Cinq réformes pour financer les champions de demain edit

11 mars 2008

La crise en cours a révélé de nombreuses failles dans les marchés financiers et conduira certainement à réformer leur régulation. Mais l’exigence de stabilité ne doit pas occulter celle, toute aussi importante, d’une croissance plus forte. Or la finance européenne manque surtout de capacité à encourager la croissance des entreprises les plus dynamiques.

La recherche économique de ces dernières années attribue au développement financier un impact considérable sur la création et l'expansion de nouvelles sociétés, peut-être supérieur même à celui de la flexibilité du marché du travail. L’Europe a beaucoup progressé sur certains aspects de son développement financier, mais d’autres, tout aussi cruciaux, sont en-dessous de leur potentiel et justifient des initiatives publiques.

La théorie économique comme l’observation du réel suggèrent que l'entrée de nouvelles entreprises sur le marché, leur sortie en cas de mauvaise performance, et la réallocation de ressources entre entreprises jouent un rôle essentiel et croissant dans l’économie. Mais le paysage des entreprises européennes est dominé par des groupes déjà anciens. En construisant la « pyramide des âges » des 500 plus grandes entreprises mondiales, on s’aperçoit que les champions européens sont généralement beaucoup plus vieux que les autres. On ne trouve dans ce « top 500 » que 12 entreprises nées en Europe dans la deuxième moitié du vingtième siècle, contre 51 créées aux Etats-Unis durant cette période, et 46 dans les pays émergents.

Certes, ces champions européens ont la peau dure, et s’adaptent même très bien à la mondialisation. Leur poids relatif dans le top 500 mondial a légèrement augmenté depuis cinq ans, tandis que les Américains se font tailler des croupières par les « émergents ». Mais les grands groupes américains ne sont pas seulement concurrencés par leurs homologues étrangers : ils le sont aussi et surtout sur leur terrain domestique par de nouveaux venus, alors qu’en Europe les grands groupes ont plus de chances de continuer à dominer leur secteur.

Pourquoi l'Europe est-elle incapable de faire naître de nouveaux champions comme le fait l'Amérique ? Les interactions dynamiques entre entreprises et universités jouent certainement un rôle, mais il faut noter que les entreprises de haute technologie restent une minorité parmi les nouveaux géants américains, et que ceux qui ont su développer des services innovants, par exemple dans les loisirs, les médias ou la distribution, sont tout aussi nombreux. Or le système financier américain soutient bien mieux leur développement qu’en Europe, alors que les grandes entreprises établies disposent, elles, de financements également attractifs des deux côtés de l’Atlantique. Pour expliquer pourquoi, il faut comprendre en quoi les besoins financiers des nouveaux entrants sont spécifiques.

Il n’est pas exagéré d’affirmer qu’une bonne partie de la croissance impressionnante du secteur financier aux États-Unis depuis deux ou trois décennies vient précisément du besoin de financer des entreprises nouvelles. Dans le total annuel des investissements des firmes américaines, la part des entreprises dont les flux de trésorerie couvrent moins d'un tiers de leurs investissements a augmenté fortement depuis l’immédiat après-guerre. Ce simple fait suggère une capacité croissante du secteur financier à fournir des capitaux à ces entreprises, alors que dans le passé les investissements étaient surtout réalisés par des entreprises disposant d’une trésorerie abondante et qui n’avaient donc guère besoin d’intermédiation financière.

Disposer d’instruments financiers appropriés est particulièrement essentiel pour les entreprises de service ainsi que pour certaines activités du secteur industriel (design, recherche et développement, gestion de la chaîne logistique), parce que la plupart de leurs investissements portent sur des actifs immatériels qui ne peuvent pas servir de collatéral dans la recherche de prêts bancaires traditionnels. Pour la même raison, le financement par crédit-bail leur est également inaccessible. Aux Etats-Unis, le système financier a évolué rapidement pour fournir de nouvelles solutions financières : émissions obligataires à haut rendement, dette  « mezzanine », capital-développement… Tous ces instruments sont nettement moins développés en Europe.

Comment rattraper notre retard ? L'intégration des marchés financiers européens a déjà offert ses avantages aux grandes entreprises. En dépit d’obstacles informationnels et juridiques plus difficiles à surmonter, l’environnement financier des entreprises plus petites pourrait être nettement amélioré en agissant sur cinq points.

1. La politique de concurrence : celle-ci doit cibler plus activement le secteur des services financiers. Entre autres, et sous réserve d’un contrôle public adapté, les entités non bancaires devraient être autorisées à faire concurrence aux banques sur un certain nombre de services. Un exemple : en Autriche, en France, en Italie et au Portugal, les acteurs non bancaires n’ont pas le droit de proposer du crédit-bail ou de l’affacturage, sans que cette distorsion apparaisse justifiée.

2. Les réglementations : en matière boursière, les règlements sont généralement restrictifs et complexes, avec des exceptions pour les petites entreprises. En conséquence, ces dernières doivent avoir recours à des conseils juridiques coûteux pour comprendre non seulement les règles mais aussi les exceptions. Cette logique devrait être renversée, avec des règles par défaut les plus légères possibles, et des exigences supplémentaires pour les grandes entreprises là où c’est nécessaire.

3. La fiscalité : la différence actuelle de traitement fiscal entre dette et fonds propres ne repose sur aucune justification économique convaincante. Elle se traduit par des distorsions fiscales indues et par une pénalisation générale de l’investissement en capital. Fin 2005 aux Etats-Unis, une Commission consultative sur la réforme de la fiscalité fédérale a proposé de taxer tous les flux de trésorerie des entreprises au même taux, de considérer tous les nouveaux investissements comme des charges, et d’éliminer la déductibilité fiscale des charges d’intérêts pour les entreprises non financières. La Belgique et le Danemark ont introduit des réformes prometteuses dans ce domaine qui mérite l’attention des autres Européens.

4. Le droit des entreprises en difficulté : celui-ci a un impact déterminant sur l’attractivité des instruments de dette subordonnée qui manquent à l’Europe. Les procédures doivent offrir une meilleur prévisibilité, coûter moins cher, et permettre une issue rapide avec la possibilité de redéployer dynamiquement le capital et des compromis plus justes  entre ayants droit. Et pour exploiter les économies d’échelle, il faut progresser vers plus d’harmonisation au niveau européen.

5. Les règles prudentielles : dans certains pays, elles continuent d’inhiber les investissements en capital (y compris non coté) des investisseurs institutionnels tels que fonds de pension et compagnies d'assurances. Il faut poursuivre les avancées significatives déjà réalisées par plusieurs pays européens dans ce domaine au cours des dernières années.

Ces cinq pistes de réforme permettraient, bien mieux que des subventions ou autres aides directes, d’encourager l'expansion de jeunes entreprises et de permettre l'apparition d'une nouvelle génération de champions européens – en complément des champions plus anciens qui continueront dans tous les cas de jouer un rôle essentiel dans nos économies.

Une version plus développée de ce texte est publiée en anglais sur le site de notre partenaire VoxEU