La fin de Berlusconi ? edit

30 juin 2009

Lors de la première semaine du mois de juillet, le monde aura les yeux tournés vers l’Italie qui accueillera le sommet du G8 dont elle assure cette année la présidence. Silvio Berlusconi se réjouissait de la tenue de cette rencontre dont il espérait tirer profit afin de renforcer sa crédibilité et sa réputation d’homme d’Etat qu’il cherche à se construire. Davantage : il avait réussi un formidable coup de communication en annonçant à l’impromptu que ce sommet ne se déroulerait pas comme prévu au large de la Sardaigne mais à L’Aquila, en plein centre du terrible séisme qui, le 6 avril dernier, a secoué cette ville et la région des Abruzzes provoquant d’importantes destructions et la mort de plus de 300 personnes. Ses très fréquents déplacements sur le terrain comme son discours célébrant l’unité nationale prononcé à l’occasion de la fête du 25 avril, date du soulèvement en 1945 de la Résistance contre les nazis et les fascistes de la République de Salò, l’avaient fait de nouveau monter au zénith de la popularité. En quelques mois, la situation s’est inversée.

L’annonce de la demande de divorce par sa femme suivie des révélations sur sa vie privée avec ses fréquentations d’une mineure et de jeunes femmes à la moralité douteuse dévoilées d’abord par les journaux d’opposition, La Repubblica et L’Espresso, puis par d’autres médias, l’ont mis sur le gril. L’Eglise l’a appelé à adopter un comportement privé exemplaire cependant que l’influent hebdomadaire Famiglia cristiana est allé jusqu’à écrire que « Le Premier (ministre) est indéfendable ». De nombreux médias internationaux, en particulier anglais, ont relayé les informations de la presse italienne et se sont indignés des réponses embrouillées du Président du Conseil et des menaces qu’il profère à l’égard des organes d’information. Des rumeurs circulent selon lesquelles son entourage s’alarmerait de son optimisme volontariste à propos de la crise : en effet, Berlusconi en minimise la portée, alors que tous les indicateurs sont au rouge, et il fustige le pessimisme de l’opposition comme les prévisions des organismes financiers et économiques internationaux. Certains de ses amis ont évoqué l’hypothèse d’une chute prochaine de leur champion et il semblerait que de puissants groupes d’intérêt, à commencer par les grandes familles entrepreneuriales, agissent afin que celle-ci se réalise effectivement. La question de la fin politique de Silvio Berlusconi, voire de sa démission, serait donc posée. Qu’en est-il précisément?

La situation de Silvio Berlusconi n’a jamais été aussi paradoxale. D’un côté, il est certain que son image internationale est encore plus écornée qu’auparavant et qu’il est affaibli politiquement. Ainsi, les sondages enregistrent un fléchissement de sa popularité personnelle qui cependant demeure élevée, un Italien sur deux continuant de le soutenir. Le résultat de ses listes aux européennes n’a pas été à la hauteur des objectifs très élevés qu’il leur avait assignés. En outre, alors que le premier tour des élections administratives partielles des 7 et 8 juin avait été marqué par un succès de son parti, le Peuple de la Liberté (PDL), quinze jours plus tard, le second tour s’est traduit par un ralentissement de l’avancée de la droite et une reprise de la gauche : une partie de ses électeurs, surtout les catholiques pratiquants et les ménagères choqués par les frasques de Berlusconi, a préféré s’abstenir ou voter pour d’autres formations de droite. D’un autre côté, avec 35,3% des suffrages exprimés aux européennes, le PDL a progressé quelque peu par rapport au résultat obtenu en 2004 par les deux partis dont il est issu, Forza Italia (21%) et Alliance nationale, AN (11,5%). Son allié, la Ligue du Nord, a doublé ses voix en cinq ans et même marqué des points dans les zones classiquement acquises à la gauche. Par ailleurs, dans l’autre scrutin, le centre droit a gagné dans 34 provinces (l’équivalent de nos départements) alors qu’il en avait obtenu 9 il y a cinq ans : aux élections communales, le centre droit a enregistré 14 victoires contre 5 en 2004. Bref, le PDL demeure le premier parti, flanqué de son allié la Ligue du Nord qui exerce une pression continue sur le gouvernement, notamment pour ce qui concerne la lutte très dure contre l’immigration clandestine. L’affaiblissement du leader n’empêche pas son parti et son camp de vaincre.

