Quelle protection sociale pour les travailleurs des plateformes? edit

13 février 2017

Les questions que pose la protection sociale des travailleurs des plateformes numériques sont connues. Des avancées récentes ont vu le jour mais d'autres sont nécessaires. Pour cela, plutôt que créer un droit du travail nouveau et d'alourdir les règles, donnons aux travailleurs du secteur la capacité de mieux se défendre collectivement. En contrepartie, l'environnement juridique des plateformes doit être sécurisé pour permettre le développement d'une économie d'avenir.

Prenons l’exemple des plateformes de livraison telles que Deliveroo, Allo Resto, ou Stuart… : des livreurs dits indépendants se retrouvent dans une situation de dépendance économique. Ils sont souvent démunis face aux décisions unilatérales des plateformes portant sur les baisses de rémunération, la modification des conditions d’exercice de leur travail et les déconnexions-sanction. Leur insécurité financière est permanente. Impossible pour eux de s’inscrire dans le temps long : organiser des vacances, contracter un emprunt, déménager, investir dans l’immobilier, se former…

En cas d’accident du travail, ils ne bénéficient d’aucune indemnisation liée à la perte d’activité.

Certains arguent du fait qu’ils sont là comme tout indépendant cotisant au RSI : « le boulanger qui se blesse au travail n’est pas non plus couvert ». C’est passer un peu vite sur le fait que le livreur n’est pas un indépendant comme les autres.

D'abord, la plateforme demande au livreur en deux roues d’exercer une activité particulièrement exposée en raison des dangers de la circulation en ville. C’est d’autant plus vrai que pour espérer se voir attribuer les meilleures courses par l’algorithme, le livreur doit aller vite, très vite et augmenter d’autant le risque d’accident. Ensuite, il s’agit d’un métier rapportant peu. Le livreur ne peut donc, contrairement à la plupart des indépendants, souscrire une assurance prévoyance complémentaire, à défaut de quoi la rentabilité de son activité se verrait compromise. Enfin, le boulanger possède une boulangerie, le médecin une clientèle, le taxi une licence. En cas de vrai coup dur, ils peuvent se faire remplacer, louer ou céder le fonds, la patientèle ou la licence. Le livreur quant à lui possède… son vélo.

Par conséquent, sauf à accepter une nouvelle forme de prolétariat digne du milieu du XIXe siècle, il convient à l’État de trouver des solutions pérennes.

Requalification en contrat de travail ?

Une solution consisterait à faire entrer ces personnes dans la catégorie de salarié et leur faire bénéficier de la protection sociale qui va avec : couverture accident du travail, maladie professionnelle, garantie chômage et régime de retraite.

Des livreurs ont déjà engagé des actions en requalification du contrat de partenariat en contrat de travail, avec des arguments solides. Il reviendra aux juges de trancher prochainement.

Le législateur peut choisir de créer aussi une présomption de salariat pour les travailleurs des plateformes ou encore assouplir les conditions permettant d’établir un lien de subordination facilitant ainsi la requalification en contrat de travail.

Toutefois, une requalification généralisée, même justifiée sur un plan individuel, ne serait pas souhaitable.

D'abord, beaucoup de ces travailleurs souhaitent rester indépendants. La liberté (relative) des horaires et l’absence de hiérarchie conviennent à beaucoup d’entre eux. Il faut le respecter.

Ensuite cette requalification remettrait en cause, à coup sûr, la viabilité de la quasi-totalité des plateformes qui ont fondé leur modèle économique et leur attractivité sur le recours à une collectivité de travailleurs indépendants.

Ce serait enfin oublier les immenses services rendus par cette nouvelle économie, qui donne du travail et une rémunération à de nombreuses personnes qu’on jugeait souvent inemployables. Elle permet de développer l’esprit d’entreprise en France, en particulier chez les jeunes. Un écosystème entier a pu émerger autour de ces startups (avocat compris !). Désormais, les meilleurs étudiants délaissent la finance de marché pour l’entreprenariat. Tout un symbole.

L'objectif des pouvoirs publics doit être de rassurer les plateformes sur la pérennité de leur modèle économique, de leur apporter de la visibilité, mais en contrepartie d'une protection accrue des travailleurs.

En réalité, le droit actuel pourrait suffire à régler d’ores et déjà certaines situations, sous réserve d’y ajouter quelques mesures précises.

Des avancées législatives à ne pas négliger mais à amplifier

Ainsi, l’article 60 de la loi Travail permet aux travailleurs de s’organiser collectivement et d’adhérer à un syndicat. Ils peuvent déclencher une grève, un « mouvement de refus concerté », sans qu’ils puissent être sanctionnés par les plateformes. C’est une première dans notre droit. On en mesure encore mal les implications, mais il est certain que la mobilisation collective est le meilleur outil qui soit pour rééquilibrer le rapport de force travailleur/plateforme.

Ce même article prévoit que les travailleurs qui choisissent de souscrire une assurance couvrant les accidents du travail peuvent imposer aux plateformes de prendre en charge les cotisations. Voici une avancée sociale encore méconnue, dont le décret d’application n’a pas encore été publié. Le gouvernement devrait aller vite et communiquer sur cette mesure auprès des travailleurs indépendants.

Pour rééquilibrer la relation entre partenaires indépendants, il faudrait dans le même esprit aller plus loin. Comme le proposent en substance Jacques Barthélémy et Gilbert Cette dans un ouvrage récent qui approfondit toutes ces questions (Travailler au XXIe siècle. L’uberisation de l’économie, Editions Odile Jacob, janvier 2017).

Il conviendrait de modifier le Code du travail par exemple pour :

1. Encourager/imposer les travailleurs de chaque type de plateforme (livraison, VTC, freelances, etc.) à s’organiser sous la forme de syndicats représentatifs.

2. Imposer des négociations collectives annuelles entre ces syndicats et les plateformes durant lesquelles doivent être abordés notamment : la couverture santé et AT/MP, les conditions du pouvoir de sanction des plateformes et le droit à leur contestation par les travailleurs, la rémunération, les conditions d’allocation des missions par l'algorithme.

3. Prévoir que, lorsqu'à la suite des négociations collectives un accord est trouvé entre partenaires, les plateformes aient l'assurance que les contrats ne seront pas requalifiés en contrat de travail.

4. Imposer la présence obligatoire d’un membre du syndicat représentatif au conseil d’administration de la plateforme.

L’Etat doit poser comme objectif une protection sociale satisfaisante pour tous et rééquilibrer le rapport de force entre les travailleurs et les plateformes. Pour cela, seulement quelques ajustements législatifs sont nécessaires.