Les médias à l’épreuve des élections présidentielles edit

28 février 2017

La campagne de la présidentielle française de 2017, comme celle de la présidentielle américaine de 2016, constitue une lourde épreuve pour les médias. Non seulement ils sont concurrencés par les réseaux sociaux qui les exploitent sans scrupule mais ils doivent affronter les critiques virulentes des candidats et tenir compte d’un nouvel intervenant extérieur, les médias officiels russes qui s’intéressent de près à ces échéances politiques.

On a déjà souligné le rôle majeur de Facebook qui, l’an dernier, a été le moyen d’information de 45% des Américains. En ce qui concerne les Français, une récente enquête réalisée à l’initiative de La Croix indique que 41% des 18-24 ans s’informent sur les réseaux sociaux et 48% des moins de 35 ans s’informent exclusivement sur Internet. Le paradoxe est que 83% des Français ont une piètre confiance dans les dits réseaux qu’ils soupçonnent de les exposer à des fausses rumeurs.

On se trouve donc dans une situation très ambiguë où Facebook mais aussi Twitter ou Snapchat servent de plus en plus de référence parce que leur consultation est aisée sur les smartphones et gratuite alors que leur crédibilité, en France comme outre-Atlantique, reste faible. Du coup, notre pays affronte une situation totalement inédite mais qui rappelle fâcheusement la campagne américaine de 2016 au cours de laquelle les médias traditionnels qui s’efforçaient de rendre compte de manière honnête d’une réalité politique mouvante, furent marginalisés. Ils peinaient à se faire entendre dans le brouhaha généré par l’afflux de messages confus et contradictoires sur Internet. Il ne faut pas s’étonner dans ces conditions que l’intérêt du public pour l’information ait baissé de 6 points, à 56%, dans le même sondage de La Croix, un niveau exceptionnellement bas qui reflète le désarroi croissant des électeurs potentiels.

Au surplus, les politiques font preuve d’une virulence inédite à l’encontre de ces mêmes médias. Le président Trump qui, de manière significative, utilise Twitter comme moyen de communication, ne cesse d’attaquer le New York Times, le Washington Post et CNN qu’il accuse de mensonge systématique et de conspiration permanente contre un président « triomphalement élu ». Certes, ces violentes attaques n’ont pas eu que des effets négatifs. Elles ont entraîné une mobilisation d’une partie au moins du public. Le New York Times, bénéficiant de ce qu’il appelle le « Trump bump » a constaté une progression inespérée de ses abonnements numériques soit plus 276 000 au dernier trimestre de 2016. Il en a été de même pour le groupe USA Today dont le nombre d’abonnés a augmenté de 26% pendant la même période et pour les autres publications de tendance libérale comme le New Yorker ou le Washington Post. Quant à CNN son audience a rebondi après une période de stagnation en 2014-2015.

Néanmoins les tweets vengeurs de Trump ont eu un impact certain auprès de ses électeurs qui sont de plus en plus convaincus qu’on les trompe et que les médias traditionnels calomnient leur idole à coup de fausses nouvelles. Il n’est pas rassurant de constater que Breitbart News le site extrémiste qui soutient de manière inconditionnelle « the Donald » voit aussi son audience progresser fortement.

En France, l’affaire du Penelope gate lancée par le Canard enchaîné et reprise par Le Monde et Mediapart a suscité une réaction analogue du candidat François Fillon. Celui-ci, après s’être justifié et excusé du bout des lèvres, s’est livré à plusieurs reprises à une critique en règle des médias soupçonnés de conspiration contre le candidat de la droite. Il est clair, pour Fillon comme pour Trump, que tout s’explique par le rôle néfaste de journalistes sympathisants de gauche qui peuplent les rédactions des journaux et des chaînes d’information et cherchent par tous les moyens à abattre les candidats de droite.

Le fait qu’un homme politique en difficulté fasse porter le blâme de ses malheurs aux médias n’est pas nouveau. C’est même une constance dans les sociétés démocratiques. Toutefois, le ton adopté des deux côtés de l’Atlantique est particulièrement violent. Apparemment, Trump et Fillon ne sont pas conscients du fait qu’en mettant en cause les médias traditionnels, ils confortent indirectement les réseaux sociaux, beaucoup plus incontrôlables et prêts à diffuser des informations non vérifiées, donc, en définitive, beaucoup plus dangereux pour eux.

Cette situation déjà passablement chaotique a été aggravée, là encore des deux côtés de l’Atlantique, par l’intervention russe. En 2016, les médias officiels russes qui sont dominants dans leur pays, ont fermement soutenu Trump et condamné son adversaire Hillary Clinton. Ils n’ont pas caché leur intense satisfaction de la victoire du milliardaire. Au point qu’en janvier 2017, ils ont plus souvent cité dans leurs colonnes le nom de Trump que celui de Poutine pourtant omniprésent dans l’actualité russe.

Depuis le début de 2017, les chaînes officielles tournées vers l’étranger et s’exprimant en français, Sputnik News et Russia Today, s’intéressent à la présidentielle française. Elles se sont livrées à de vives attaques contre Emmanuel Macron, considéré comme un adversaire dangereux de leurs deux favoris, Marine Le Pen et François Fillon qui, eux, affichent leur sympathie pour Poutine et sont entourés de collaborateurs russophiles. Dans Le Monde du 15 février, Richard Ferrand, le porte-parole de Macron, s’en est alarmé et a lancé un appel à l’ensemble des médias français pour qu’on ne laisse pas la Russie déstabiliser les élections présidentielles.

Certes, très peu de Français sont des abonnés de ces programmes russes dont l’impact direct sur l’opinion est très faible. En revanche, le risque est que les insinuations formulées par eux et qui relaient complaisamment des propos d’Assange, l’initiateur de Wikileaks et de certains élus français, soient repris par les médias français. Ceux-ci affrontent un dilemme redoutable. Soit ils gardent le silence sur ces élucubrations et on les soupçonnera d’auto censure, soit ils les reportent et ils leur confèrent involontairement une certaine crédibilité. Au demeurant, ils peuvent être aisément contournés par des campagnes de tweets initiées de l’extérieur. Des manœuvres qui s’esquissent déjà sans qu’on puisse clairement déterminer leur origine car Internet est un réseau mondial et sans frontières.

À deux mois du scrutin présidentiel, la communication politique traverse donc une crise majeure et l’exemple des États-Unis n’incite guère à l’optimisme. Il est à craindre en effet qu’une fois les scrutins passés, la confusion demeure entre des réseaux sociaux exploités de manière de plus en plus efficace par des communicants de tous bords, y compris de pays étrangers et des médias traditionnels sur la défensive et fragiles sur le plan économique.

Face à ces obstacles, la meilleure parade reste encore la recherche de la qualité. Les récents sondages montrent que dans notre pays la crédibilité des différents médias est médiocre mais que les usagers ne font guère confiance aux réseaux sociaux. On peut donc juger que cette chute de crédibilité n’est pas irréversible et que des efforts pour une meilleure information des citoyens donneront des résultats positifs. Quel que soit le nouveau président, il sera sain et nécessaire pour la survie de la démocratie que les médias poursuivent leur travail d’investigation et de critique.