PS: le risque de défection edit

30 janvier 2017

La victoire de Benoît Hamon à la primaire va-t-elle provoquer une scission du Parti socialiste entre la majorité et la minorité issues du vote du second tour ? Si une telle éventualité ne peut être exclue elle a cependant peu de chances de se produire à court terme. Pourquoi ?

La gauche du parti, qui va y occuper une position dominante au moins jusqu’à l’élection présidentielle, n’a aucune raison d’abandonner un appareil partisan qu’elle a l’intention de conquérir. Quant à la droite du parti, elle est trop faible pour scissionner et créer une autre organisation, d’autant que la route est coupée sur la droite par Emmanuel Macron qui, pour l’instant, n’a pas l’intention de négocier avec des appareils ou des morceaux d’appareils partisans. En outre cette aile droite peut espérer reprendre du terrain dans le parti si le candidat socialiste s’effondre au premier tour de l’élection présidentielle. Ce qui menace en réalité le Parti socialiste est un phénomène d’une autre nature, la défection, c’est-à-dire la multiplication de départs individuels vers d’autres formations politiques. Le risque de défection vers l’extrême-gauche est très faible jusqu’à l’élection présidentielle du fait de la désignation d’un candidat appartenant à la gauche du parti. Tout dépendra ensuite des scores respectifs de Hamon et de Mélenchon au premier tour de l’élection présidentielle. En revanche, le phénomène de défection ne peut que se développer dès maintenant sur la droite du parti. Pourquoi ?

L’économiste Alfred Hirschman a publié, en 1970, un ouvrage de référence dont le titre est Exit, Voice and Loyalty (Défection, parole et loyauté). Cet ouvrage fournit des clés précieuses pour comprendre ce qui risque fort de se passer du côté de la minorité du Parti socialiste. Au départ, ses développements concernent des phénomènes de nature économique. Un consommateur mécontent du service ou du produit acquis n’a que deux manières de réagir pour exprimer son mécontentement à l’égard de son fournisseur : soit la prise de parole, individuelle ou collective (voice), s’il n’existe pas d’offre concurrente (par exemple aller se plaindre auprès de ce fournisseur de la mauvaise qualité du produit acquis ou du service rendu), soit la défection (exit) (c’est-à-dire le changement de fournisseur) si une offre concurrence existe. Appliqué au comportement des membres d’un parti politique ou d’une association, le modèle subit une légère transformation. Dans ce type d’organisations, les entrées et sorties ne sont pas aussi fluides du fait de la loyauté (loyalty) des membres à l’égard de leur organisation. Le sentiment de loyauté conduit les membres mécontents à privilégier la prise de parole. Cette prise de parole a d’autant plus de chances de se révéler payante que l’organisation craint la défection de ses membres.

Examinons à l’aide de ce modèle le comportement des membres de l’aile droite ou sociale-libérale du Parti socialiste au cours des dernières années. Jusqu’à l’année dernière, compte tenu de la résilience du clivage gauche/droite et de l’absence d’un grand parti de centre-gauche à la droite du PS, ces membres n’avaient pas d’autre choix que d’appartenir au Parti socialiste qui avait conquis un quasi-monopole dans l’espace politique existant entre l’extrême-gauche et le centre/droit. Pour défendre leurs idées ou exprimer leur éventuel mécontentement, ils n’avaient donc que leur parole. Mais, compte tenu de leur position fortement minoritaire, cette voix n’avait que très peu d’influence sur les positions du parti. Rappelons que Manuel Valls avait obtenu 5% des voix à la primaire socialiste de 2011. Les synthèses politiques réalisées dans les congrès faisaient en revanche la part belle aux idées défendues par la gauche du parti. La victoire de Benoît Hamon à la primaire de 2017 laisse penser que cette voix minoritaire le demeurera. Mais en même temps, le déplacement du centre de gravité politique du PS vers la gauche, que traduit le résultat de cette primaire, aura pour conséquence d’affaiblir le sentiment de loyauté que la minorité témoignait jusqu’ici au Parti socialiste.

Cette loyauté ne se fondait pas sur la seule satisfaction tirée du sentiment de faire partie d’une communauté politique. Elle était aussi le produit d’un calcul politique. L’appartenance à un grand parti de gouvernement présentait en effet un réel avantage pour ceux qui privilégiaient l’exercice du pouvoir. Nulle autre organisation politique n’offrait une telle perspective. Cette minorité acceptait donc, lorsque le parti était dans l’opposition, les synthèses politiques qui empruntaient largement à l’idéologie de la gauche du parti, attendant que celui-ci revienne au pouvoir. De son côté, le centre du parti, attaché avant tout à la préservation de son unité, faisait en sorte de rendre possible l’acceptation de ces synthèses par cette minorité. Une fois le parti revenu au pouvoir, il lui concédait une certaine latitude d’action. Or, la désignation de Benoît Hamon a mis en cause ce fragile équilibre. En effet, pour la première fois depuis le Congrès d’Epinay en 1971, c’est un membre de la gauche du parti qui sera son candidat à l’élection présidentielle. Ainsi, non seulement la prise de parole de la minorité social-libérale risque d’être encore moins efficace demain mais surtout la perspective d’un retour au pouvoir s’est, elle, considérablement éloignée.

Or, le sentiment de loyauté de la minorité, au moment où il est ainsi affaibli du fait de l’évolution politique du Parti socialiste, est en outre mis à l’épreuve par l’apparition, pour la première fois depuis longtemps, d’une offre politique concurrente sur la droite du parti, le mouvement d’Emmanuel Macron. Dans ces conditions, la minorité dispose cette fois-ci du choix entre la prise de parole et la défection. Le succès actuel de l’entreprise Macron ne peut alors que favoriser la défection. Ce phénomène va se développer, d’abord avant l’élection présidentielle puis après celle-ci si Macron réalise un bon score au premier tour de cette élection. Le PS ne va pas disparaître. Il va rapetisser. Beaucoup dépendra ensuite de la capacité de cette nouvelle offre concurrente à se renforcer et à conserver son attrait.