une sortie de récession dans les 12 mois à venir, et réduit celle d’un enlisement déflationniste.

Les augures étaient partagés. Pour certains, la nouvelle administration américaine, réputée plus multilatéraliste et plus distante de Wall Street que la précédente, devait se rapprocher de ses partenaires et aider à refonder l’économie mondiale. Pour d’autres, l’insistance américano-japonaise à demander à l’Europe des plans de relance budgétaire et l’emphase franco-allemande à exiger une mise au pas des hedge funds et des paradis fiscaux ne pouvait aboutir à un donnant-donnant, puisque les Européens ne pouvaient faire plus en matière fiscale ni les Américains et Anglais laisser partir une des parties les plus dynamiques de leur industrie financière vers des cieux plus cléments.

Il restait cependant une voie pour trouver un compromis, sortir par le haut et c’est celle qu’a pris ce sommet. En augmentant de façon massive les possibilités de prêts des organismes multilatéraux (FMI, Banque Mondiale et banques de développement régionales), le G20 a de facto décidé un stimulus budgétaire mondial valant 1,8% du PIB mondial s’ajoutant aux programmes nationaux. Bien sûr, une part de ces engagements d’abondement du FMI et de ses épigones se fera sous forme de prêts. Mais il en va de même avec les plans de relance budgétaires nationaux : il s’agit bien de puiser dans le stock d’épargne mondiale pour augmenter directement la demande finale, en se substituant à des initiatives privées qui font aujourd’hui gravement défaut, même pour des projets certainement rentables à long terme comme les investissements dans la production d’énergie pauvre en carbone.

L’intérêt de la décision du G20 d’augmenter de 500 milliards de dollars la capacité de prêts du FMI est qu’elle concentre l’action budgétaire sur les domaines où son rendement est probablement le plus élevé, en raison de fortes non linéarités. Les munitions du FMI prendront principalement la forme de prêts aux pays émergents proches – ou déjà dans – de crises de balance des paiements. Sans aide (bridge loans etc.), une crise de balance des paiements entraîne une avalanche de défauts, y compris de dette souveraine, ce qui augmente l’aversion pour le risque, se traduit économiquement par une forte contraction de la demande intérieure et politiquement par des mesures protectionnistes. En prévenant de telles crises, l’action du FMI ne peut totalement empêcher les baisses de demandes intérieures, d’ailleurs nécessaires pour des pays accusant des déficits des paiements courants non soutenables, mais elle devrait prévenir une spirale de baisse de la demande dans les économies émergentes les plus fragiles et réduire l’aversion pour le risque. Il est de ce point de vue remarquable de voir comment les CDS (credit default swaps) souverains, une mesure de marché du risque de défaut des États émetteurs de dette, ont immédiatement baissé pour les pays d’Europe centrale et orientale après la déclaration du président Sarkozy sur le soutien que l’Union Européenne apporterait à ses membres en cas de risque de crise.

Il en va de même pour l’engagement d’apporter des garanties à hauteur de 250 milliards (avec effet de levier) au financement du commerce mondial. Car s’il est un domaine où les chiffres ont remis en cause les mesures probabilistes traditionnelles du risque, c’est bien le commerce international. Celui-ci s’est littéralement effondré dans les semaines qui ont suivi la faillite de Lehman Brothers, avec une baisse en volume de l’ordre de 15 à 20% dans les derniers mois de 2008, selon la Banque Mondiale. Même si la baisse de la demande des entreprises (et des ménages pour des produits comme les automobiles) est en partie responsable, il semble clair que l’assèchement brutal du crédit dans les circuits de financement du commerce international est la raison principale de la chute. Or, le commerce, tout comme les mouvements de capitaux, sont les éléments structurants de l’économie mondialisée moderne. L’arrêt cardiaque qu’il a subi a plongé les grands exportateurs comme l’Allemagne, le Japon et la Corée dans une profonde récession, et causé la fermeture de milliers d’entreprises en Chine. Si, comme les études de la Banque Mondiale l’indiquent, les sommes mises en œuvre sont considérables, relativement à l’encours des prêts liés au commerce, on peut s’attendre à une reprise des échanges, même si la demande finale continue à se dégrader.

