Austérité et élections edit
Note : cette chronique est basée sur un article rédigé avant le décès prématuré d’Alberto Alesina ; son nom figure parmi les auteurs en reconnaissance de sa contribution intellectuelle.
Compte tenu du niveau record des ratios dette/PIB dans les pays développés et certains pays émergents, en présence de taux d’intérêt réels à long terme supérieurs à leurs niveaux d’avant la pandémie, il sera tôt ou tard nécessaire de procéder à une contraction budgétaire. Quelles en sont les conséquences électorales ? Sachant que les sondages sont la contrainte ultime qui pèse sur les décideurs politiques démocratiquement élus.
Un premier point est que les électeurs n’apprécient guère l’austérité, quelle qu’elle soit, parce qu’elle réduit le revenu disponible à court terme. Les gouvernements peuvent donc retarder la mise en œuvre de l’austérité jusqu’à ce qu’elle soit la seule option possible pour éviter une crise de la dette souveraine, ce qui se produit souvent en période de récession. Or la littérature montre qu’une récession est le pire moment pour mettre en œuvre l’austérité : Auerbach et Gorodnichenko (2012) estiment que les multiplicateurs de dépenses sont plus importants en période de récession qu’en période d’expansion. Par conséquent, retarder la mise en œuvre de l’austérité dans l’espoir d’éviter ses conséquences électorales peut les aggraver.
Second point, la politique fiscale a des conséquences distributives importantes qui peuvent rendre certaines formes d’austérité attrayantes pour les électeurs. Par exemple, l’augmentation de l’impôt sur la fortune ou de l’impôt sur les sociétés peut être bien accueillie par l’électorat qui bénéficie des services financés par ces impôts. Par exemple, lors d’un référendum organisé en septembre 2022, les citoyens suisses ont voté en faveur d’une augmentation de la TVA à compter de janvier 2024. Symétriquement, une réduction permanente des dépenses publiques est le signe d’une baisse des impôts futurs, ce qui peut trouver un soutien parmi les électeurs qui estiment recevoir moins de l’État que ce qu’ils contribuent, soit en raison de son inefficacité, soit du fait des politiques de redistribution. En d’autres termes, les augmentations d’impôts ou les réductions de dépenses peuvent être attrayantes pour l’électeur médian en fonction du niveau d’inégalité et de son point de vue sur la taille optimale de l’État. Dans un article récent (Alesina et al. 2024), en utilisant un ensemble de données comprenant des milliers de mesures d’austérité annoncées par quatorze économies avancées sur une période de trente ans, nous nous concentrons sur les questions suivantes : les électeurs réagissent-ils différemment aux hausses d’impôts et aux réductions de dépenses ? L’austérité est-elle politiquement plus coûteuse en période de récession ? Les électeurs se soucient-ils de la cohérence avec les promesses électorales ?
Notre enquête révèle que le discours conventionnel simplifie à l’excès la manière dont les électeurs réagissent à l’austérité. Les spécificités de la mise en œuvre de l’austérité – qu’il s’agisse de hausses d’impôts ou de réductions des dépenses – et le programme économique du gouvernement qui la met en œuvre jouent un rôle essentiel dans la formation des réactions des électeurs.
Les hausses d’impôts aliènent invariablement les électeurs…
Les hausses d’impôts sont associées se paient dans les urnes : en moyenne, un programme d’austérité représentant 1% du PIB est associé à une réduction d’environ 7% de la part des voix du principal parti au pouvoir. Cet effet négatif est considérablement plus important si le gouvernement qui l’a mis en place avait auparavant fait campagne sur un programme d’économie de marché lors de l’élection qui l’a porté au pouvoir. En d’autres termes, les partis libéraux voient leur part de voix considérablement réduite lorsqu’ils forment des gouvernements qui augmentent les impôts pour consolider le budget. Mais nous constatons également que les partis qui n’ont pas fait campagne sur un programme libéral voient leur part de voix réduite s’ils décident de réduire le déficit budgétaire en augmentant les impôts, bien que dans une moindre mesure. En moyenne, les gouvernements semblent agir comme s’ils étaient conscients du coût de la fiscalité, en concentrant les ajustements fiscaux sur la première année de leur mandat, surtout après avoir obtenu une large majorité au parlement.
Figure 1. Évolution de la part de voix du principal parti au pouvoir après un train de mesures d’assainissement fiscal représentant 1% du PIB
... mais les réductions de dépenses publiques peuvent attirer des voix
En ce qui concerne les réductions de dépenses, nos résultats remettent en question l’idée selon laquelle toutes les formes d’austérité sont politiquement néfastes. Nous constatons qu’en moyenne, les réductions de dépenses ne sont pas associées à un changement significatif de la part de voix du gouvernement qui les a introduites. Mais lorsque nous prenons en compte les manifestes économiques, nous constatons que cela a une grande importance. Les partis qui ont fait campagne sur un programme d’économie de marché gagnent des voix après la formation d’un gouvernement qui annonce un programme d’austérité consistant en des réductions de dépenses. Ce résultat est complètement inversé pour les partis qui n’ont pas fait campagne sur un programme d’économie de marché : ils perdent des voix après une austérité basée sur les dépenses.
Figure 2. Variation de la part de voix du principal parti au pouvoir après un programme d’assainissement basé sur les dépenses représentant 1% du PIB
Ces résultats suggèrent que l’idéologie et la cohérence des actions politiques avec celles promises dans un programme sont importantes pour expliquer les conséquences électorales de l’austérité. Nous confirmons cette intuition en considérant l’idéologie politique plutôt que les manifestes économiques : les partis de droite perdent des voix après une austérité basée sur les impôts, mais peuvent en gagner après une austérité basée sur les dépenses. Inversement, les partis de gauche perdent des voix après une austérité basée sur les dépenses, mais leurs retombées électorales sont limitées en cas d’austérité basée sur les impôts. Toutefois, la cohérence avec les politiques promises est importante, même si l’on tient compte de l’idéologie politique. Nous constatons que les gouvernements de gauche peuvent limiter le coût électoral des consolidations basées sur les dépenses s’ils font moins campagne sur un programme de grands États.
Nous constatons enfin que l’austérité, en particulier l’austérité fiscale, est plus préjudiciable à la fortune électorale du gouvernement lorsqu’elle est annoncée en période de récession économique. Cela met en lumière un aspect essentiel du coût électoral de l’austérité : l’annonce de l’austérité en période d’expansion économique peut sauver, voire améliorer, les chances électorales des gouvernements.
Implications
Des études récentes ont établi un lien entre la montée du populisme et les mesures d’austérité introduites après la grande récession de 2007-2009, qui pourraient avoir favorisé le vote en faveur du Brexit. Notre étude a une implication plus nuancée, suggérant que les risques électoraux peuvent être surmontés, et parfois même tournés à l’avantage des responsables politiques, grâce à des décisions politiques stratégiques, idéologiquement cohérentes et prises au bon moment. En particulier, la congruence idéologique entre les actions politiques d’un gouvernement et ses promesses électorales peut grandement contribuer à atténuer le coût électoral de l’austérité. Lorsque l’austérité est conforme au programme préélectoral d’un parti, en particulier pour les partis qui ont fait campagne sur la réduction des dépenses publiques ou qui prônent la responsabilité fiscale, de telles mesures peuvent être perçues comme le respect des engagements électoraux plutôt que comme une trahison. Par conséquent, la responsabilité fiscale peut être politiquement viable si elle est annoncée de manière cohérente et opportune.
La version anglaise de cet article est publiée par notre partenaire Vox.eu.
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