Augmenter le taux d’emploi global: un ressort incontournable pour élever notre niveau de vie edit
Les chiffres du chômage BIT en France (hors Mayotte) sur le troisième trimestre 2024, récemment publiés par l’Insee, font état, comparés au trimestre précédent, d’une légère hausse de 35 000 personnes du nombre de chômeurs se traduisant par une hausse également légère du taux de chômage qui passe de 7,3% à 7,4% de la population active. Cette faible évolution est qualifiée par l’Insee de quasi stabilité dès le titre de son communiqué. Mais l’essentiel n’est pas là. Il est dans l’augmentation du taux d’emploi de la population âgée de 15 à 64 ans, qui passe de 69% à 69,1%.
Une forte hausse du taux d’emploi sur la longue période
C’est en effet le taux d’emploi qui doit être le principal thermomètre de l’action publique dans le domaine du marché du travail, car c’est lui qui impacte directement, avec d’autres facteurs comme la productivité et la démographie, le PIB par habitant et donc le niveau de vie moyen de la population. Certains pays comme la Belgique, pourtant régulièrement et à tort pris en exemple par divers syndicats, se singularisent ainsi par un taux de chômage avantageux par rapport à la France (environ 5,5%) mais aussi par un taux d’emploi pourtant plus bas (moins de 67%), ce qui explique un niveau de PIB par habitant proche du nôtre, et donc très inférieur à celui des pays nordiques et scandinaves, de l’Allemagne ou des Pays-Bas.
La simultanéité, au 3e trimestre 2024, d’une hausse du taux de chômage et du taux d’emploi en France s’explique par l’augmentation du taux d’activité moyen. Cette augmentation est nette pour les deux segments de la population en âge de travailler sur lesquels des politiques fortes ont été déployées : les jeunes de 15 à 24 ans, avec par exemple les réformes de l’apprentissage et des lycées professionnels, et les seniors de 55 à 64 ans avec par exemple la réforme des retraites.
Le niveau actuel du taux d’emploi de la population âgée de 15 à 64 ans est, à 69,1%, le plus élevé observé depuis 1975, date la plus ancienne à laquelle l’INSEE remonte dans ses publications. Il était alors de 66,6%, et il a connu ensuite une baisse presque constante pour atteindre un point bas de moins de 61% en 1994 et pour remonter ensuite, avec cependant une pause durant la décennie 2000 et une accélération depuis 2015.
Le segment par âge qui a connu la progression la plus forte est celui des seniors. Pour la population âgée de 50 à 64 ans, le point bas du taux d’emploi est atteint en 1992 à 42,2%, une fois totalement concrétisés les effets de la baisse à 60 ans de l’âge d’ouverture des droits à la retraite décidée au début des années 1980, et le point haut actuel est de 66,9%. Une telle hausse, très impressionnante car de près de 25 points de pourcentage, s’explique sans doute en grande partie par les réformes des retraites engagées sur la période dont les effets s’ajoutent à ceux de l’augmentation tendancielle de l’activité des femmes. Ces réformes des retraites se sont ainsi bien traduites par les effets escomptés. Sur la même longue période, le taux d’emploi des jeunes a nettement baissé, de plus de 18 points, pour passer de 53,8% en 1975 à 34,6% actuellement, avec un point bas de moins de 28% en 1997. Cette baisse marquée s’explique bien sûr par l’allongement de la période des études, le cumul emploi/études étant plus rare dans notre pays que dans de nombreux autres pays européens. Mais la hausse est très nette depuis 2016, de plus de 6 points, le taux d’emploi des jeunes passant de 28,4% cette année-là à 34,6% actuellement. Elle semble stoppée sur les derniers trimestres, du fait de l’épuisement des effets de réformes comme celle de l’apprentissage. Le taux d’emploi de la population d’âge intermédiaire (25-49 ans) a lui-même fortement progressé d’environ 6 points sur la longue période, passant de moins de 77% en 1975 à près de 83% actuellement. Cette hausse s’explique essentiellement par celle du taux d’emploi des femmes de cette tranche d’âge.
