Inégalités de santé et capitalisme sanitaire edit

6 février 2015

Quels sont les atouts d’une économie libérale en matière de santé ? On ne peut en quelques lignes donner grâce à l’importance d’un tel sujet, mais on peut en évoquer quelques aspects.

S’il est des inégalités auxquelles on voudrait, d’un coup une baguette magique, porter remède, ce sont bien celles qui touchent à la santé, car, s’il existe des maladies congénitales, le milieu social exerce une forte influence sur la santé des enfants et des adultes quand il ne s’agit pas d’une question de vie ou de mort. Du milieu social aux classes sociales, il n’y a qu’un pas : aussi fleurit une littérature accusant le seul capitalisme de cet état de fait. Ce dernier, selon Keynes, « est cette croyance stupéfiante que les pires des hommes feront les pires choses pour le plus grand bien de tout le monde ». Quels sont les atouts d’une économie libérale en matière de santé ? On ne peut en quelques lignes donner grâce à l’importance d’un tel sujet, mais on peut en évoquer quelques aspects.

Remarquons tout d’abord que pratiquement toutes, sinon toutes, les molécules de la pharmacopée mondiale contemporaines ont été découvertes dans des pays libéraux, par des entreprises privées. Jusqu’à la Chine d’aujourd’hui, les pays communistes (mais la Chine est-elle communiste ?) n’ont découvert aucun médicament.

En revanche, ces entreprises s’intéressant d’abord aux marchés solvables et donc, dans les pays riches, plus aux causes de morbidité fréquentes qu’aux causes de mortalité et, par ailleurs, plus aux pays du Nord qu’aux pays du Sud. En outre, en cas de découverte d’une molécule qui conduit à un progrès thérapeutique remarquable avec des risques acceptables, ces entreprises demandent toutes de sortir provisoirement des conditions de concurrence et de bénéficier du monopôle permis par le brevet déposé au moment de la découverte de la molécule. Autrement dit, pour partie, le marché ne fonctionne que quand l’on sort des conditions de la concurrence que les entreprises vont à tout prix essayer de faire perdurer. A l’évidence, le contrôle des prix s’impose alors, mais ceci ne résout pas la question de la distorsion entre la demande des patients de la planète et l’orientation des recherches de ces entreprises qui ne s’intéressent qu’à la demande solvable.

Pour ce qui est de l’hôpital, le cas français illustre le fait que le secteur privé à but lucratif est plus efficace que le secteur public. Force est de reconnaître que, « toutes choses étant égales par ailleurs », le privé est moins cher (de l’ordre de 30%). Il ne l’est pas par grandeur d’âme, mais par une nécessité imposée par la réglementation, associée à celle toute aussi impérative d’équilibrer les comptes et cela n’est possible que parce que les gestionnaires de ces établissements sont libres.

Quant à l’assurance santé, le constat empirique est très clair : l’efficacité cette fois va au financement public des soins médicaux. Il suffit de regarder ce qui se passe au Canada depuis que ce pays a changé de système de financement et de le comparer à son modèle d’avant : celui des Etats-Unis. Le système canadien est à la fois infiniment plus efficace et plus équitable que le système américain et ceci de beaucoup : 7 points de PIB et tous les résidents canadiens sont couverts, ce qui est loin d’être le cas aux Etats-Unis, malgré la réforme du président Obama! Le financement canadien est public, le financement américain est en grande partie (56%) privé. Si la concurrence par le financement ne fonctionne pas c’est parce qu’elle est techniquement plus onéreuse : le secteur privé est conduit à dépenser pour du marketing, contrairement à l’assurance maladie. En outre, les assureurs ne cherchent pas à réduire les prix, ils cherchent à bien couvrir leur risque. En revanche, par souci de bonne gestion, tout assureur public contrôle les tarifs pour tenir dans une enveloppe, là où tout assureur privé s’intéresse avant tout à sa rentabilité. Beaucoup d’économistes (ce n’était pas mon cas) ont pensé il y a vingt-cinq ans que la concurrence par le financement conduirait à plus d’efficacité, notamment que les assureurs privés contrôleraient les tarifs et les prescriptions des producteurs de soins. Certains le font, mais le sujet essentiel pour les assureurs est de gagner des parts de marché et d’être rentable. Les tarifs peuvent augmenter tant que le client peut payer. Enfin, dans un marché où la nature et la qualité du service couvert sont imprécises, les clients pensent que les meilleures garanties sont offertes par les médecins et les hôpitaux les plus onéreux ce qui produit surtout … de l’inflation !

