Le mythe de la VIe République edit

14 avril 2017

Depuis une vingtaine d’années, le projet de passage à une VIe République est le slogan favori d’hommes politiques en mal d’idées. Certes, ce concept est en général remarquablement flou et ne débouche pas sur beaucoup de propositions concrètes. Néanmoins, la persistance du débat sur la nécessité  d’un changement profond de nos institutions a un effet pervers sur le fonctionnement de la démocratie.

Il convient tout d’abord de rappeler le côté franco-français de cette démarche. La France est le seul pays européen où les politiques en difficulté cherchent une forme d’évasion en affirmant qu’un changement de constitution réglerait les problèmes du pays. Cette tradition nationale a certes été nourrie par les multiples bouleversements qui ont marqué le XIXe siècle et une grande partie du XXe. Toutefois, des pays voisins comme l’Allemagne ou l’Italie, qui n’ont pas été épargnés par les secousses des cent dernières années, n’ont jamais envisagé depuis 1945 un changement radical d’un mode de fonctionnement respectueux de la démocratie et accepté par la très grande majorité de la population.

Ce comportement typiquement français s’explique en partie par les réflexes d’électeurs toujours méfiants et critiques à l’encontre d’un pouvoir qui leur paraît lointain et trop peu soucieux des inégalités alors que l’exigence d’égalité est une composante du caractère national. Dans un pays fracturé politiquement en opinions et partis inconciliables, le projet d’une Constitution réglant comme par miracle les divisions et querelles françaises peut apparaître à beaucoup d’électeurs comme une solution d’autant plus attrayante que ses modalités d’application restent imprécises.

Quels sont les arguments de ces adeptes du bricolage constitutionnel dont les plus récents porte-parole ont été Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon ? Selon eux, le régime de la Ve République instauré en 1958 par le général de Gaulle, auquel ils n’hésitent d’ailleurs pas à rendre hommage, est à bout de souffle. Il concentre trop de pouvoirs entre les mains d’un président trop puissant, au détriment d’un Parlement transformé en chambre d’enregistrement et surtout des Français. Ceux-ci seraient privés de leur droit d’intervention sur les principales décisions du pouvoir qui seraient prises sans eux, de manière arbitraire. « Il faut redonner le pouvoir aux Français », thème maintes fois évoqué par des hommes politiques qui n’ont pas toujours fait preuve de la même écoute dans leur comportement personnel.

Quels sont les remèdes préconisés par les uns et les autres ? Il y a d’abord le référendum d’initiative populaire évoqué notamment par Benoît Hamon, qui permettrait aux citoyens de contester les lois, sans l’écran insupportable du Parlement… dont on voudrait néanmoins accroître le rôle. L’histoire politique de la France démontre de manière incontestable que les référendums  sont en général détournés par les électeurs qui ont du mal à appréhender les textes complexes qu’on leur soumet et qui profitent de ce vote pour exprimer leur mécontentement à l’encontre du pouvoir en place. Autoriser, comme l’a préconisé Hamon au moment de la primaire, 1% des électeurs à déclencher un référendum pour remettre en cause une loi serait la porte ouverte aux débordements démagogiques de l’extrême droite ou de l’extrême gauche et, pour le coup, rendrait le pays ingouvernable.

Jean-Luc Mélenchon va plus loin et propose dans son programme présidentiel l’élection d’une assemblée constituante, chargée d’élaborer la constitution de la VIe République. Ce nouveau texte aurait comme principal avantage de rendre enfin le pouvoir aux Français en supprimant la fonction d’un président quasi monarchique, en renforçant le Parlement et en ayant recours régulièrement au référendum.

Ces différents projets suggèrent aussi l’introduction du scrutin proportionnel, ce qui permettrait à toutes les opinions de s’exprimer à l’Assemblée Nationale, une proposition qui recueille évidemment l’appui enthousiaste du Front National qui en serait le principal bénéficiaire.

Quelles conclusions peut-on tirer de cette agitation constitutionnelle qui persiste au fil des années et des scrutins ?

