Burqa : la loi ne peut pas tout ! edit

30 mars 2010

Le Conseil d'État s'apprête à rendre son avis sur un projet de loi interdisant la burqa et sans réelle surprise pour les juristes, l'avis est plutôt négatif. Dans un débat dès le départ biaisé, il n'est pas facile de se prononcer contre la prolifération de la loi dans ce domaine sans passer pour un partisan des fondamentalistes ou un adversaire de la laïcité. Il est cependant essentiel de bien comprendre les enjeux de ce débat juridique car ceux-ci sont directement liés à la liberté d'expression et à la liberté d'exercer une religion.

Ces deux principes sont protégés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ils sont tous deux des piliers d'une société démocratique dans laquelle il est possible de pratiquer les cultes les plus baroques ou d'exprimer les idées les plus fausses ou les plus extravagantes sans que les autorités n'aient à donner leur approbation. Rappelons que dans une démocratie, l'État n'a pas à porter de jugement sur la valeur de telle ou telle pratique, de telle ou telle opinion au nom de la raison, de la tradition ou d'autres valeurs. Si on doit encadrer ces libertés, cet encadrement doit donc être le plus limité possible et strictement motivé par des intérêts supérieurs.

Or il ne fait pas de doute que pour la Cour européenne des droits de l'homme, l'article 9 de la Convention protégeant la liberté religieuse ne permet pas l'adoption de mesures générales interdisant le port de vêtements religieux. Elle l'a ainsi rappelé récemment à la Turquie (CEDH 23 février 2010, Ahmet Arslan et autres c. Turquie). Reste a savoir si la burqa est un vêtement religieux comme les autres, en d'autres termes, est-ce que la burqa – indépendamment de son caractère religieux- est en elle-même une atteinte à la dignité de la femme ? Car c'est bien sur le terrain de la dignité humaine qu'il convient de se placer. En effet, s'il s'agit de condamner la pression familiale ou matrimoniale qui imposerait contre sa volonté, le port de la burqa à une femme, les lois actuelles permettent de condamner de tels comportements, précisément au nom de la liberté de chacun dans une société démocratique. Une nouvelle loi ne permettrait en rien de lever les difficultés afférentes à la démonstration que la personne est bien manipulée ou agit sous la contrainte. Une loi « burqa » s'adresse donc à celles qui choisissent librement de porter cette tenue.

Le respect de la dignité humaine est bien au nombre de ces principes qui peuvent permettre l'interdiction de manifestations exercées par des personnes librement consentantes alors même que ces manifestations ne présentent pas de caractère d'atteinte à l'ordre public : le Conseil d'État a ainsi sur ce motif considéré légitime d'interdire des spectacles de lancer de nains par un arrêt de 1995. Mais comment prétendre que le port d'une tenue couvrant l'intégralité de la personne est en soi une atteinte à la dignité humaine si nous sommes bien dans le cas où c'est un choix librement consenti, un choix délibéré ? Ce pas est difficile de franchir sans entrer dans l'analyse périlleuse de devoir qualifier un costume et d'ériger le législateur et le juge en censeurs des mœurs. On devrait alors trouver tout autant attentatoire à la dignité humaine certains habits monastiques ...

Il restera alors seulement la possibilité d'interdire la burqa pour des raisons de sécurité publique, pour pouvoir par exemple s'assurer de l'identité de la personne. On est bien loin du problème que l'on voulait traiter.

Il faut admettre que la loi ne peut tout régler dans une société. Pourtant la tentation est grande pour l'homme politique moderne de pallier une action incertaine dans un monde trop complexe par l'adoption d'une loi. Si on devait illustrer cette situation, on se rappellera que la loi DALO a bien instauré en 2007 un droit au logement opposable mais si l'État peut être condamné pour n'avoir pas mis à disposition un logement, le rapport du Conseil d'État de 2009 met en lumière toutes les difficultés pratiques du passage de la loi à la réalité. En définitive en utilisant à tort et à travers le droit, le politique l'affaiblit en le rendant peu lisible et crée la confusion sur les principes fondateurs de nos démocraties. S'il suffisait d'inscrire dans un texte législatif des objectifs ou des comportements, le monde serait assurément le meilleur des mondes au sens qu'en a donné Huxley… mais tel n'est heureusement pas le cas.