Retraites : la vraie réforme reste à faire edit

4 novembre 2010

La réforme des retraites a été votée par le Parlement, après des semaines de manifestations, de grèves et parfois d’émeutes qui ont suscité une certaine incompréhension dans la presse étrangère. L'augmentation de l'âge légal de la retraite de 60 à 62 ans semblait une étape bien modeste au regard des réformes déjà annoncées dans de nombreux pays européens, avec des augmentations de « l’âge de la retraite » à 67 ou même 68 ans. Ce court billet ne vise pas à expliquer les raisons derrière le mécontentement d’une majorité de Français – qui dépasse largement la question des retraites – mais se contente d’analyser ce que fait la réforme, son impact distributif et ses effets sur les finances publiques.

Avant de détailler les mesures de la réforme Woerth, il convient de rappeler rapidement la structure du système de retraite français. C'est un système complexe, fractionné entre 38 régimes obligatoires, publics, financés en répartition, contributifs et redistributifs. Les salariés français du secteur privé sont couverts par le régime général jusqu'au plafond de la sécurité sociale – environ le salaire moyen. Ce régime de base garantissait, avant la réforme, une pension équivalente à 50% d'une moyenne des 25 meilleures années de salaire sous la condition d’avoir soit 65 ans, soit validé 41 ans de cotisations. L'âge minimum pour prendre sa retraite était fixé à 60 ans, ce qui permettait à ceux qui avaient commencé à travailler avant 19 ans de prendre leur retraite à taux plein dès cet âge. Une décote de 5% est appliquée pour chaque année manquante par rapport à 65 ans ou 41 ans de cotisation. En plus de ce régime de base, les salariés du privé sont couverts par des régimes complémentaires, fonctionnant en points, jusqu’à des revenus assez élevés (environ 277 000 euros annuels en 2010). Même si les régimes sont gérés séparément, la décote dépend de l’obtention du taux plein au régime général. Dans le secteur public, un régime unifié offre 75% du dernier traitement à l'âge de 55 ans pour la catégorie active et 60 ans pour les sédentaires, à condition, depuis 2004, d’avoir réuni la durée requise de cotisation.

La réforme de 2010 vise à réduire le déficit du système de retraite français avec une combinaison d'augmentation de recettes et de réduction des dépenses. Les prélèvements supplémentaires correspondent à un patchwork de mesures parmi lesquelles une augmentation de 1% de la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu (hors bouclier fiscal), une augmentation des cotisations sociales employeurs et une pérennisation de la contribution de l'État pour les retraites du secteur public. Les modifications du barème des retraites consistent en l’augmentation de l’âge minimum de liquidation de 60 à 62 ans et l'âge du taux plein sans condition (l’âge à partir duquel aucune décote n’est imposée) de 65 à 67 ans. Depuis la réforme de 2003 certains travailleurs qui avaient commencé à travailler à 14, 15 et 16 ans pouvaient prendre leur retraite à 58 ou 59 ans s'ils avaient contribué 43 ans. Ces exceptions sont maintenues et elles sont étendues à ceux qui ont commencé travailler à 17 ans, qui pourront prendre leur retraite dès 60 ans. Dans le secteur public, les seuils sont aussi augmentés de 2 ans, de 55 à 57 and et de 60 à 62 ans. Selon le gouvernement, la réforme devrait mener à un budget équilibré en 2018. A partir de cette date, le déficit recommencera à se creuser avec l’augmentation continue de l’espérance de vie.

Le gouvernement affirme qu'il a préservé la soutenabilité des finances publiques en envoyant un signal clair aux marchés financiers, en garantissant la justice du système de retraite avec une augmentation des impôts payés par les plus riches et des dérogations pour ceux qui ont commencé à travailler tôt. Les syndicats et l'opposition pensent de leur côté que la réforme est injuste, et certains ajoutent que l'augmentation de l'âge de la retraite contribuera à la hausse du chômage et non à équilibrer le budget.

Plutôt que de qualifier une réforme de « juste » ou « injuste », ce qui impose d’émettre un jugement normatif, les économistes préfèrent s’en tenir à une approche positive de l'impact distributif d’une réforme. Dans le cas de la réforme des retraites 2010, la plupart des salariés sont touchés par les augmentations des bornes d’âge, à l’exception de ceux dont la retraite est déterminée par la durée requise de cotisation, c.-à-d. ceux qui ont commencé à travailler après l'âge de 21 ans. Ces salariés, qui pour la plupart ont fait des études et touchent par conséquent des revenus plus élevés, recevront une retraite pleine à l'âge de 62 ans, avant comme après la réforme : ils sont donc les relatifs « gagnants » de la réforme. Cela conduit à caractériser la réforme 2010 comme régressive – alors qu’au contraire la réforme Fillon pouvait être décrite comme progressive. Au vu de cet impact distributif, les critiques de l'opposition et des syndicats ne sont donc pas sans fondement.

En revanche, l’affirmation, entendue à maintes reprises pendant les manifestations, selon laquelle l’augmentation de l'âge de la retraite conduira à augmenter le chômage des jeunes, fait hérisser le dos de la plupart des économistes. L’idée que le nombre d'emplois dans une économie est fixe et que le gain d’un groupe (les vieux, les femmes, les immigrés) doit se faire forcément au détriment d'un autre (les jeunes, les hommes, les Français de souche) continue manifestement à avoir un franc succès en France. Cela explique certainement la popularité des politiques de préretraite, des incitations offertes aux femmes pour rester hors du marché du travail, des politiques d’expulsion des immigrés et finalement le manque de soutien pour des réformes visant à augmenter l’âge de la retraite. Tant que cette vision malthusienne du marché du travail restera dominante dans le débat public français, on voit mal comment des politiques visant à promouvoir le taux d’emploi – des jeunes comme des seniors, des femmes comme des hommes, des handicapés comme des valides etc. – pourront être mises en place avec succès. C’est pourtant sur cette capacité que repose la pérennité de notre système de protection sociale.

Enfin, si l'on doit faire crédit au gouvernement de s’être attaqué à un problème aussi controversé que celui des retraites, il est difficile de ne pas s’inquiéter du bilan de cette réforme : la soutenabilité financière n’a été garantie que pour quelques années ; il n'y a pas eu de discussion des mesures à prendre dans huit ans et au-delà ; la complexité et le manque de transparence du système actuel n'ont pas été réduits ; et ce qui est peut-être le pire, le débat public s’est considérablement dégradé. Alors que l’on pouvait avoir l'impression qu'après la réforme de 2003, un consensus avait émergé progressivement sur le besoin de fournir des incitations à prendre sa retraite plus tardivement en réduisant l'importance de l'âge minimum, la réforme de 2010 revient à un système extrêmement contraint, centré autour de l'âge de 62 ans.

Contrairement à ce que dit le gouvernement – et peut-être à ce qu’espère une partie de l'opposition – une réforme majeure du système de retraite français reste toujours à faire.

Des versions anglaise et italienne de cet article seront publiées sur les sites de nos partenaires VoxEU et LaVoce.