Le PS et l’élitisme républicain edit

14 avril 2011

Le Parti socialiste regarde la jeunesse avec les yeux de Chimène. Mais a-t-il mesuré ce que cette priorité impliquait ? L’effort gigantesque annoncé en faveur de l’éducation servira-t-il vraiment son objectif égalitaire ?

L’élitisme républicain repose en principe sur le mérite scolaire. La compétition commence dès la maternelle et se poursuit les années suivantes. La tyrannie du diplôme initial s’impose en effet dans l’ensemble du monde du travail, les hiérarchies au sein des entreprises et des administrations se décalquent sur lui. A contrario, la promotion grâce à un diplôme obtenu sur le tard ou par le mérite professionnel est rare, beaucoup plus rare que chez nos voisins anglais ou allemands. Si l’enfant peine dans le système scolaire, s’il « n’aime pas l’école », s’il redouble, s’il sèche quelque peu les cours et commence à perdre pied, il se souviendra plus tard de cette époque comme d’un épisode fatal où il n’a pas su saisir sa chance – probablement, il vivra rétrospectivement ces difficultés comme un échec personnel. Ce parcours du combattant dès les premières années est la source principale du malaise d’une partie de la jeunesse. Comment, en effet, ne pas se flageller soi-même de ne pas avoir réussi dans une compétition qui se présente comme ouverte et objective ?

Nul secret, la réussite scolaire est, pour une large part, déterminée par les atouts cumulatifs : environnement social et culturel, accompagnement des parents, conditions de vie. Depuis Bourdieu les sociologues de l’école n’ont cessé de le répéter. En jouant des établissements, des filières et des options, les couches sociales privilégiées ont su s’organiser pour que leurs enfants soient les premiers bénéficiaires de l’élitisme républicain : « La France se distingue des autres pays par une incidence très forte du milieu social d’origine sur les scores obtenus au PISA, et ceci aussi bien en compréhension de l’écrit, en mathématiques qu’en culture scientifique. La France est donc l’un des pays où l’enseignement dispensé à l’école implique, pour être valorisé ou assimilé, la plus grande part de ressources extrascolaires privées, dispensées dans les familles à haut niveau d’instruction. Autrement dit, une partie importante du travail scolaire se passe à la maison », énoncent Christian Baudelot et Roger Establet (L’Élitisme républicain, Seuil/La République des idées, 2009). La vérité est là. L’élitisme républicain est auréolé de magnifiques principes qui occultent une hypocrisie consternante.

Le Parti socialiste entend lutter contre les inégalités. Il propose de déployer des moyens massifs pour aider les enfants issus des couches populaires à réussir leur insertion scolaire : favoriser l’inscription à deux ans dans les écoles maternelles, mobilisation des efforts publics sur l’école primaire et les premiers cycles d’apprentissage, réforme du collège et revalorisation de la culture technologique et des voies professionnelles, création d’un grand service public d’information et d’orientation, doublement des bourses, mise en place d’une allocation d’études, création de 300 000 emplois jeunes. Il envisage aussi de rapprocher par des passerelles grandes écoles et universités, mais ne met pas en cause les classes préparatoires, qui, en constituant l’aboutissement de la sélection au lycée, canalisent pourtant toute l’organisation du système. Dans la Convention pour l’égalité réelle, l’objectif était d’élever la dépense par étudiant universitaire à celle de la dépense pour un étudiant de grande école : cette affirmation a disparu. Au final, le PS n’envisage pas de modifier la logique dominante de l’École, la sélection précoce, mais propose d’armer au mieux les enfants des couches populaires face à cette compétition. Rappelons des données de base. En France, la moitié d’une génération engage des études dans l’enseignement supérieur, mais avec de fortes disparités : 80% des enfants d’enseignants et de cadres supérieurs y accèdent, et seulement 40% des enfants d’ouvriers. En bout de course de la scolarité première, 42 % des jeunes obtiennent un diplôme supérieur – 27 % avec un niveau licence, master ou doctorat.

Cet effort national gigantesque annoncé par le PS en faveur de l’éducation, effort qu’il faut saluer, servira-t-il vraiment son objectif égalitaire ? Tant que la phase première du système éducatif sera organisée comme une compétition qui engage toute la vie, les enfants de couches aisées, qui, elles, ont les ressources économiques et culturelles pour accompagner leurs enfants le plus haut et le plus loin dans la scolarité, demeureront les vrais gagnants. Le projet tracé par le PS favorisera sans doute à la marge une ouverture sociale des écoles d’élite, mais ne cassera en rien la logique de reproduction. En outre, il est loin d’être sûr que la création d’un « droit à la qualification pour tous tout au long de la vie garanti par un compte formation individuel », même s’il est bienvenu, permettra de compenser cette inégalité enracinée dans le parcours initial. En entretenant dans toutes les familles populaires l’espoir de voir leur enfant intégrer « une classe préparatoire » (ces classes captent 10 % des effectifs qui atteignent le bac), il suscite chez elles une adhésion à un système qui les dessert. Le vrai enjeu de la réforme éducative ne serait-il pas de renoncer à cette compétition féroce des dix-huit premières années pour renforcer la vocation première de l’école, comme le font beaucoup de pays performants en matière scolaire : mener tous les jeunes à un niveau satisfaisant de culture et de connaissances pendant la première phase du cursus scolaire et accepter de mettre la priorité dans cet enjeu. Le vivier des « bons élèves » serait élargi et la sélection serait alors déplacée à l’échelon universitaire, à un âge où l’on est plus mûr et moins dépendant du contexte familial pour faire ses choix, y compris celui de sacrifier l’essentiel de son temps pour réussir un parcours d’excellence. Dans une telle perspective, l’allocation d’autonomie prendrait d’ailleurs tout son sens.

Autre bizarrerie : dans le rapport du think tank Terra Nova qui a inspiré le projet scolaire du Parti socialiste, cette réforme était chiffrée à 50 milliards. Aujourd’hui c’est l’ensemble du projet socialiste qui atteint ce montant. Difficile alors de se repérer dans les chiffres. Dans ce même rapport, les dépenses « en faveur des jeunes » étaient, pour une certaine part, supportées par un effort fiscal demandé aux seniors aisés, et par la suppression de certains avantages accordés aux familles et redirigés vers les jeunes (voir sur Telos mon article La roue de la distribution étatique). Ces dispositions ne figurent plus dans le schéma présenté le 5 avril. Les recettes fiscales supplémentaires pour financer le projet socialiste reprennent des classiques : fiscaliser davantage le capital et les privilèges.

Le Parti socialiste est attendu sur la question scolaire. Il n’a pas su ou voulu trancher entre une vision réformiste qui rompe avec le passé, quitte à secouer des idéologies, et une vision qui prolonge l’existant en l’améliorant sur les marges. La sélection précoce ne bénéficie vraiment qu’aux enfants des familles de classe moyennes cultivées et de classes supérieures, il n’est pas loyal de couvrir d’un voile pudique cette réalité. Les chances de réussir et de rebondir devraient être renvoyées vers les débuts de l’âge adulte, et même tout au cours de l’existence. Quitte à faire de l’éducation le cœur de son projet, quitte à engager un budget en hausse, quitte à accroître le nombre d’enseignants : autant que cela se traduise par une réforme qui, loin d’être un infléchissement languissant, soit un vrai virage.