Prêt étudiant à taux zéro : cette bonne idée qui fait enfin son chemin ! edit

12 juillet 2006

Le benjamin de l’Assemblée nationale, Laurent Wauquiez, vient de proposer différentes mesures pour toiletter le système d’aide aux étudiants dans le rapport qu’il vient de remettre à Dominique de Villepin. Parmi les mesures proposées, figure celle d’instituer une possibilité de prêts à taux zéro à destination des étudiants. S’il est un constat communément partagé, c’est bien celui d’une spécificité française en matière d’aide aux étudiants tant par sa modestie que par l’absence de prêt. Cette dernière est une aberration économique alors même que les années d’études constituent un investissement dont le rendement se fera sentir sur l’ensemble du cycle de vie. Aussi, faut-il saluer le fait que le rapport prenne parti pour l’institution de prêts à taux zéro.

Le premier ministre, dans sa déclaration de politique générale, avait, de facto, adopté une telle solution proposant que tout étudiant ayant emprunté pour financer ses études puisse déduire les intérêts de son emprunt de son premier impôt sur le revenu. La mise en application de cette disposition dans le Projet de Loi de Finances (PLF) 2006 s’est fait à dose homéopathique, puisqu’un crédit d’impôt égal à 25% du montant des intérêts d’emprunt pour financer ses études a été institué dans la limite d’un plafond de 1 000€.

Le député ne propose pas l’extension de cette formule et c’est heureux. Ce dispositif, en l’absence de système de cautionnement public du prêt, se transforme en un cadeau aux enfants issus de milieux privilégiés. En effet, ils sont les seuls à pouvoir bénéficier de prêts-étudiants accordés par les banques qui ont en face d’elles des emprunteurs qui investissent dans un bien intangible ne pouvant donner lieu à hypothèque et dont le rendement est risqué. Dès lors, le risque de défaillance ne peut être ignoré. Elles demanderont naturellement à ce que quelqu’un se porte garant, en cas d’incapacité du bénéficiaire à rembourser le prêt à l’échéance. Aujourd’hui, l’étudiant ne peut se retourner que vers sa famille étroite ou élargie, et, par voie de conséquence, les étudiants bénéficiaires des prêts bancaires sont majoritairement des enfants issus de milieux aisés.

Laurent Wauquiez recommande une autre option. Le dispositif de prêt à taux zéro serait géré par l’Etat, administré par les Crous, tandis que les banques seraient chargées de son recouvrement, lequel serait suspendu à l’obtention d’un CDI. D’un montant maximum de 5 000€ par année d’études, le prêt pourrait être renouvelé chaque année, jusqu’à leur terme. Il est bien connu que le diable se cache dans les détails. Deux dispositions peuvent entrer en contradiction. La première stipule que le remboursement annuel ne pourra dépasser 3% du revenu. La seconde arrête que le remboursement devra intervenir au terme d’une période de 10 ans maximum après l’obtention du premier emploi. Mécaniquement, un individu disposant pendant 10 ans d’un revenu égal au montant du SMIC actuel ne pourra rembourser que 3 550€. Il est vrai que la revalorisation du SMIC brut à 1 500€ qui figure dans le programme du parti socialiste peut aider à augmenter substantiellement la capacité de remboursement du Smicard. Cette contradiction, qui peut apparaître anecdotique et être aisément corrigée, souligne surtout que le risque de défaillance ne peut être écarté, d’autant qu’il n’est pas prévu d’interruption du remboursement en cas d’épisode de chômage.

Deux dispositions sont également capitales par leurs conséquences conjointes sur la sélection des candidats. En premier lieu, le prêt est attribué sans condition de ressources. En second lieu, les banques sont sollicitées pour couvrir jusqu’à 1/4 du coût de défaillance. Puisque l’on oblige les banques à participer au financement du dispositif, on imagine mal comment les empêcher de participer au processus de sélection des candidats. Comme aucune condition de ressources n’est exigée, les candidats présentant toutes les garanties, autrement dit ceux provenant de familles aisées et ceux poursuivant des études menant à des métiers rémunérateurs, seront naturellement privilégiés. Comme l’indique pudiquement le rapport, « [Ainsi] un minimum de sélection permet cependant de ne pas rendre le coût pour l’Etat incontrôlable.» Au total, d’une manière plus indirecte que le système de crédit d’impôt en vigueur mais néanmoins efficace, le dispositif envisagé tournera bien à l’avantage de la cible du rapport, les « classes dites moyennes ».

Le seul système de prêt-étudiant qui sécurise complètement l’étudiant est le système de prêt à remboursement contingent au revenu adopté à une large échelle par l’Australie et par d’autres pays. L’étudiant ne rembourse que dans les bonnes années, celles où son revenu dépasse un certain seuil. Certes, le dispositif envisagé s’engage dans cette direction en rendant conditionnel le remboursement à l’obtention d’un CDI. Mais, comment un salarié n’aurait-il pas intérêt à demander à son patron de ne l’engager en CDD plutôt qu’en CDI pour échapper au remboursement du prêt étudiant ? Lorsque le conditionnement est le niveau de revenu et non le type de contrat, la possibilité de collusion entre le salarié et le patron est beaucoup plus difficile à obtenir en raison, entre autres, des contrôles URSSAF. De plus, il serait si aisé en France d’impliquer l’administration fiscale dans le remboursement du prêt qui s’exprime comme une fraction du revenu imposable, que faire appel aux banques dans la gestion du recouvrement du prêt semble inutilement compliqué et induit des coûts de gestion inutiles. Cette disposition fait entrer dans la danse des partenaires qui n’ont que faire de l’égalité des chances et le risque est grand qu’en prônant dans ce domaine un partenariat public-privé, le dispositif de prêt se transforme en produit d’appel pour attirer de futurs cadres.

Si la proposition indique bien un dégel du débat public sur la question des prêts-étudiants, la mise en application laisse à désirer sur de nombreux plans et il est à espérer que les propositions des ministres concernés sauront amender le projet et dissiper les ambiguïtés. Une telle initiative pourrait d’ailleurs être rapprochée avantageusement d’un dispositif nouveau annoncé par le premier ministre le 3 juillet, le prêt « avenir jeunes », également un prêt à taux zéro, visant à soutenir une dépense d’un jeune actif de 18 à 25 ans liée à l’entrée dans la vie active, par l’achat d’une voiture, l’acquisition d’équipements personnels ou professionnels.

La logique d’ensemble est la même, financer un investissement, ici en capital, là en capital humain, pour des jeunes qui entrent dans la vie active, favoriser l’égalité des chances, le prêt avenir est d’ailleurs bien attribué sous condition de ressources. Toute personne sensée cherchera à bénéficier de la bonification d’intérêt, ce qui assure à ces prêts plus que des succès d’estime. Les montants engagés restent modestes, une enveloppe de 150 millions d’euros par an pour les prêts avenir, 50 millions d’euros pour le fonds de roulement pour le prêt étudiant.

Si nous devions en rester à ces montants, cela ne vaudrait guère le coup de s’y intéresser et il serait plus juste de parler de loteries en désignant ces prêts, tant l’écart sera considérable entre le nombre de candidats et celui des heureux élus. Mais nous voulons croire qu’il s’agit de l’amorce augurant d’un système bien plus ample et volontaire et, qu’en ce domaine comme en d’autres, 2007 tiendra ses promesses en tranchant le nœud gordien.