Tout d’abord il faut reconnaitre, comme le souligne Philippe Raynaud dans un récent ouvrage (L’Esprit de la Ve République, Perrin, 2017), que loin d’être nouvelles ces propositions et notamment celles de Mélenchon traduisent une nostalgie certaine de la IVe République. Celle-ci fonctionnait avec un président au rôle purement décoratif et une Assemblée toute puissante, élue à la proportionnelle tempérée par les apparentements. En réalité, le peuple n’avait guère d’influence sur des gouvernements éphémères résultant de combinaisons partisanes obscures, passionnantes pour les élus mais frustrantes pour les électeurs. Au surplus, l’instabilité ministérielle et l’absence d’une direction politique forte donnait des pouvoirs considérables à la haute administration qui, par chance, était d’excellente qualité.

Cette démocratie très imparfaite sombra face à l’épreuve algérienne et les partis furent soulagés, à quelques exceptions près, de confier à de Gaulle les clés du pouvoir et le soin de mettre en place un nouveau régime garantissant la stabilité de l’Etat dans le respect du suffrage universel.

Par ailleurs, il faut prendre en compte le fait que l’élection du président au suffrage universel, introduite par de Gaulle en 1962, est extrêmement populaire. On imagine mal qu’une majorité des Français soit disposée à renoncer à un choix qui leur permet de faire savoir tous les cinq ans comment ils souhaitent être gouvernés. Ils savent bien aussi que dans le monde complexe et dangereux dans lequel nous vivons, la France a besoin d’être représentée par une personnalité assurée d’une certaine pérennité et pas, comme en Italie, par des présidents du Conseil qui changent tous les ans.

Il faut enfin reconnaître les mérites du système de parlementarisme rationnalisé conçu à l’époque par Michel Debré et amendé depuis, qui permet au président et au Premier ministre de gouverner efficacement sans pour autant marginaliser l’Assemblée.

L’objectif recherché était d’obliger les députés à prendre leurs responsabilités. C’est la signification de l’article 49-3 de la Constitution tant décrié par certains élus. Cette disposition qui a été régulièrement utilisée par la droite comme par la gauche oblige l’Assemblée a accorder sa confiance au gouvernement sur les sujets importants ou à renverser celui-ci au risque d’une dissolution décidée par le président.

En revanche, ceux qui critiquent le régime actuel ne tiennent pas compte du fait que les parlementaires utilisent peu les pouvoirs d’enquête et de contrôle que leur confèrent les textes et qui les autorisent à aller dans les ministères pour des vérifications « sur pièce et sur place » et à constituer des commissions d’enquête dotées, au moins en théorie, de larges attributions. Si on y ajoute le droit de saisine du Conseil constitutionnel par une minorité d’élus, on constate que le vrai défi pour le Parlement n’est pas tant d’accroître ses pouvoirs que de s’assurer qu’il utilise pleinement les prérogatives dont il dispose, ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui.

Il est probable qu’à la clôture du cycle électoral de 2017, le débat sur une mythique VIe République retombera. Cela ne veut pas dire que les citoyens doivent se désintéresser du bon fonctionnement des institutions. Toutefois, celles-ci peuvent être améliorées sans qu’on ait besoin de recourir à des bouleversements majeurs. On peut envisager, comme le suggère Philippe Raynaud, d’introduire une part de proportionnelle dans le mode de scrutin. On peut aussi inciter les parlementaires à mieux utiliser les instruments de contrôle dont ils disposent et qu’ils négligent trop souvent. De ce point de vue, la fin du cumul des mandats, qui était aussi une spécificité française, devrait favoriser un travail plus soutenu au Palais-Bourbon.

Il faudrait enfin que les principales personnalités politiques acceptent de tenir un discours responsable en reconnaissant que les défis qu’affronte la France méritent des propositions concrètes et non des changements d’une Constitution qui devrait être traitée avec respect comme c’est le cas chez nos voisins européens.