De l'ignorance économique edit

20 mars 2006

On peut parfaitement être hostile au CPE. Sur Telos, Bernard Brunhes et Eric Chaney nous ont fourni des éléments convaincants sur ce point. Mais cela ne justifie pas pour autant que l’on dise sur l’emploi à peu près n’importe quoi. C’est pourtant ce que la lecture d’un tract contre le CPE, signé par les sections d'Attac, du PS, du PCF, du 13e arrondissement fait craindre : « A l'opposé du CPE et des choix libéraux du gouvernement, il faut prendre sur les bénéfices des actionnaires pour financer la création massive d'emplois et l'augmentation du pouvoir d'achat (...) S'attaquer réellement au chômage, ce serait par exemple : créer massivement des emplois dans les services publics et la fonction publique (enseignement, hôpitaux), réduire le temps de travail en imposant des embauches correspondantes, redonner du pouvoir d'achat en augmentant les salaires pour tous contre la précarité, faire du CDI la norme. » Comment peut-on oser dire (penser ?) de telles âneries ? Comment peut-on avoir une telle méconnaissance des mécanismes économiques ?

Partons d'une évidence (ou plutôt d'une lapalissade) : les emplois privés sont créés par les entreprises... Ajoutons-y une deuxième évidence : les entreprises ne créent des emplois que si elles y trouvent leur intérêt, si elles y trouvent profit. On peut le regretter, trouver le système immoral ou pire ; cela n’en reste pas moins la réalité.

Continuons avec d'autres évidences. Si le profit qu'elles trouvent à créer des emplois diminue, les entreprises diminueront l'emploi. Comment peut-on douter que si l’on taxe leurs bénéfices, soit directement, soit en taxant les actionnaires, les entreprises investiront moins ? Et que moins d’investissement implique, à terme, moins de postes de travail, et moins d’emplois ? Comment peut-on penser qu’une augmentation des salaires, et donc des coûts de production, amènera les entreprises à augmenter durablement l’emploi ? Comment peut-on penser que si elles ne peuvent engager qu’en CDI, les entreprises augmenteront leurs embauches, et le chômage des jeunes diminuera ?

La solution est-elle donc, comme le propose le tract, dans la création massive d’emplois publics ? Là encore d’autres évidences s’imposent. A moins de privatiser l’éducation et la santé, ce qui n’est probablement pas ce que les auteurs du tract ont en tête, les emplois publics doivent être financés par les impôts. Ces impôts supplémentaires, qui va les payer ? Les entreprises ? Si c’est le cas, leur profits diminuent, on retourne au cas de figure précédent. Les emplois publics augmenteront, mais au détriment de l’emploi total et du chômage. Les ménages ? Sont-ils vraiment prêts à financer une augmentation de la taille du secteur public ? On peut sérieusement on douter. Et même s’ils l’étaient, ce qu’ils paieront en impôts diminuera d’autant leur demande, et donc l’emploi privé...

Faut-il donc se résigner, et tenter d’augmenter le nombre d’emplois par la réduction du temps de travail ? Après les 35 heures, ceux qui travaillent sont-ils prêts à accepter une nouvelle diminution de leur salaire ? Là encore, on peut sérieusement en douter.

N’y a-t-il donc pas de solution ? Doit-on donc accepter un capitalisme sauvage, un système où les entreprises font la loi, et les travailleurs sont corvéables à merci ? Bien sûr que non. Nous ne sommes plus au 19e siècle, et la France est un pays riche. Suffisamment riche pour offrir une formation et une protection sociale généreuse à ses travailleurs. La question est de comment le faire mieux, tout en augmentant les incitations des entreprises à créer des emplois. Là sont les vraies questions, et là est le vrai débat. Ce débat a lieu dans d’autres pays. A en juger par le contenu du tract, on en est encore assez loin en France.