Climat : l’Europe dindon de la farce ? edit
Au terme de deux semaines de discussion ponctuées par des séances marathon de négociations de dernière minute et au delà, la Conférence sur le climat de Doha au Qatar a finalement abouti à un accord. Certains y verront le signe que le processus amorcé de depuis Rio en 1992 ou Kyoto en 1997 continue et pourrait mener un jour à une convention internationale bien plus importante. En effet, dans la résolution finalement « adoptée » contre des objections majeures de la part de la Russie et de manière moindre de celle des Etats-Unis figure une continuation du Protocole de Kyoto jusqu’en 2020 et la perspective très vague d’un accord beaucoup plus global entre 2015 et 2020 ainsi que des mesures de compensation également peu précises pour les pays les plus pauvres victimes du changement climatique. Le problème est que les pays qui ont accepté de reprendre les obligations du protocole de Kyoto jusqu’en 2020 sont en majorité des pays européens puisqu’entretemps le Canada, la Russie et le Japon ont décidé de le quitter.
De plus, la position de l’Australie, seul pays extra-européen à figurer encore dans ce club de Kyoto n° 2, est extrêmement chancelante. En effet, la majorité parlementaire de la Premier ministre travailliste ne tient qu’à un fil et de toute manière des élections doivent se tenir d’ici au 30 novembre 2013. Or pour le moment, les travaillistes ne sont guère favoris des sondages et il est à peu près certain que la coalition libérale qui les remplacerait sortirait à ce moment du protocole de Kyoto. Cela laisserait les Européens seuls à supporter tout le poids de réductions de gaz à effet de serre planétaire jusqu’en 2020 !
Une telle restriction (à moins de 14% des émissions si l’Australie quitte Kyoto) de l’effort est-elle effective ? Non, on peut au contraire argumenter que la diminution du club de Kyoto va au contraire faire augmenter encore davantage les émissions de gaz à effet de serre. Pourquoi ? Deux thèses peuvent ici être confrontées. La première consiste à dire que l’exemple des Européens finira bien par être payant et que le reste du monde va éventuellement l’adopter parce qu’il s’agit d’un modèle efficace et générateur d’emplois. Au minimum les réductions européennes pourront améliorer la situation au moins de manière marginale. La deuxième thèse avance l’idée que toute restriction dans l’espace géographique couvert par des réglementations de limitation de gaz à effet de serre aura pour conséquence des transferts de production vers des endroits qui ne sont pas touchés par celles-ci puisque les coûts y seront moindres. De tels déplacements vont produire davantage de gaz à effet de serre puisque n’étant pas soumis à des contraintes semblables à celles du lieu d’origine et ceci même avant que de nouvelles mesures de limitations ne soient introduites à l’endroit de départ. Ainsi, par exemple la France a une intensité en CO2 qui est moins de la moitié de celle de la Chine. Chaque fois qu’une industrie française se délocalise, son intensité CO2 est susceptible de doubler à travers son utilisation d’électricité, de chauffage et d’autres vecteurs d’énergie.
Une analyse des tendances en matière de gaz à effet de serre suggère que la deuxième thèse semble bien plus proche de la réalité que la première. En effet, alors que les émissions ont diminué de 12% dans l’Europe des 27 depuis 1990, elles ont augmenté de 51% durant la même époque dans le monde (malgré le déclin européen), la plus grande partie de cet accroissement étant dû à l’Asie. Clairement, le bon exemple européen n’a pas été suivi d’autant plus que le déplacement d’activités manufacturières vers l’Asie a été accompagné d’une utilisation de plus en plus massive de combustibles fossiles notamment de charbon dont le prix demeure très bas par rapport à d’autres sources d’énergie notamment les renouvelables.
Dans ce contexte, la volonté européenne de réduire à peu près seule les émissions a peu de sens et comme indiqué plus haut risque au contraire de provoquer une augmentation plus grande de gaz à effet de serre ailleurs. Même à l’intérieur de l’Europe les politiques retenues à Doha peuvent conduire en définitive à des accroissements d’émissions plutôt qu’à des diminutions. En effet, une grande discussion a eu lieu au Qatar concernant ce que l’on nomme l’air chaud c’est-à-dire la réduction d’émissions qui a eu lieu surtout en Europe à la suite de l’effondrement de l’Union soviétique. Ce bouleversement a non seulement entraîné les changements politiques que l’on sait mais a également donné lieu au remplacement des appareils de production. Ceux-ci étaient à l’époque soviétique excessivement polluants et émetteurs de CO2. Or il a suffi de remplacer ou de réduire cette infrastructure pour obtenir une réduction d’environ 30% d’émissions de CO2 dans les pays de l’Est. Cependant, les obligations de réduction pour tous les pays liés par le protocole de Kyoto démarrent à partir de 1990 date à laquelle l’appareil industriel de l’ère soviétique fonctionnait encore. Il s’en suit que tous les pays de l’ancienne orbite soviétique et notamment les pays de l’Est Européen possèdent maintenant des surplus de réduction considérables par rapport à leurs obligations de Kyoto. Selon le protocole, ces surplus sont monnayables en certificats qui peuvent contribuer pour ceux qui les achètent à couvrir les restrictions auxquelles ils sont soumis. Or les pays en développement ont critiqué l’existence de cet « air chaud » dont l’achat n’est lié à aucune diminution réelle et qui de plus représente une concurrence déloyale pour la vente de leurs propres certificats de réduction qui recouvrent eux des efforts de reforestation ou de recours à des processus industriels moins producteurs de gaz à effet de serre. Or Doha tout en ne supprimant pas cet air chaud encourage néanmoins les pays industriels à ne pas l’acheter ce que plusieurs d’entre eux se sont engagés à faire (comme l’Union européenne, la Suisse, la Norvège et le Japon). Ces engagements n’encouragent malheureusement pas les pays de l’Est européen à renoncer aux productions d’énergie encore polluantes qu’ils utilisent encore. Bien plus, une délocalisation industrielle en Pologne due notamment aussi à une énergie meilleure marché produira elle aussi encore plus de gaz à effet de serre.
Ces contradictions et ces effets pervers risquent en fin de compte de saper la légitimité des accords internationaux sur le climat. Déjà les objections des Etats-Unis et de la Russie ont été ignorées. De plus, les électeurs Européens risquent à un moment donné de ne plus supporter d’être les seuls à être soumis à des restrictions et à passer à la caisse. Il est en effet choquant de voir qu’un État comme le Qatar hôte de la Conférence et par ailleurs riche et grand organisateur de manifestations sportives y compris en Europe et qui a un taux d’émissions de CO2 de 31 tonnes par habitant ne soit soumis à aucune obligation. Par contre la France qui en émet six fois moins est soumise aux objectifs contraignants de l’Union européenne. Tout ceci ne signifie rien de bon pour l’avenir de ces grandes négociations internationales et pour des politiques restrictives nécessaires, mais à un niveau beaucoup plus global, pour contenir le changement climatique.
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