La France du non, arbitre de la présidentielle ? edit

26 mars 2012

L'Europe a depuis longtemps un rapport compliqué avec les élections. Celles que l'on qualifie d'élections européennes n'ont pas répondu aux attentes de leurs promoteurs. Les enjeux nationaux y dominent à un tel point qu'elles prennent l'allure de sondages grandeur nature sur la popularité des gouvernements en place, pour lesquels elles représentent souvent des épreuves cruelles. Les questions européennes y font l'objet de discours convenus, sauf pour les partis extrémistes, qui en tirent souvent un profit d'autant plus grand que, les enjeux réels étant modestes, le vote de protestation y est tentant.

D'aucuns en ont tiré la conclusion qu'il fallait, si l'on entendait politiser les débats sur l'Europe, descendre d'un cran, et les organiser à l'échelle nationale. La proposition a pour elle une logique incontestable, puisque les choix politiques nationaux sont souvent conditionnés par les décisions prises dans le cadre européen. Quel que soit le président élu le 6 mai, il devra tenir compte de la réforme du pacte de stabilité arrêtée en novembre dernier et faire preuve d'une grande prudence dans l'utilisation des deniers publics (même si le fameux « pacte budgétaire » n'était pas ratifié). Quoi de plus normal, dès lors, que de donner aux électeurs l'occasion de se prononcer sur les orientations qu'ils souhaitent voir défendues au niveau européen? L'évolution de la campagne présidentielle montre toutefois les difficultés que l'exercice peut présenter.

Pour bien les comprendre, quelques données de base doivent être rappelées. Tout d'abord, la période paisible où régnait un large consensus sur la nécessité de l'intégration européenne est bel et bien révolue. L'Europe est une source de clivages, au même titre que les inégalités ou l'immigration, comme l’a bien montré la campagne référendaire de 2005. Il s'agit de surcroît de clivages transversaux, qui traversent les principales familles politiques. Enfin, le système électoral peut contribuer à en accentuer le poids, comme le montrent les dernières péripéties de la campagne.

De façon générale, dans un climat général morose, l'opinion dans son ensemble se montre peu encline à accepter la perspective de nouveaux transferts de pouvoir vers Bruxelles. Mais le souverainisme est inégalement réparti : s'il est plus faible que la moyenne nationale parmi les électeurs potentiels de Nicolas Sarkozy ou de François Hollande, il est nettement plus prononcé parmi ceux qui soutiennent Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon. Or, dans un scrutin majoritaire à deux tours, la qualité des reports de voix au second tour est décisive pour assurer le succès d'un candidat.

Ces éléments nous permettent de mieux comprendre la façon dont les enjeux européens ont été abordés par les deux principaux candidats. Tous deux sont en effet confrontés au même problème : comment séduire leur électorat potentiel du second tour sans pour autant décevoir la frange pro-européenne de leurs sympathisants? Avec une difficulté supplémentaire pour Nicolas Sarkozy, qui peut être tenu pour responsable des choix politiques européens auxquels il a pris part.

Faisant preuve d'un incontestable sens du mouvement, celui-ci a réussi à transformer une contrainte en instrument d'une stratégie offensive. Ayant dû accepter avec le « pacte budgétaire » une forme de gouvernance par les règles contre laquelle il s'était toujours élevé, il s'en est servi pour mettre son adversaire dans les cordes : si celui-ci acceptait le pacte, il s'aliénait du même coup les sympathies des électeurs du Front de gauche, dont une partie significative est profondément « noniste » ; s'il choisissait de le rejeter, il risquait de se discréditer aux yeux de la frange modérée de son électorat, plus sensible à la nécessité de réduire la dette publique, et devait de surcroît payer un prix en termes d'image puisqu'il remettrait en cause la parole de la France. Joli coup, qui a incontestablement fait mouche... au niveau européen, Mme Merkel annonçant son appui à son ami Nicolas et boudant ostensiblement son rival, suivie en cela, nous dit-on, par d'autres leaders européens. Allait-on assister à un affrontement transnational, conservateurs et progressistes européens livrant bataille en France?

Cela paraît moins vraisemblable aujourd'hui qu'il y a quelques semaines, pour les raisons qui ont été rappelées plus haut : s'il veut conserver un espoir de réélection, Nicolas Sarkozy se doit en effet lui aussi de parler à la « France du non », ce qu'il s'est employé à faire dans le discours de campagne qu'il a prononcé à Villepinte le 11 mars. Renouvelant la manœuvre qui lui avait si bien réussi en 2007, il s'y est présenté en candidat de la rupture – européenne cette fois-ci. Reprenant à son compte les craintes de cette partie de la France qui se sent fragilisée, il s'en est pris à l'Europe « des technocrates et des tribunaux », à « l'Europe passoire », incapable de protéger ses citoyens contre l'immigration et les délocalisations, et il est même allé jusqu'à agiter la menace d'une sortie unilatérale des accords de Schengen. Tous ces thèmes constituent autant de passerelles vers l'électorat du Front national, mais ils ont évidemment terni son aura au niveau européen.

De son côté, François Hollande a refusé les termes de l’alternative dans laquelle son adversaire avait essayé de l’enfermer. Sa position, rappelée le 17 mars dans un meeting organisé à Paris avec plusieurs responsables socialistes européens, tient en un mot : s’il est élu, il « renégociera » le pacte budgétaire. Pourquoi insister sur ce thème, alors que l’on sait qu’il sera pratiquement impossible de renégocier un traité laborieusement conclu à 25, que certains auront déjà ratifié? La réponse tient sans doute à sa volonté de définir une position médiane : contrairement à Jean-Luc Mélenchon, il ne rejette pas purement et simplement l’accord en question, mais entend le voir compléter par des mesures en faveur de la croissance, qui pourraient prendre la forme d’un traité ou d’un protocole additionnel. Le choix d’une réunion européenne pour l’affirmer revêtait une valeur symbolique : montrer qu’il n’est pas le seul à réclamer ce complément et que, comme on disait en 2005, son « non » au pacte budgétaire est un « non européen ».

La France du « non » est décidément l’objet de bien des sollicitudes. Mais comment pourrait-il en aller autrement, avec un système électoral qui rend indispensable le soutien des électeurs les plus radicalisés au second tour? Les candidats en lice aspirent à la présidence de la République, pas à celle de l’Union européenne. Les enjeux européens sont donc pour eux d'importance secondaire. S’ils sont appelés à choisir entre les sympathies d’électeurs potentiels et celles des responsables européens, ils n’hésiteront guère. Dans ce contexte, il semble vain d'attendre un grand débat européen à l'occasion de cette campagne.