Protectionnistes de tous les pays, unissez-vous ! edit

25 janvier 2006

En décembre, les représentants des 150 pays membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) se sont rencontrés à Hongkong pour développer les échanges et améliorer les règles du commerce international. Le gigantesque Convention center a accueilli des milliers de délégués représentant les Etats, le secteur privé, les ONG, la presse et les organisations multilatérales. A l'extérieur, des dizaines de milliers de militants antimondialisates ont une fois encore protesté contre le néo-libéralisme et la libéralisation des échanges. Manifestation inutile, puisque que ceux qui célébraient la grand-messe biannuelle de l'OMC et ceux qui protestaient ont à peu près les mêmes idées.

Ces protestations " globophobiques " ont eu lieu à l'épicentre exact de la région qui a récolté ces dernières années les plus grands avantages de la mondialisation des échanges et des investissements. Ceux qui tentaient d'envahir le bâtiment avaient à cœur de défendre la " souveraineté nationale " en ce qui concerne le riz et d'autres produits agricoles. Mais pas besoin d'être grand clerc pour comprendre que la majorité de la population de la région paniquerait, si le même concept était appliqué à la consommation de vêtements et de produits électroniques dans le reste du monde.

À l'intérieur du centre de conférences, des centaines de négociateurs ont passé des nuits épuisantes à tenter de défendre une demi-douzaine de secteurs mal organisés de leurs économies domestiques - tout cela, évidemment, sous la bannière des " intérêts nationaux ". Alors que le monde a changé, la plupart des règles du jeu diplomatique sont malheureusement restées les mêmes depuis le XVIIIe siècle. Elles se ramènent à un effort pour ouvrir les secteurs les plus compétitifs et protéger les moins compétitifs, quel qu'en soit le prix pour la société. La bonne vieille croyance mercantiliste qui veut que les exportations soient bonnes et les importations mauvaises.

Tel est le cas des paysans français, qui ont largement profité de l'ouverture des marchés mondiaux aux produits agricoles et aux boissons à forte valeur ajoutée pour exporter leurs magnifiques vins, champagne, fromages, jambons et foie gras. Mais ils défendent vigoureusement leurs barrières à l'entrée quand il s'agit du sucre, des céréales et de la viande - fort curieusement, les secteurs dans lesquels les Français sont le plus mal organisés.

En traversant l'Atlantique Nord, nous trouvons la grande nation qui a créé en 1862 les Land Grant Colleges, ce système efficace et intégré d'écoles d'agriculture qui a permis la plus grande révolution technologique de toute l'histoire de l'humanité dans le domaine agricole. Les agriculteurs de ce pays, pourtant, dépendent de plus en plus de subventions publiques extrêmement protectrices, distribuées essentiellement à de grands producteurs par des programmes complexes de soutien des revenu et des prix dont le principal avantage est de contourner les différentes catégories par lesquelles de l'OMC tente de discipliner les politiques de soutien. Avec des subventions si généreuses, pourquoi mon Dieu devrait-on développer la compétition ?

Au sud de la planète, des douzaines de pays pauvres demandent que l'OMC leur offre plus de souplesse pour la tâche impossible de copier les plus mauvais instruments de subventions appliqués par les pays développés. La réunion de Hongkong a accouché d'une série de nouvelles méthodes pour les pays en développement : elle a créé une liste de " produits spéciaux " qui ne feront pas l'objet de coupes tarifaires impromptues et autorisé l'utilisation de " mesures de sauvegarde spéciales " qui garantissent des protections supplémentaires en cas de chute des prix et/ou d'augmentation des volumes importés. C'est à présent une demi-douzaine de mécanismes de protection similaires qui s'accumulent désormais, sans besoin, sur le même petit groupe d'articles " sensibles " ou " spéciaux ". Il y a un risque réel de voir certains pays développer l'insécurité alimentaire pour les consommateurs les plus pauvres, sans pour autant apporter de solution aux problèmes des petits exploitants agricoles. Au lieu d'ériger des barrières douanières supplémentaires, les pays en développement feraient mieux de se lancer dans les seules politiques vraiment bénéfiques aux régions rurales : l'éducation, la recherche, la technologie, l'extension, les infrastructures, les droits de propriété et une meilleure organisation des communautés rurales.

La même comédie se joue sur d'autres scènes du Cycle de Doha. Des douzaines de négociateurs refusent avec acharnement d'offrir à l'OMC ne serait-ce qu'un tiers de l'ouverture qu'ils pratiquent déjà sur leurs marchés domestiques ou dans le cadre de plus en plus serré des accords bilatéraux. Les tarifs industriels actuellement pratiqués, bien plus bas que ceux qui ont cours à l'OMC, en sont une parfaite illustration.

La vérité est que, après une vague d'ouvertures unilatérales dans les années 1980 et 1990, les protectionnistes sont de retour. Et ils sont à présent en position de force, à l'intérieur comme à l'extérieur des rencontres comme celle de Hongkong. Six jours de réunions ont produit une déclaration hermétiquement cachetée, qui exige une expertise très pointue pour être comprise et interprétée. C'est un texte incroyablement créateur quand il traite des échappatoires et des exceptions, et qui ne fait guère pour le reste que maintenir en l'état les politiques commerciales des uns et des autres. La plupart des experts commerciaux ont célébré la clôture des discussions avec des expressions comme : " cela aurait pu être pire ! "

Pendant ce temps, dans le monde réel, il y a une distance grandissante entre l'exubérance des échanges et la cohérence des règles commerciales. Le commerce global explose dans un monde toujours plus intégré par la finance globalisée, la technologie et les communications, pendant que les règles multilatérales encouragent de nombreux Etats et ONG à les ignorer et même à les mépriser, tout comme le pauvre arbitre de ce match ingrat, l'OMC. Aucun jeu ne peut pourtant se jouer sans règles clairement définies. Le Cycle de Doha serait déjà achevé si les décideurs s'inquiétaient davantage des intérêts globaux de la société, et prêtaient moins attention aux pressions de leurs lobbies les plus archaïques.