Naissance du G2 edit

13 juin 2013

Le sommet sino-américain de Sunnylands des 7 et 8 juin peut être considéré comme un sommet de première importance. Il consacre de manière presque formelle la naissance du G2. La coopération reste certes fragile et à la merci de multiples risques. Mais le travail accompli est conséquent et l’Europe et le Japon feraient bien d’en prendre la mesure s’ils veulent éviter de rester sur la touche.

Pour la première fois peut-être depuis les rencontres Kissinger-Zhou Enlai de 1971, Nixon-Mao de 1972 et les rencontres de travail avec Deng Xiaoping en 1979, les leaders des deux puissances ont pu prendre huit heure de temps en tête à tête pour travailler sur les sujets de fonds et faire un véritable tour de table de la géopolitique du monde.

Certains ont émis des doutes sur le degré d’autonomie et la capacité de leadership de Xi Jinping. Force est de constater que Xi est celui qui a accepté une rencontre de travail de fond, alors que la Chine depuis plus de 20 ans refusait un tel format et insistait sur la pompe et la circonstance qui servaient à projeter une plus grande légitimité nationale en retour sur le régime de Jiang Zemin ou Hu Jintao.

Par ailleurs, il est clair que le sommet n’a pas pu accomplir de miracles sur nombre de sujets clefs, tels que le cyber-espionnage, les ventes d’armes à Taiwan, la mer de Chine méridionale, ou la gestion du Renminbi. On sentait bien la rigidité chinoise sur la plupart des sujets militaires. Point de communiqué mirobolant évoquant une alliance ou une co-gestion de la planète.

Point non plus de véritable relation humaine chaleureuse entre le président Obama et le président Xi Jinping. Bien que leurs assistants aient parlé de la création d’un rapport humain comme un objectif majeur du sommet, cela n’est sans doute pas possible entre deux leaders trop rationnels et trop contraints par le poids des tendances lourdes. Mais un rapport de travail a sans doute été établi entre certains de leurs conseillers. Plus important encore, la longue rencontre aura permis aux chefs d’État de se comprendre un peu plus et d’éviter les erreurs graves de perception et de vision qui semblent par exemple affecter fortement les relations entre Chine et Japon.

Le sommet de Sunnylands est sans doute une étape très importante pour les relations internationales, et ce pour cinq raisons.

Avant tout, les deux chefs d’État sont deux hommes de grande compétence et ont su mettre d’emblée le doigt sur les grands enjeux. D’entrée de jeu, Xi a déclaré qu’il s’agissait bel et bien pour ces deux puissances dominantes de la planète d’éviter le chemin de « l’inévitable confrontation entre grandes puissances » du passé. Les deux pays ont conscience qu’il leur incombe de sortir de la trajectoire historique des puissances montante et descendante et qu’ils sont condamnés à coopérer sur les intérêts compatibles et limiter les conflits sur les sujets incompatibles.

Ensuite, les deux délégations ont su travailler ensemble avec le bon format : un agenda précis, des délégations limitées aux personnes qui comptent et une concentration du temps sur les sujets de travail, sans détours et distractions. Du côté chinois, il faut noter que la délégation présente à la table de discussion comptait quatre ministres clé (Yang Jiechi, supremo du gouvernement pour les Affaires étrangères ; Wang Yi, ministre des Affaires étrangères avec un rôle plus limité ; Gao Hucheng, ministre du Commerce, et Xu Shaoshi, président de la toute puissante Commission Nationale pour le Développement et la Réforme), ainsi que deux membres du politburo de la génération montante (Wang Huning, un brillant professeur expert des Etats-Unis et Li Zhanshu, acteur clé au sein du Parti communiste chinois).

Troisième point important, la rencontre a entériné le point de progrès majeur dans la relation sino-américaine : la Corée du Nord. Depuis plus d’un mois, il est clair que le président Xi Jinping a joué un rôle direct dans le changement de direction chinois et a réussi à forcer le trublion nord-coréen Kim Jong-un à faire marche arrière et à cesser ses menaces tonitruantes proférées contre Etats-Unis, Japon, et Corée du Sud. C’est un virage important. Quel contraste avec la situation en 2011 et le sommet tendu de janvier 2012 entre les présidents Obama et Hu Jintao ! Obama avait dû alors s’exprimer fermement avec les Chinois sur le sujet de la Corée du Nord.

Chose intéressante mais que nous ne connaîtrons jamais avec certitude : il semblerait que la discussion sur la Corée du Nord ait même pu toucher pour la première fois le scénario d’un effondrement possible du régime et d’une nécessaire coopération entre troupes américaines et chinoises. Il semble également plausible que la Chine ait exprimé un lien entre son rôle en Corée du Nord et la situation disputée des îles Senkaku-Diaoyu avec le Japon, demandant la compréhension américaine. On peut en tous cas constater une certaine nervosité japonaise face au rapprochement sino-américain.

Quatrième point, Chine et États-Unis se sont mis d’accord pour renouer avec des liens proches entre leurs militaires pour réduire les incompréhensions.

Enfin, la dernière surprise sortie du chapeau fut un accord technique important pour le changement climatique au sujet des émissions de gaz HFC.

En somme, après presque quatre ans de cafouillages et de tensions, la relation sino-américaine semble être repartie sur de bonnes bases, celles d’un mini-G2 capable de coordonner plusieurs sujets planétaires de grande importance. Ce nouveau départ sera-t-il suffisant pour réduire les tensions liées à la montée en puissance de la Chine et au pivot américain en Asie ?

Il est encore trop tôt pour le dire. Mais on peut déjà affirmer deux choses : le G2 a minima sorti du désert californien est sans doute une bonne nouvelle pour le système international mais aussi une certaine menace à court-terme pour le rôle de l’Europe dans les affaires internationales. Puisse-t-il donc servir de point de ralliement pour une vraie politique étrangère européenne cohérente face aux Etats-Unis et à la Chine et sur les grands sujets du monde. Faute d’un tel sursaut, la voix européenne dans les affaires mondiales pourrait bien graduellement s’effacer dans un monde en pleine mutation. La situation de l’UE empêtrée dans ses divergences internes sur la bataille solaire avec la Chine et les remontrances chinoises rappelant à l’UE qu’elle est une puissance en déclin et se doit de s’adapter rapidement au nouveau monde ne peuvent que servir de contraste frappant avec les progrès du G2 sino-américain !