Comment rendre le système scolaire français plus performant? Les enseignements de PISA 2015 edit

6 janvier 2017

Les enquêtes PISA se suivent et les enseignements qu’on peut en tirer pour la France sont constants… et affligeants. Notre pays n’occupe qu’un rang moyen, ce qui est une contre-performance compte tenu du nombre (70 en 2015) et de la diversité des pays de l’OCDE participant à l’enquête. La dernière enquête 2015 portant principalement sur les sciences confirme ce constat maintes fois établi : la France se situe derrière la plupart de ses voisins européens (Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique) et même derrière certains d’entre eux dont le niveau économique est nettement inférieur au sien (Portugal, Pologne). Par ailleurs, il ressort des données PISA, à chaque enquête, et à nouveau dans celle-ci, que le système scolaire français est un des plus inégalitaires et un des plus dichotomiques : les performances des élèves s’y expliquent plus qu’ailleurs par leur origine socio-économique et l’écart entre les bons élèves et les élèves en difficulté y est plus marqué et ne se réduit pas.

Les enquêtes PISA permettent cependant d’aller bien au-delà de ce constat négatif et déprimant que se contente de rappeler généralement la presse d’information générale. En effet, l’OCDE, le maître d’œuvre de ces enquêtes, ne fait pas que recenser des statistiques. Elle les met aussi en rapport avec les principes et les méthodes des systèmes éducatifs qu’elle étudie. Ce travail est riche d’enseignement car il permet de faire ressortir les bonnes pratiques… et les moins bonnes. Quelles leçons en tirer pour la France ?

Citons d’abord intégralement un extrait du rapport de l’OCDE (PDF ici) qui bat en brèche une idée solidement ancrée chez une partie des élites françaises : « dans nombre de pays, les réformes fixant comme priorité la réduction des inégalités sociales n’ont pas conduit à un nivellement par le bas des performances. Bien au contraire, la proportion d’élèves en échec scolaire y a diminué, alors que, dans le même temps, celle des bons élèves y a augmenté ». L’amélioration de l’équité du système scolaire est parfaitement compatible avec l’amélioration des performances à tous les niveaux du système. La réussite de bon nombre de pays montre même que l’une va avec l’autre.

Mais venons maintenant à l’essentiel en retenant un des points fondamentaux ressortant du programme PISA et des études comparatives qui l’accompagnent. Ce point essentiel c’est l’importance de la qualité des enseignants dans l’amélioration des performances des systèmes éducatifs.  Ce point est bien documenté dans le rapport déjà cité. Il est aussi bien établi par des travaux économiques comme ceux d’Hanusek. Il peut paraître de simple bon sens, mais le fait est qu’il a été largement sous-estimé dans notre pays, du fait la prégnance des idées bourdieusiennes présentant l’école comme un instrument indifférencié de reproduction sociale. En réalité, les performances des pays et, à l’intérieur de chacun d’eux des établissements et des classes varient beaucoup en fonction de la qualité des enseignants. En quoi la France est-elle déficiente sur ce point central et comment peut-elle s’améliorer ?

Bien évidemment, les enseignants français ne sont pas intrinsèquement moins bons que leurs collègues étrangers. Mais l’organisation du système « éducation nationale » contribue à les rendre moins performants. Pourquoi ?

Tout d’abord, comme le dit Andreas Schleicher, le directeur du programme de l’OCDE (dans une interview au Point du 5 décembre) dans un langage très direct « le système français isole les professeurs. C’est une sorte d’organisation industrielle, qui fonctionne comme une usine. Le ministère écrit les programmes en petit comité et les enseignants doivent lui obéir ». Le fameux « mammouth »….

Mais au-delà de cette caractéristique générale, on peut retenir quatre traits principaux du système éducatif français qui, en comparaison de ce qui se pratique dans les pays les plus performants, nuisent à l’efficacité et à l’équité du système.

1. Les meilleurs professeurs ne sont pas là où ils sont le plus utiles. C’est un trait bien connu du système français dans lequel l’affectation des professeurs en fonction de leurs vœux se fonde sur des critères rigides d’ancienneté et secondairement de situation familiale. Cette méthode d’affectation conduit au résultat que les académies les moins demandées, parce que composées en moyenne des élèves les plus difficiles, comme celle de Créteil, se caractérisent par la jeunesse de leurs enseignants et le poids des enseignants débutants : alors  que  l’on  compte  un néo-titulaire  pour  plus  de  quatre-vingts titulaires  dans  le  reste  de  la  France,  un enseignant  sur  vingt  est  néo-titulaire  à Créteil (note d’information 13-21 de la DEPP du MEN, 2012). Les enseignants les moins expérimentés sont affectés là où l’expérience pédagogique serait la plus utile ! Modifier ce système est crucial et le moyen pour y parvenir très simple : laisser au chef d’établissement la possibilité de sélectionner les professeurs qu’il juge les mieux adaptés et les plus motivés pour exercer leur métier face à des publics spécifiques, ce qui se pratique dans beaucoup de pays. Cela conduit aussi évidemment à laisser ouverte la possibilité de mieux rétribuer les professeurs faisant face à ces publics et de tenir compte de leur engagement dans l’évolution de leur carrière.

