Face à Facebook. La presse a-t-elle une chance? edit

16 juin 2017

Mark Zuckerberg, propriétaire à 33 ans de Facebook, un groupe qui réalise 25 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 9 milliards de bénéfices, a entrepris une tournée des 50 états des Etats-Unis pour prodiguer ses conseils humanistes et prôner notamment le revenu universel pour aider les plus défavorisés. Cette démarche insolite s’explique, au moins en partie, par le souci du puissant patron d’un réseau qui a près de deux milliards de clients dans le monde, de restaurer l’image d’une organisation qui a multiplié les dérapages en matière d’information et menace l’économie des médias traditionnels sur deux continents.

Un propagateur de fausses nouvelles

La propension de Facebook à diffuser de fausses nouvelles, les « fake news » a été largement débattue lors des élections présidentielles américaines. Accusé d’avoir laissé faire alors que ces informations biaisées  visaient surtout à favoriser Trump au détriment de Clinton, Zuckerberg a commencé par nier l’évidence en répétant que son réseau n’avait pas vocation à contrôler les contenus comme un vulgaire média et que les fausses nouvelles ne représentaient qu’une part infime des échanges de ses dizaines de millions d’usagers américains.

Face au tollé déclenché par ces affirmations bien éloignées de la réalité, Facebook a été obligé de reculer. Ses responsables ont accepté d’engager, en janvier 2017, un dialogue avec les médias. Ils ont successivement mis en place une concertation avec huit grands groupes de médias, décidé de couper l’accès à leur régie pour les sites les plus racistes et extrémistes, revu leurs fameux algorithmes pour mieux faire le tri et éliminer les propos les plus abusifs. Enfin, ils viennent d’annoncer le recrutement de 3000 médiateurs chargés de compléter par une approche humaine la mécanique très imparfaite des algorithmes, en s’appuyant sur des cahiers d’instruction très détaillés que le Guardian du 22 mai dernier a présenté et commenté.

Cette attitude plus constructive s’est poursuivie en France, le deuxième grand pays occidental à affronter des élections présidentielles dans cette période. Facebook France a engagé un dialogue avec les principaux médias français, journaux et chaînes de télévision et les a encouragé à pourchasser les « fake news ». En revanche, il a refusé de financer ces opérations, telles que celle des décodeurs du Monde, alors qu’il aurait été normal que cette mission soit prise en charge par le réseau social qui en tire le principal bénéfice en matière de crédibilité.

L’échec d’Instant Articles

Les mêmes ambiguïtés se manifestent en ce qui concerne une opération visant ostensiblement à aider la presse,  lancée à grand renfort de publicité il y a deux ans et qui semble aujourd’hui tourner à l’échec. Il s’agit d’Instant Articles. Ce dispositif proposé aux Etats-Unis et en Europe aux titres de la presse écrite avait pour objet d’assurer la distribution de leurs principaux articles par le réseau Facebook qui rétrocédait aux journaux 70% des recettes publicitaires.  Au départ, le succès semblait garanti, des journaux prestigieux comme le New York Times ou le Guardian ou, en France des médias puissants comme Le Parisien et 20 Minutes adhérèrent à un système qui promettait d’accroître l’audience des titres bénéficiaires tout en leur apportant des recettes supplémentaires.

Dès le lancement de ce projet de nombreux observateurs mirent pourtant en garde la presse en soulignant combien il était dangereux de confier une partie de sa distribution à un géant soucieux avant tout de ses propres intérêts. En France, Le Monde et Le Figaro refusèrent les avances de Facebook pour ces mêmes raisons.

Depuis, Instant Articles a déçu ses clients. Fin 2016, le New York Times et le Guardian se sont retirés et les journaux français ont critiqué un système totalement dénué de transparence. Facebook en effet a refusé de fournir aux titres concernés des informations sur le lectorat et l’audience des articles. Dans ces conditions, la direction du New York Times a  estimé qu’il était plus intéressant de poursuivre une politique de collecte d’abonnés qui communiquent avec le journal sans intermédiaires et fournissent de précieuses data.

La persistence d’un climat de méfiance

Ces différentes péripéties ont engendré un profond climat de méfiance à l’encontre d’un géant qui affiche des résultats financiers impressionnants mais manifeste peu de considération pour ses partenaires des medias. On peut affirmer, sans exagérer que la puissance et le rôle de Facebook constituent aujourd’hui un défi majeur pour une presse qui veut rester pluraliste au sein d’une société démocratique.

Les journaux se trouvent en effet en position de concurrence très inégale avec ce réseau social en termes à la fois de contenus et de ressources.

Aujourd’hui, Facebook est un important fournisseur d’informations pour ses usagers qui constituent  souvent un public captif, alimenté par Newsfeed, une sélection de nouvelles formatée par des algorithmes qui tiennent compte des préférences de chacun. On estime que plus du tiers de la population, aussi bien aux Etats-Unis qu’en Europe, s’informe en priorité sur le réseau social. Celui-ci exploite sans contrepartie le travail de collecte des agences et des médias et enserre ses utilisateurs dans une bulle qui exclut toute information allant à l’encontre de ses convictions. Pour Facebook, il faut en effet garder le client le plus longtemps possible pour lui faire consommer le maximum de publicité et donc éviter de le perturber en lui proposant des éléments qui pourraient le choquer.

Cette politique est évidemment payante. Les deux grandes plateformes, Google et Facebook, absorbent an 2017 plus de 70% des recettes de la publicité numérique en France, comme chez ses voisins européens ou aux Etats-Unis, et on estime que ce pourcentage devrait s’élever encore d’ici 2020. Cela a pour conséquence que les médias traditionnels ne peuvent pas financer leurs supports numériques par la publicité, à un moment où celle-ci disparaît du papier. Ils sont donc obligés de recourir à l’abonnement, en sachant que les lecteurs ne sont pas disposés à multiplier les souscriptions. Une sélection économique drastique se profile donc qui entraînera la disparition de nombreux titres et portera forcément atteinte au pluralisme.

Il existe pourtant des pistes de solution pour éviter que ce processus n’entraîne un dérèglement total de l’information des citoyens. Il importe avant tout d’obliger Facebook et, dans une moindre mesure, Google à accepter les contraintes de base des médias en contrôlant de manière beaucoup plus efficace leurs contenus comme la loi oblige les journaux à le faire sous peine de poursuites judiciaires.

Vers un statut europeen des réseaux sociaux

L’Allemagne vient de montrer l’exemple en mettant en chantier une loi qui impose aux réseaux sociaux de supprimer les informations faisant l’apologie du racisme, de la pédophilie ou du terrorisme sous peine de sanctions pouvant s’élever à 50 millions d’euros. Ce projet a évidemment suscité les protestations de Facebook qui continue de refuser d’être assimilé à un média. Néanmoins, la démarche allemande est une première étape qui devrait inciter les autorités européennes à avancer, comme d’ailleurs l’a reconnu le ministre allemand de la Justice. Le fait que la France ait élu Emmanuel Macron, un président qui affiche ses convictions européennes, devrait aussi faciliter cette évolution. On peut donc espérer que Français et Allemands veillent à ce que les autorités européennes élaborent un statut des réseaux sociaux et s’assurent que ces derniers partagent leurs données avec les médias dont ils exploitent impunément les contenus. On reviendra sur ce point fondamental dans une autre note de Telos.

Cela ne suffira pas à mettre un terme à la crise économique de la presse. L’étape suivante sera donc une concertation européenne, indispensable pour mettre en place des offres alternatives aux plateformes numériques et freiner la fuite des recettes publicitaires qui menace la survie des journaux.