La nouvelle politique monétaire chinoise edit

29 octobre 2010

Le 19 octobre, la Banque centrale chinoise a annoncé une série de hausses de taux. Même si depuis plusieurs mois, de nombreux économistes plaidaient pour un durcissement de sa politique monétaire, ce mouvement a été une surprise pour les marchés. Comment interpréter cette nouvelle politique monétaire ?

Tout d’abord ceux qui décident de la politique monétaire chinoise estiment que les risques d'inflation sont supérieurs à ce que suggère l’indice des prix à la consommation. Ensuite, le gouvernement essaie probablement d'éviter l'erreur commise dans les années 1980 par le Japon, qui mena alors une politique monétaire accommodante dans l’espoir de réduire les pressions en faveur de l’appréciation de sa monnaie. Il semble donc que la hausse du yuan chinois soit susceptible de continuer, voire d’accélérer. Et les autorités pourraient adopter certaines mesures visant à contrôler temporairement le compte de capital (une des trois composantes de la balance des paiements), afin de décourager l’entrée de capitaux spéculatifs.

Le principal indice des prix à la consommation chinois a augmenté de 3,5% sur un an en août, en hausse de deux dixièmes de point par rapport au mois précédent. En observant les données désagrégées, on remarque que l'inflation est principalement due aux prix de l’alimentation.

C'est la raison pour laquelle certains responsables affirment que le resserrement monétaire n'était ni nécessaire, ni efficace. Néanmoins, sur la période de la réforme commencée il y a trente ans, chaque fois que la Chine a connu un sérieux problème d'inflation (en 1988, 1993 et 2007), c’était du fait des biens d’alimentation. Les décideurs en charge de la politique monétaire ont donc appris à ne pas traiter à la légère l’inflation des prix de l’alimentation.

Or la tendance inflationniste actuelle est déjà assez grave. L’indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de 0,6% sur un mois en août, ce qui peut être traduit en un taux annualisé de 7,2%. C'est certainement beaucoup plus que l'objectif de la Banque centrale. Plus important encore, le chiffre global est probablement assez largement sous-estimé, en raison de la sous-représentation du prix des services dans le « panier de la ménagère ».

Certains économistes suggèrent que le rythme d’augmentation de l’IPC est actuellement proche de 5 à 6 %, alors que le chiffre officiel n’est que de 3,5%. Le ministère du Commerce recueille chaque semaine les prix du marché pour les denrées agricoles. Ces chiffres confirment que les prix alimentaires ont augmenté au cours des trois derniers mois à un taux annualisé de plus de 30%.

Mais ce n'est pas tout. Deux autres facteurs viennent encore assombrir les perspectives de l’inflation chinoise.

Un, la croissance du nombre de prêts ralentit, mais les prêts accordés cette année vont sans doute dépasser l’objectif de la Banque centrale, qui était de 7,5 milliards de dollars. Cela représente 50% de plus que lors d’une année normale. Avec des taux réels de rémunération des dépôts négatifs, ceux qui détiennent des liquidités vont désespérément chercher des occasions d'investir. Ils ont déjà contribué à la hausse des cours boursiers et des prix des logements. Lorsque ces prix se sont stabilisés, ils ont transféré leur attention sur certains types de matières premières, comme les haricots, le coton, l'ail et le sucre. Tant que la liquidité est abondante, certains prix vont augmenter de façon spectaculaire.

Deux, les salaires sont en hausse de 20%. Certes, les économistes et fonctionnaires du gouvernement refusent encore l’idée que la Chine se rapproche rapidement du tournant de Lewis (le moment-clé où l'offre de main d'œuvre d'une économie émergente ne peut plus être considérée comme illimitée, ce qui implique des hausses de salaires). Mais les milieux d'affaires chinois considèrent quant à eux que nous y sommes. Il est de plus en plus difficile de trouver des employés et les coûts salariaux grimpent en flèche.

Les augmentations de salaires sont un développement positif pour la Chine d'aujourd'hui. Elles ont déjà conduit à une amélioration de la consommation et devraient donc jouer un rôle positif pour rééquilibrer l'économie. Mais elles auront immanquablement un effet inflationniste.

La hausse des taux le 19 octobre représente donc un effort pour lutter contre l'inflation. Mais il faut aussi y voir un écart important par rapport à l’approche japonaise de la lutte contre l’appréciation de la monnaie. Rappelons-nous : dans les mois qui ont suivi la mise en œuvre des accords du Plaza en 1985, le Japon a abaissé ses taux et adopté une politique d’assouplissement quantitatif afin de réduire les pressions à la hausse du yen et atténuer l’impact de cette hausse. Cette approche, cependant, a eu des conséquences encore plus dévastatrices : une bulle, qui a fini par éclater en 1989.

Certains responsables chinois ont d’abord eu le même réflexe, croyant la Chine ne pouvait pas augmenter ses taux car cela ne ferait qu'aggraver les pressions sur sa monnaie. Mais depuis le début de cette année, la bulle des prix d’actifs a été une source d'inquiétude constante. En effet, le gouvernement a déjà mis en œuvre un certain nombre de mesures de resserrement visant le marché du logement. Malheureusement, ces mesures n'ont pas eu beaucoup d'impact car elles ne touchaient pas aux causes profondes des risques de bulles : la liquidité.

La hausse des taux le 19 octobre est peu susceptible de conduire à un effondrement du prix des logements, qui ont le potentiel de continuer à monter dans les années à venir compte tenu de la bonne santé financière des ménages et des banques. Mais ce changement d’état d’esprit peut aider la Chine à éviter la formation de bulles des prix d'actifs comme en ont connu le Japon des années 1980 et les États-Unis dans les premières années de ce siècle.

Certains s’inquiètent de ce que la hausse des taux pourrait conduire à attirer des flux spéculatifs. C’est en effet possible, étant donné que toutes les grandes banques centrales ainsi que celles d'Asie ont tendance à stabiliser leurs taux, voire à opter pour une politique encore plus accommodante. Mais si la hausse des taux ajoute une pression à la baisse sur les prix des actifs, elle pourrait ainsi décourager les entrées de capitaux spéculatifs. L'impact net n'est pas clair, mais il paraît peu probable que le gouvernement puisse totalement éliminer le risque de spéculation.

À court terme, le gouvernement chinois est sans doute prudent de laisser sa monnaie continuer à s’apprécier. Malgré les risques d'un retour de la récession, les décideurs chinois sont probablement plus confiants dans les perspectives de croissance. Il existe enfin une possibilité que la Chine renforce ses contrôles sur certains types de flux de capitaux afin de réduire les flux spéculatif. Une telle décision, cependant, devrait être considérée comme une simple réponse temporaire à des conditions de marché volatiles. La tendance à long terme reste une libéralisation du compte de capital.

Une version anglaise de ce texte est publiée sur le site de notre partenaire VoxEU.