En outre, Silvio Berlusconi dispose de nombreux atouts. Sa personnalité d’abord puisque, depuis quinze ans qu’il s’est lancé en politique, à chaque fois qu’on croit le voir mettre un genou à terre, il rebondit avec encore plus d’énergie. Ses ressources matérielles de milliardaire contrôlant la moitié du paysage audiovisuel italien, ce qui est à l’origine du conflit d’intérêt entre ses affaires privées et sa fonction de Président du Conseil, constituent une arme politique précieuse. Il sait aussi jouer de deux registres opposés ; d’un côté, le populiste qui continue de se faire passer pour un homme nouveau, lève des tabous, provoque, plaisante de manière douteuse, se place au centre de l’attention, mène une campagne permanente, et, de l’autre, le dirigeant responsable, soucieux de trouver des solutions aux grandes affaires nationales et internationales. En outre, il profite de ce que l’opposition est au plus mal. Le Parti démocratique (PD), fruit de la fusion des ex-communistes et d’ex-démocrates chrétiens, n’a pas réussi à définir un projet clair, une identité tranchée, une stratégie efficace, ni à faire émerger un leader d’envergure. Il reproduit, en modèle bien plus réduit, la puissance d’antan du Parti communiste italien localisée dans le Centre du pays. Il est traversé par de forts conflits internes. Il souffre en outre de la concurrence du parti de l’ancien magistrat Antonio Di Pietro, l’Italia dei valori, qui s’affronte durement avec Berlusconi. Enfin, si au gouvernement et dans la majorité parlementaire, certaines personnalités, comme le ministre de l’Economie et des Finances, Giulio Tremonti, ou Gianfranco Fini, le président de la Chambre des députés, pensent certainement à la succession, leur heure ne paraît pas avoir encore sonné.

Reste enfin à prendre en compte toute l’épaisseur du « berlusconisme » qui consiste en la combinaison de plusieurs ingrédients. Un chef, seul capable d’associer des sensibilités politiques variées, symbolisées par l’alliance réussie entre la Ligue du Nord et AN, qui descend des néo-fascistes du Mouvement social italien mais a rompu avec cet encombrant héritage. Un parti unique qui couvre un large espace politique allant des confins de la droite extrême au centre. Une forme d’hégémonie culturelle avec des références très antagoniques proposées à une société en pleine mutation : modernité et tradition, libéralisme et protectionnisme, Europe et sentiment national, dureté contre l’immigration clandestine et compassion sociale, référence à l’Eglise catholique et comportements privés à l’opposé des valeurs chrétiennes etc. Enfin, un bloc social composite cimenté par la propre action du chef : au Nord, les petits chefs d’entreprise, les commerçant et artisans, les professions libérales ; au Sud, les laissés pour compte de la modernisation, avec faible niveau de qualification et d’instruction, apeurés par l’évolution de l’Europe, du monde, et l’afflux d’immigrés ; enfin, les catholiques pratiquants, et, selon les scrutins, une large partie des salariés du privé. Le berlusconisme est une offre politique en phase avec les évolutions d’une partie des Italiens. Que deviendra à l’avenir cette construction ? S’effondrera-t-elle comme un château de cartes avec l’éventuelle chute de Silvio Berlusconi, ainsi que le croit l’opposition de gauche ? Ou, à l’inverse, ce socle sera-t-il capté par un autre responsable du centre droit ?

Telle est la question de fond. Aucune solution de rechange à Berlusconi ne s’impose dans l’immédiat. Mais il est presque certain que ce dont il est l’expression et qu’il a forgé de toutes pièces ne disparaîtra pas du jour au lendemain.