La hausse du taux d’emploi global observée sur la longue période, ici depuis 1975, si elle n’est pas négligeable, demeure cependant d’une ampleur limitée : environ 2,5 points de pourcentage. Mais l’évolution observée est très contrastée entre hommes et femmes. Sur cette longue période, le taux d’emploi des hommes a baissé d’environ 9 points de pourcentage pour passer de 81,1% en 1975 à 71,9% actuellement. Sur la même période, il a augmenté d’environ 15 points de pourcentage concernant les femmes, pour passer de 51,7% en 1975 à 66,5% actuellement. Ainsi, c’est l’affirmation d’une aspiration des femmes à l’autonomie financière et à une plus grande parité économique avec les hommes qui est à la source de l’augmentation du taux d’emploi global et du niveau de vie moyen qui en résulte. L’écart actuel de taux d’emploi entre hommes et femmes demeure non négligeable, à environ 5,5 points de pourcentage, mais il était de plus de 29 points en 1975. Il a presque continument baissé sur la période et devrait continuer à le faire, avec la sortie de générations culturellement anciennes de la population en âge de travailler.
La dégradation conjoncturelle ne doit pas amener à relâcher l’effort
Compte tenu d’une dégradation de la situation du marché du travail, le taux d’emploi global pourrait s’orienter à la baisse sur les prochains trimestres pour rebondir ensuite à la hausse au moment de l’amélioration conjoncturelle qui suivra. Dans ce contexte, trois orientations de politique économique paraissent appropriées.
Tout d’abord, limiter les effets de la dégradation conjoncturelle, en facilitant transitoirement les arbitrages favorables à l’emploi plutôt qu’aux salaires. C’est dans cette logique qu’avec Jacques Barthélémy, nous préconisons de permettre à des accords de performance collective, signés dans les entreprises entre les partenaires sociaux, de diminuer transitoirement les salaires au-dessous des minima conventionnels de branche mais dans le respect des dispositions d’ordre public comme le SMIC (voir notre tribune dans Les Echos du 25 novembre 2024).
Ensuite, favoriser le rebond économique et pour cela restaurer une confiance altérée par les déchirements politiques actuels bien pitoyables. Cette confiance est utile pour stimuler la demande de consommation des ménages et d’investissement des entreprises françaises et étrangères.
Enfin, sur le moyen et long terme, poursuivre les réformes visant à augmenter les comportements d’activité, en particulier sur les trois segments sur lesquels ils demeurent faibles comparés à de nombreux pays avancés comme par exemple les pays nordiques et scandinaves, l’Allemagne et les Pays-Bas. Il s’agit donc de consolider, de renforcer et de prolonger des réformes telles que celles de l’apprentissage, du RSA, de l’indemnisation chômage ou des retraites, parmi tant d’autres.
Comparée à de nombreux pays européens, la France apparaît comme un pays pauvre : son PIB par habitant est ainsi par exemple actuellement inférieur d’environ 15% à celui de l’Allemagne, de 20% à celui du Danemark ou de près de 25% à celui des Pays-Bas. La principale cause de ce décalage est un taux d’emploi global plus bas que celui observé dans ces pays, l’écart se cristallisant principalement sur les trois segments de la population en âge de travailler que sont les peu qualifiés, les jeunes et les seniors.
Le rattrapage des taux d’emplois observés dans ces pays doit être l’un des objectifs majeurs de nos politiques économiques. Avec la diminution de la dépense publique, ce rattrapage permettrait à la France de sortir de ses difficultés récurrentes de finances publiques. Nous avons calculé, avec des hypothèses très prudentes, que, par exemple, le rattrapage des taux d’emploi observés aux Pays-Bas permettrait d’augmenter spontanément les recettes publiques annuelles d’un montant équivalent à la somme des deux plus gros budgets de l’Etat, à savoir l’Éducation nationale et la Défense.
L’alternative qui se présente devant nous est ainsi assez claire. La France peut demeurer un pays à bas taux d’emploi, pauvre comparée à de nombreux autres pays européens, avec une ambition alors bridée concernant le financement et donc la qualité de son modèle social, de son éducation nationale, de la transition climatique et de gains de pouvoir d’achat. La réponse à ces difficultés souvent préconisée par les oppositions, consistant à abaisser le taux d’emploi par exemple par l’abrogation de la dernière réforme des retraites et à redistribuer davantage les revenus apparaît ici totalement inappropriée. Modifier le partage du gâteau par davantage de redistribution ne contrebalance pas le fait que le gâteau à partager demeure de petite taille, voire est réduit par la diminution des taux d’emploi mais aussi par les effets de l’amplification des politiques fiscales redistributives. La France peut aussi renforcer ses taux d’emploi, et ainsi augmenter le revenu moyen et réduire les difficultés de financement de ses ambitions. C’est l’objectif qui doit être recherché, avec bien sûr la dynamisation des gains de productivité, via l’innovation et l’investissement, ces gains constituant avec l’augmentation du taux d’emploi global l’autre canal principal d’élévation du revenu moyen en France.
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