Les compromis concernant les réformes des marchés financiers sont de moindre portée pratique et relèvent plus de la communication politique, semble-t-il. Ainsi, les plus grosses lacunes de supervision, comme l’absence de supervision fédérale des assureurs aux Etats-Unis, qui a permis à AIG de faire grossir démesurément le marché des credit default swaps en aidant les banques à ne pas se recapitaliser autant qu’elles auraient du le faire, ou l’absence de supervision bancaire transnationale dans l’Union européenne, qui a permis aux banques d’augmenter fortement leur levier, imitées en cela en 2004 par les banques américaines, furent passées sous silence. En revanche, les hedge funds « d’importance systémique » et les paradis fiscaux, dont on ne voit pas bien en quoi ils ont contribué à la crise financière, ont eu droit à un traitement spécial. Bien plus intéressante est la promotion du Forum de Stabilité Financière en Conseil de Stabilité Financière (CSF ou FSB en anglais) car, au-delà du changement d’acronyme, l’une des missions du CSF, qui inclura l’Espagne, sera de détecter à l’avance en collaboration avec le FMI les déséquilibres macroéconomiques et financiers, et d’édicter des règles de bonne conduite pour l’industrie financière. Peut-être qu’à l’avenir, le CSF pourra faire entendre plus fortement les avertissements que, par exemple, la Banque des Règlements Internationaux avait émis bien avant le début de la crise des produits structurés. Il devrait être plus difficile pour gouvernements et aux régulateurs de faire la sourde oreille aux alertes du CSF dont la légitimité politique devrait être supérieure à celle de la BRI.

Passons aux insuffisances. Même si la mission du CSF sur la régulation macro-économique mondiale est un pas dans la bonne direction, on peut se demander si le G20 n’est pas quand même passé à côté de la cause première de la première récession de l’ère mondialisée. Bien avant la déroute des produits de crédit pimentés de prêts hypothécaires US sous-standards, les déséquilibres de l’économie mondiale constituaient la principale menace pour sa stabilité. La tempête financière et l’attention aiguë portée par les media et les gouvernements à la dimension financière de la crise ont relégué sa dimension macroéconomique au second plan. Les faits sont pourtant têtus : l’économie mondiale a crû au-delà de son rythme soutenable depuis la fin de la crise asiatique (4% par an de 1999 à 2007), comme l’a montré l’envolée du prix des matières premières et de l’immobilier dans presque tous les pays. Or aucune institution n’est responsable de réguler l’inflation et le cycle économique mondial. Les réactions de politique monétaires, de la Fed puis de la BCE (qui s’est conduite de façon plus responsable de ce point de vue) sont venues trop tard, alors que la surchauffe de l’économie mondiale avait déjà gonflé une bulle de crédit à l’échelle mondiale. Gérer l’économie mondialisée qui a résulté de la fin de la guerre froide requiert une régulation mondiale de l’inflation, ce que les institutions actuelles ne permettent pas. On comprend d’ailleurs fort bien pourquoi les leaders du G20 ont laissé le sujet de côté : aucun pays (ou zone monétaire) ne veut céder un pouce de souveraineté en matière monétaire. Le risque est donc qu’après qu’on a fustigé de bien commodes boucs émissaires, banquiers et autres traders, l’économie mondiale ne s’engage dans un cycle de surchauffes inflationnistes suivies de crises déflationnistes.

Les décisions du G20 sont positives pour l’économie mondiale, que ce soient les actions stimulatrices de demande ou sa retenue à ne pas vouloir réformer trop hâtivement le système financier mondial. Si, comme c’est probable, les sommes avancées sont effectivement allouées, le G20 aura significativement augmenté la probabilité d’une sortie de récession d’ici la fin de cette année ou le début de 2010. Mais il n’aura pas vraiment abordé le sujet de la gouvernance macro-économique mondiale, et il y a bien peu de chance qu’il le fasse lors de ses prochaines rencontres. Après-demain se présente mieux qu’après-après-demain.

Eric Chaney est chef économiste d'AXA.