Italie : faut-il brader les bijoux de famille ? edit

14 novembre 2011

Il circule ces jours-ci une idée fascinante : un programme de ventes massives d’actifs publics pour réduire la dette et améliorer la perception des marchés sur sa soutenabilité. Il n’est pas si facile de vendre les participations et les actifs immobiliers de l’État, mais le problème est surtout que les rendements sont trop faibles. Il serait préférable d’en confier la gestion à une société publique, sous la supervision de l’Union européenne, avec pour objectif de valoriser ces actifs et d’affecter les résultats à la réduction de la dette publique. La loi de stabilité proposée ces jours-ci, cependant, repose une fois de plus sur de l’ingénierie financière.

Un des mirages les plus courants en ces jours difficiles, c’est d’imaginer qu’une vente d’actifs publics permettrait de réduire sensiblement la dette publique. L’idée semble séduisante mais il n’est pas si facile de procéder à ces ventes. Prenons le cas de l’Italie.

Apparemment, la propriété publique y est presque aussi importante que la dette publique. Mais plusieurs chiffres en cours de discussion sont des absurdités. Les actifs liquides de l’Etat (ses participations dans l’Eni, Enel, Finmeccanica, Anas, etc.) ne représentent « que » 55 milliards d’euros… et ce sont ces actifs qui ont aujourd’hui le rendement le plus élevé : autour de 5,5 %, contre 0,5 % pour le reste des actifs gérés par les autorités étatiques, régionales et locales. Vendre, dans les conditions de marché actuelles, ne revient pas seulement à abandonner ces rendements mais à engranger des pertes en capital. Par exemple, Finmeccanica a perdu plus de la moitié de sa valeur boursière l’an dernier.

Ensuite, la propriété publique est dispersée en mille lieux différents : les autorités portuaires, les communautés de montagne, les chambres de commerce, les agences de développement régional. Et elle n’est pas immédiatement disponible.

Si nous observons en particulier la propriété immobilière, la valorisation de ces actifs représente 368 milliards, un chiffre considérable. Mais attention aux enthousiasmes faciles : la partie des ces propriétés qui n’est pas utilisée par le gouvernement et les différentes entités publiques ne représente que de 42 milliards, soit 11 % du total. Pas de quoi réduire considérablement la dette publique.

L’hypothèse, souvent avancée, de créer une société holding et de lui transférer des centaines de milliards d’actifs publics, n’est pas convaincante non plus. On peut en effet retenir deux leçons des dernières années. D’une part, la vente réelle de propriété publique est une opération complexe qui demande du temps (les Italiens ont en mémoire l’échec de la vente de Scip, qui valait moins de 7 milliards d’euros). D’autre part, se contenter de transférer la propriété à des acheteurs en leur promettant un rendement garanti coûte très cher, beaucoup plus que le service normal de la dette (lors de la cession-bail de 2005, qui a mis en œuvre cette même idée, les loyers annuels versés par le gouvernement représentent 7,5 % de la valeur en capital).

Les actifs publics sont tout bonnement trop peu rentables. Certains sont donnés en concession au privé sous des conditions non commerciales. D’autres logent les autorités publiques qui pourraient déménager et libérer ainsi des ressources – il suffit de penser aux casernes en centre ville ou aux terrains appartenant à la Défense. En outre, il y a gaspillage évident dans l’utilisation des bâtiments appartenant à l’Etat et aux administrations publiques locales. Par exemple, l’usage de l’espace est nettement plus dispendieux que dans le secteur privé : près de 50 m2 par agent de l’Etat contre une moyenne nationale de 20 m2 pour les bureaux dans le privé. Sans même parler des frais excessifs, nous payons ici une gestion clientéliste du patrimoine public. Une gestion rigoureuse de ce patrimoine pourrait accroître sa D’environ 5-6 % par an. En ajoutant les actifs rentables de l’Etat et des autorités régionales et locales, on atteint environ 600 milliards d’euros, ce qui pourrait apporter au budget environ 30 milliards d’euros par an, contre 5 aujourd’hui.

Pour parvenir à ce résultat, on devrait confier la gestion de ces actifs à une entreprise publique – en Italie l’Agenzia del Demanio (l’équivalent des Domaines, en France) est un candidat naturel, éventuellement sous un contrôle européen. Le but ne devrait pas être de vendre, mais de valoriser le patrimoine, et le produit de ces actifs devrait être obligatoirement affecté à la réduction de la dette publique. Un modèle de référence est la Treuhandanstalt fondée pour gérer les actifs publics de l’Allemagne de l’Est, une richesse tout aussi hétérogène, sinon plus, que les actifs publics italiens. L’agence devrait établir des normes de performance à atteindre au niveau local. La gestion de ces actifs pourrait être, au moins temporairement, retirée aux collectivités locales en question qui n’atteignent pas ces seuils de rentabilité.

L’amendement du gouvernement italien à la loi de stabilité pour 2012 ne semble pas aller dans cette direction, mais bien plutôt recourir une fois encore à l’ingénierie financière. Il prévoit le transfert des actifs immobiliers non résidentiels publics à un ou plusieurs fonds communs de placement immobilier. Les parts de ces fonds seraient alors mis sur le marché par une offre publique. Le produit net tiré de cette vente serait utilisée pour réduire la dette publique (et non pour financer de nouvelles dépenses ou des réductions d’impôts). Tout cela va dans le bon sens s’il s’agit de bâtiments libres. Mais nous avons vu que ceux-ci ne représentent qu’une petite proportion, 11 % des actifs transférés. Qu’advient-il des bâtiments transférés à la caisse ? Le produit de la vente sera transféré à l’Agence des domaines via l’achat de titres publics par cette même agence. Cette dernière va ensuite allouer l’intérêt de ces obligations pour payer le loyer et les frais de fonctionnement des propriétés en question. Cela peut rappeler la cession-bail de 2005, avec la nouveauté d’une étape intermédiaire à l’achat de titres d’État. En réalité, les choses sont un peu différentes.

Contrairement à 2005, il n’est pas prévu de garantir un retour aux investisseurs. Un souscripteur qui achèterait des parts se verrait garantir un retour égal au taux d’intérêt sur les obligations du gouvernement, moins les coûts d’exploitation des bâtiments. L’investisseur qui achèterait des parts de ce fonds acquerrait en réalité un titre de créance sur l’Etat, garanti par l’immobilier. Vraisemblablement, de cette manière, il se contenterait d’un intérêt inférieur à celui payé par un titre similaire qui ne serait pas soutenu par des garanties. Cela pourrait bénéficier aux finances publiques : l’utilisation des actifs pour garantir une partie de la dette aurait pour effet de diminuer la charge des intérêts. Mais on ignore si une telle opération sera couronnée de succès, c’est-à-dire si elle aboutira à une diminution du coût moyen du service de la dette. En effet, le portefeuille immobilier est aujourd’hui une garantie implicite de la totalité de la dette publique. En liant explicitement une partie de la dette à ce portefeuille, on diminue sans doute les intérêts payés sur cette partie ; mais on risque bien aussi d’augmenter les intérêts payés sur les titres restants, ceux qui ne sont plus garantis. On peut donc s’avouer sceptique sur l’efficacité de l’opération.

Au lieu de chercher à faire des coups, il serait préférable d’entreprendre enfin une gestion compétente de l’immobilier public ; les résultats ne seront pas immédiats, mais de réelles économies sont possibles dans un délai raisonnable de deux à trois ans.

Une version italienne de cet article est publiée sur le site de notre partenaire LaVoce.