Les nouvelles stratégies de l'OMC edit

26 septembre 2008

Le cycle de négociations commerciales mené sous l’égide de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) semble dans l’impasse. En témoigne l’échec partiel de la réunion de Genève tenue du 21 au 27 juillet 2008. Une question peu traitée et pourtant essentielle porte sur l’aspect stratégique de ces négociations.

La discussion s’est en effet déroulée dans un contexte très nouveau. D’abord, l’OMC compte maintenant 153 membres. C’est beaucoup par rapport aux 23 de la première négociation du GATT, ancêtre de l’OMC, qui s’était tenue à Genève en 1947, ou par rapport à 119 lors de l’Uruguay Round. Autre nouveauté, le résultat de la négociation n’est plus le fruit d’un marchandage entre les deux grandes puissances commerciales, les Etats-Unis et l’Union Européenne. Aujourd’hui Inde, Chine et Brésil se sont imposés comme des acteurs majeurs, et de nombreuses coalitions se sont formées : le G20, qui regroupe 20 pays en développement, notamment les pays émergents déjà cités ; le G90 qui compte parmi ses rangs les pays les plus pauvres ; le G10 qui regroupe les pays riches ultra-protectionnistes dans l’agriculture (Japon, Corée du Sud, Taiwan, Islande, Norvège, Suisse…) ; et il ne faut pas négliger le front américano-européen qui a tenté de se constituer en août 2003. La diversité des participants s’est accrue, en taille, en structure de la politique commerciale, en richesse économique. A la table des négociations, il est donc difficile de servir un menu qui satisfasse tous les participants.

Finalement, le directeur général de l’OMC Pascal Lamy a tenté de négocier à sept pays pendant le dernier meeting de Genève, ce qui contredit la règle générale de la négociation consensuelle instaurée à l’OMC. Toutefois, il s’agissait là d’un processus préalable, qui devait précéder des consultations plus larges (processus de négociation en « cercles concentriques »). En effet, les modifications importantes du contexte de ce cycle de négociations posent la question du mode de négociation. Chaque pays accepte dans la négociation une libéralisation commerciale source de bénéfices économiques, mais qui comporte également des coûts – par exemple une concurrence internationale renforcée pouvant imposer des restructurations politiquement difficiles à accepter. La négociation a donc d’autant plus de chances d’aboutir que les participants considèrent que les bénéfices qu’ils tirent d’un accord l’emportent sur les inconvénients. Toute la question est donc de trouver une règle de libéralisation commerciale susceptible de satisfaire le plus grand nombre.

Pour cela, nous disposons d’un outil trouvant une application naturelle en économie, développé initialement pour les mathématiques : la théorie des jeux, notamment la théorie de la négociation, développée par John Nash, Prix Nobel d’économie.

Nous avons réalisé des simulations des résultats potentiels du cycle, à partir des 143 scénarios possibles de réforme multilatérale potentiellement négociables au début du Cycle. Nous avons joué sur l’importance de la libéralisation dans chaque secteur, l’existence ou non d’un traitement spécial et différencié (moindre libéralisation pour les pays en développement), l’importance de la réduction des subventions à l’exportation… Les conséquences économiques de ces scénarios ont été calculées pour 24 pays ou régions de l’économie mondiale et pour 23 secteurs.

Regardons d’abord ce qui se passe quand les négociateurs ont pour objectif de maximiser le revenu de leur nation. Dans ce cas, un seul résultat de la négociation est envisageable : le statu quo. En effet, la structure du commerce mondial est aujourd’hui trop compliquée, les situations trop diverses entre pays ou produits, pour qu’on puisse espérer négocier une libéralisation commerciale supplémentaire, même limitée. La libéralisation multilatérale partielle telle qu’elle est envisagée à l’OMC ne peut pas améliorer la situation de tous les états membres simultanément. On peut alors essayer d’utiliser des solutions alternatives.

Première possibilité : appliquer la solution qui maximise le revenu mondial et mettre en place des paiements compensatoires pour dédommager les pays qui perdent. Malheureusement, cette approche est difficile à mettre en œuvre, essentiellement parce que les paiements compensatoires nécessaires représentent environ 80% du gain total, avec une redistribution très en défaveur du Japon et de l’Union européenne, mais favorable aux Etats-Unis. Autant dire impraticable politiquement !

Deuxième possibilité : étendre le champ de la négociation ; surtout ne pas négocier secteur par secteur, pour s’assurer que les pertes sectorielles des uns soient au moins partiellement compensées par des gains dans d’autres secteurs. C’est déjà ce qui a été fait, même si toutes les solutions n’ont de ce côté pas été totalement explorées, notamment en ce qui concerne la libéralisation des services.

La troisième possibilité est finalement la plus efficace : exclure de la négociation la majorité des pays. En fait, négocier à sept, comme l’a voulu Pascal Lamy pendant la réunion de Genève, et grosso modo faire avaliser le paquet négocié à sept aux 146 autres pays membres de l’OMC. Cela marche très bien sur le papier et cela a failli réussir à Genève, où l’on a négocié entre Etats-Unis, Union européenne, Australie, Chine, Brésil, Inde, et Japon. Continuer avec cette méthode pourrait permettre un aboutissement de l’Agenda de Doha. Lorsque l’on veut organiser un banquet à 153 participants, le menu doit être défini par un petit comité et offrir un nombre minimal d’options. En juillet on a négocié à sept certains sujets très visibles, mais les dernières discussions se sont faites en trois cercles concentriques (G7, Green Room, Comité de négociation / Conseil général), sans compter la formation de groupes ad hoc sur certains sujets. L’OMC est devenue une arène de négociation hautement stratégique. Certains regretteront qu’on en vienne à proposer d’exclure de la négociation la plupart des pays. C’est en réalité un progrès : la négociation ne se passe plus à deux, mais à sept.