2. L’apprentissage individualisé et l’enseignement différencié sont insuffisamment développés. Un enseignement différencié ne signifie pas un enseignement par filières rigides ou par groupes de niveaux. Au contraire, les pays comme la Finlande (encore 5ème dans l’évaluation 2015) y ont depuis longtemps renoncé au profit d’une organisation de l’enseignement qui tient compte des aptitudes différentes des élèves dans la conception de l’apprentissage et des méthodes pédagogiques. En Norvège également, comme dans beaucoup d’autres pays, on met en avant la liberté des équipes pédagogiques pour stimuler la créativité et la curiosité des élèves. Une autre enquête internationale réalisée par l’OCDE, l’enquête TALIS en 2013 sur la formation et les pratiques professionnelles des enseignants, montre que ces méthodes plus individualisées sont beaucoup moins utilisées en France : les professeurs de collège français ne sont que 22% à déclarer utiliser des méthodes pédagogiques différenciées selon le niveau des élèves contre 44 % en moyenne. Cette organisation, si on veut la développer, suppose à nouveau que les chefs d’établissements et les établissements dans leur ensemble disposent de suffisamment d’autonomie, avec un curriculum général suffisamment souple, pour adapter leurs méthodes d’enseignement et mettre en place des stratégies favorisant l’apprentissage des élèves défavorisés.

3. L’absence de culture coopérative. Une des clefs du succès des pays les plus performants en matière éducative est la coopération et les échanges de bonnes pratiques entre les enseignants et entre les établissements en y associant les familles. L’OCDE cite, parmi beaucoup d’autres, l’exemple d’un programme anglais (le Greater Manchester Challenge) dans lequel les établissements les plus performants travaillent, dans un cadre local, avec les établissements moins performants ou défavorisés pour améliorer leurs pratiques en formant leurs enseignants. On peut citer aussi, parmi d’autres, un programme irlandais (HSCL) qui vise à établir un partenariat entre les enseignants et les parents au profit des élèves de milieux défavorisés. Cette culture coopérative fait défaut en France où le métier d’enseignant reste trop souvent un exercice solitaire qui ne permet pas aux enseignants en difficulté de trouver du soutien et des conseils et qui ne permet pas aux meilleurs enseignants de transmettre leur expérience. L’enquête TALIS déjà citée montre que les enseignants français mettent moins souvent en œuvre que leurs homologues étrangers des pratiques collaboratives comme utiliser des barèmes communs d’évaluation, observer le travail de leurs pairs ou intervenir en classe à plusieurs. Or, les expériences étrangères montrent que la réussite éducative se fonde sur un projet partagé qui associe les différents acteurs, y compris les familles.

4. L’insuffisante formation pédagogique (initiale et continue) des enseignants français. Ce point est également crucial dans l’évaluation comparée des différents systèmes réalisée par l’OCDE. Pour l’organisation internationale, « la formation des enseignants est trop académique en France ». Citons à nouveau l’enquête TALIS. Elle montre que les enseignants français s’estiment bien préparés sur le contenu de la matière qu’ils enseignent (à 90%), mais qu’ils se sentent insuffisamment préparés sur le volet pédagogique de leur métier, 40% le déclarent, la proportion la plus élevée des 34 pays participant à l’enquête ! Ajoutons deux autres déficiences du système français : la moindre fréquence des actions de formation continue et la très faible présence d’évaluation internes ou d’auto-évaluation sur la qualité de l’enseignement au sein des établissements. 

Remédier à ces carences du système éducatif français ne passe pas forcément par de profondes réformes de structure, si ce n’est sur un point central sur lequel insiste Andreas Schleicher : faire plus confiance aux acteurs de terrain – les chefs d’établissement et les enseignants – pour imaginer et mettre en œuvre les méthodes les mieux adaptées aux publics dont ils ont la charge. Une forte autonomie des établissements est certainement la réforme-clef qui permettra d’atteindre cet objectif.