En quelques mots, on voit que les entreprises privées, pour ne pas dire capitalistes, prennent des risques, innovent et gèrent ; en outre, je ne pense pas que l’on puisse piloter les institutions complexes que sont les hôpitaux en empilant des règles et que donc la liberté, voire l’indépendance de gestion des dirigeants, sont une nécessité. En revanche, le capitalisme peut-être inefficace, voire condamnable. En effet, l’examen de la scène internationale montre l’inadaptation des mécanismes de marché dans le domaine du financement des soins. Les bienfaits de la concurrence sont une hypothèse de la théorie économique, pour beaucoup elle est devenue une croyance. Ainsi, l’Europe l’a imposée à la France en matière d’électricité ou de chemin de fer, sans que l’on ait encore pu en mesurer les bienfaits. Heureusement l’assurance maladie universelle y a échappé.

Méfions-nous des idées simples, tirons des conséquences des expériences nationales et internationales et rappelons-nous le mot de Deng Xiaoping, justement à propos du capitalisme chinois : « Peu importe qu’un chat soit blanc ou noir, s’il attrape les souris, c’est un bon chat ».

Le débat sur les inégalités en matière de santé concerne bien d’autres aspects. Ainsi, par exemple, faut-il autant de dentistes scolaires dans le 7ème arrondissement de Paris qu’en Seine Saint-Denis ? Par ailleurs, les exemples abondent sur le mépris de faits connus, anciens, documentés et pour certains, regrettables, voire scandaleux. Peu importe que les places pour personnes âgées dépendantes varient de un à six par département, puisqu’existaient autrefois une carte sanitaire et aujourd’hui des schémas d’organisation sanitaire gérés par les ARS qui affirment que chacun a partout les mêmes droits aux mêmes (!) soins. Peu importe que la chance d’être bien soigné varie infiniment (l’infini étant ici la différence entre la vie et la mort) d’un praticien à l’autre, d’un hôpital à l’autre, puisque les médecins sont tous aussi bien formés et tous aussi compétents. Peu importe…

En outre, bien des images erronées sur les inégalités en matière de santé circulent. Les enquêtes récentes montrent que si les Français disent retarder certains soins pour des raisons financières, il s’agit surtout de l’optique et du dentaire, les autres soins médicaux sont peu cités (5% des cas) et pour cause : non seulement la CMU existe, mais encore les consultations hospitalières sont tarifées au secteur 1. Il s’agit donc plus d’inconfort (la personne n’a pas accès immédiatement à tous les médecins qu’elle souhaiterait consulter) que d’impossibilité matérielle.

Enfin, la réduction des inégalités est difficile à atteindre, car la santé ne touche pas qu’à la médecine mais aussi aux croyances, à l’éducation, aux conditions de vie, aux habitudes alimentaires, sexuelles … Beaucoup de campagnes de dépistage ne touchent qu’une catégorie de la population, toujours la même : la plus éduquée. Comment atteindre les réfractaires, malgré de nombreux et louables efforts ? Faut-il encore augmenter le prix des cigarettes alors que la taxe sur le tabac est devenue un impôt qui pèse avant tout sur les pauvres et qu’ils ne font pas ou peu de lien entre leur comportement actuel de fumeur et leur santé futur ? Ces brèves remarques ne sont qu’un plaidoyer pour la modestie : cessons, d’avoir à bon compte de bons sentiments !