Taxation des facteurs mobiles : non à la double peine edit
A l’occasion de ses vœux aux forces vives de la Nation en janvier 2006, le Président de la République a souhaité que le financement de la protection sociale soit assuré par un prélèvement reposant sur une « assiette plus juste et plus favorable à l’emploi ». L’idée directrice, en apparence rationnelle, est que le coût du travail est trop élevé et qu’il pénalise l’emploi et qu’il faut donc substituer aux cotisations sur les salaires d’autres prélèvements. Ainsi la « contribution sur la valeur ajoutée », une vieille lanterne du débat français, serait un prélèvement sur la valeur ajoutée créée par les entreprises. Le Président a également mentionné du bout des lèvres la TVA sociale qui consiste tout simplement à augmenter l’impôt sur la consommation comme vont le faire en 2007 nos voisins allemands. En réalité, ce débat se résume à la double peine dont est frappé un gouvernement tentant de taxer les assiettes mobiles dans un contexte mondialisé : les plus mobiles s’en vont et la charge de l’impôt se reporte in fine sur ceux qui restent.
Concentrons-nous sur la question de savoir quel est l’impôt le plus favorable à l’emploi ou au niveau de vie des français. Pour traiter de ces questions, il faut disposer d’outils quantitatifs, plus ou moins sophistiqués. Or, en matière de réformes, il est essentiel de raisonner « à long terme », c'est-à-dire à dix ou à vingt ans. L’expérience suggère qu’en privilégiant le court terme comme cela a été souvent fait dans le passé (préretraites, emplois publics, etc.), on écarte progressivement l’économie de sa trajectoire optimale et on accumule les problèmes pour l’avenir. D’un point de vue théorique, ce qui est mauvais à court terme a toutes les chances d’être favorable à long terme : il existe ainsi une « courbe en J de la réforme ». Or la pauvreté des outils et modèles existant en France pour traiter du long terme est sidérante, si bien que les économistes ne disposent que de peu de certitude. Si l’on en croit les résultats du récent rapport interministériel Lepetit, il ne faudrait rien changer dans la fiscalité française et taxer uniquement la masse salariale, moins mobile que le capital, sous peine de voir le niveau de vie des Français diminuer à long terme. A l’opposé, une récente étude de Stéphane Gauthier (Insee) préconise de mettre en place une TVA sociale qui pourrait créer des dizaines de milliers d’emplois. Comment expliquer de telles différences sachant que les études en question retiennent un cadre analytique assez semblable ? Tout simplement, parce que nous ne disposons pas des moyens et éléments d’information permettant de débattre des effets de l’ensemble des prélèvements.
Il faut se garder de prendre pour argent comptant les premières intuitions. En particulier, « baisser le coût du travail crée durablement de l’emploi » n’est pas exact si le prélèvement qui compense cette baisse est plus pénalisant. En schématisant, un prélèvement est d’autant moins pénalisant pour l’activité économique, le niveau de vie des Français et l’emploi que sa base est immobile et peu réactive à sa taxation. Il s’agit donc de connaître les élasticités de la consommation au prix (dans quelle proportion tel type de consommation baisse quand son prix augmente), les élasticités des facteurs de production à leur taxation (dans quelle proportion tel type de capital quitte le pays quand on le taxe), l’élasticité des revenus à leur taxation (dans quelle proportion un individu réduit ses efforts ou s’expatrie quand on le taxe). Comme on le voit, tout ceci est affaire de mesure (et non d’idéologie) mais ces mesures sont aujourd’hui mal connues.
Si ces mesures étaient disponibles, les conclusions s’imposeraient d’elles-mêmes. Par exemple, si l’on décide de taxer la rémunération des facteurs de production (travail, capital, la valeur ajoutée étant composée pour deux tiers de travail et pour un tiers de capital), le bon sens recommande de taxer les facteurs les moins mobiles, ceux qui sont le moins susceptibles de partir à l’étranger. Si on fait le contraire, on est frappé d’une double peine : les facteurs mobiles s’en vont et la charge de l’impôt se reporte in fine sur ceux qui restent, ceux là même qu’on aurait aimé épargner. De même, on aura intérêt à taxer la consommation lorsque celle-ci est peu élastique à son prix, comme c’est le cas pour l’essence : la hausse du cours de l’essence de plus de 40 % en trois ans n’a eu presque aucun effet sur sa consommation. Le capital investi dans les entreprises est probablement l’une des assiettes les plus mobiles, ce qui discrimine tout impôt assis sur cette base, totalement comme l’IS ou partiellement comme la « contribution sur la valeur ajoutée ». Pour le reste, nous sommes dans l’incertitude.
Conclusion : pour éviter de refaire un rapport tous les cinq ans sur le financement de la protection sociale qui refait ou défait le précédent, les pouvoirs publics doivent se doter des instruments de base, des outils d’analyse quantitative à long terme. D’autres pays en disposent. A nous d’en faire autant.
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