Emmanuel Macron a-t-il obtenu un mandat pour réformer la France? edit

9 mai 2017

La très nette victoire d’Emmanuel Macron sur Marine le Pen (66/34) a été parfois commentée comme une victoire par défaut qui ne donnerait pas un véritable mandat au nouveau président pour réformer le pays dans la direction qu’il a proposée aux Français tout au long de sa campagne. Or, les deux arguments les plus souvent avancés à l’appui de cette thèse sont très contestables. L’un est le niveau de l’abstention et des bulletins blancs et nuls, l’autre, le fait que la majorité des électeurs du nouveau président ont davantage voté contre la candidate frontiste que pour lui-même. Ces deux phénomènes fragiliseraient sa légitimité.

Il est vrai que le niveau de l’abstention et des bulletins blancs et nuls à ce second tour est particulièrement élevé ; il atteint 36,9% (25,4% d’abstention et 11,5% de blancs et nuls). Il est nettement supérieur à la moyenne des élections présidentielles. Il faut remarquer cependant qu’il est comparable à celui du second tour de l’élection présidentielle de 1969 (35,5%). Rappelons qu’en 1969, comme en 2017, la gauche avait été éliminée au premier tour de scrutin (Duclos pour le PCF, Defferre pour la SFIO, Rocard pour le PSU et Krivine pour la Ligue Communiste), et que le PCF (qui avait obtenu 21% sur les 31% de la gauche) avait prôné l’abstention (« blanc bonnet et bonnet blanc »), le PSU et la Ligue communiste l’abstention ou le vote nul. Dans une situation pour partie comparable (le candidat centriste au second tour (Poher) affrontait alors le candidat gaulliste (Pompidou), une grande partie de l’électorat de gauche avait suivi les consignes de ses candidats. En 1969, comme en 2017, les deux tiers seulement des électeurs ont ainsi voté pour l’un des deux candidats en présence. La légitimité du président élu, Georges Pompidou, n’avait pas été mise en doute à l’époque. Pourtant, il n’avait obtenu que 37,5% des inscrits alors que Macron en a obtenu 41,5%.

Pour ce qui concerne l’argument du vote par défaut au second tour, le fait que l’ensemble des électeurs de Macron aient moins souvent voté par adhésion que ceux de son adversaire ne doit pas nous étonner. En effet, entre les deux tours, le total des voix recueillies par le premier est passé de 8,7 millions à 20,7 millions, soit une augmentation de 12 millions de voix tandis que celui recueilli par la seconde est passé de 7,6 millions à 10,6 millions, soit une augmentation de 3 millions de voix seulement. La grande majorité des électeurs de Macron au second tour n’avaient donc pas voté pour lui au premier. Leur vote au second tour exprimait donc par définition un second choix. En revanche, la majorité des électeurs ayant voté pour Marine le Pen au second tour avaient voté pour elle au premier tour. Il serait donc étrange de mettre en cause la légitimité du président élu au motif qu’il a su entre les deux tours créer une dynamique électorale qui lui a permis de multiplier par deux et demi son électorat, tandis que l’électorat de Marine le Pen, qui n’a augmenté que d’un tiers entre les deux tours, serait resté, lui, en majorité un vote d’adhésion ! En 2007, du premier au second tour de scrutin, le score de Nicolas Sarkozy était passé de 26% à 43% des inscrits. Près de la moitié de son électorat du second tour avait donc voté pour un autre candidat au premier. Qui, à l’époque, lui avait dénié sa légitimité pour appliquer son programme ? En 2017, une large majorité des électeurs des candidats éliminés au premier tour qui ont exprimé un choix au second tour l’ont fait, à l’exception de ceux de Dupont-Aignan, en faveur d’Emmanuel Macron, lui confiant ainsi le pouvoir exécutif. Avec 41,5% des inscrits au second tour, il se situe dans la moyenne des présidents élus sous la Ve République. Et, avec 66% des suffrages exprimés, il a obtenu le score le plus élevé à une élection présidentielle sous la Ve République à l’exception de celle de 2002.

Confrontés au choix binaire Macron/Le Pen, la majorité des électeurs qui n’avaient voté ni pour Marine Le Pen ni pour Emmanuel Macron au premier tour ont voté pour ce dernier au second, contredisant les commentaires annonçant la mort du Front républicain. Certes Mélenchon et une partie des personnalités des Républicains ont refusé d’intégrer ce Front, mais les électeurs, eux, l’ont fait en majorité. Les Français ont ainsi massivement refusé le pouvoir au Front national. Certes, le score de 34% de Marine Le Pen est important et très supérieur à celui obtenu par son père en 2002. Mais le plafond de verre électoral existe toujours pour son parti.  Quelles que soient les motivations des électeurs qui ont voté pour Macron au second tour, ils ont en tout cas exprimé clairement leur volonté de barrer la route du pouvoir au Front national, montrant ainsi qu’ils partagent avec Emmanuel Macron un certain nombre de valeurs. Plus positivement, selon les données de l’institut Louis Harris, sur l’ensemble des électeurs interrogés au soir du second tour, 53% souhaitent que le nouveau président gouverne avec une majorité allant du centre-gauche au centre-droit, 25% une majorité de droite et 21% une majorité de gauche, ce qui donne mandat au nouveau président pour tenter d’opérer la recomposition du système politique qu’il souhaite mettre en œuvre. Par ailleurs, 67% de ses électeurs du second tour se disent enthousiastes ou confiants après l’élection du nouveau président. Si le vote Macron est pour partie un vote par défaut, en ce sens que beaucoup d’entre eux auraient préféré voir figurer un autre candidat au second tour, il n’est donc pas seulement un vote contre.

En réalité, ce ne sont donc pas les résultats de l’élection qui limitent la portée du mandat que le peuple a donné à Emmanuel Macron en l’élisant président de la République. La légitimité électorale du nouveau président n’est pas inférieure à celle de ses prédécesseurs. Ce sont des éléments d’une autre nature qui pourraient limiter cette portée, des éléments qui sont de nature institutionnelle. En effet, notre régime politique étant un régime parlementaire, le président ne pourra disposer des moyens politiques d’appliquer son programme que s’il obtient ou construit une majorité à l’Assemblée nationale en juin prochain, la notion de majorité présidentielle n’ayant de véritable consistance politique que si elle trouve sa traduction au niveau parlementaire. Il est impossible aujourd’hui de prévoir le résultat des prochaines élections législatives, et, donc, la marge de manœuvre dont disposera Emmanuel Macron pour appliquer son programme. Si son mouvement En Marche n’obtient pas la majorité absolue des sièges à l’Assemblée nationale, il devra chercher alors à construire une majorité dans la logique des coalitions parlementaires, dans le cadre institutionnel qui est celui d’un régime représentatif. Et cette recherche, si elle aboutit, devra nécessairement être le résultat de compromis qui pourront modifier plus ou moins profondément son projet initial. Dans le paysage politique éclaté qui est celui de la France d’aujourd’hui, Emmanuel Macron a su rassembler une part suffisante d’électeurs pour le porter à la présidence de la République. C’est désormais une majorité parlementaire qu’il lui faut rassembler. L’enjeu des prochaines législatives est aussi décisif pour lui que celui de l’élection présidentielle puisqu’il lui faut gagner cette étrange consultation à quatre tours que constitue la séquence présidentielle/législatives pour être un président « de plein exercice ».