Le ségolisme en Poitou-Charentes : une dynamique et ses défis edit
Au-delà des polémiques qu'elle a suscitées, la proposition de Ségolène Royal d'instituer des jurys citoyens afin d'évaluer les politiques publiques a permis de donner davantage d'écho à la notion de démocratie participative. Si l'idée des jurys a été amplement discutée, celle des budgets participatifs est un peu restée dans l'ombre, alors qu'il s'agit de la principale réalisation en la matière de la Région que préside la candidate socialiste aux élections présidentielles.
Un nombre croissant de budgets participatifs ont été mis en place dans le monde, dont une soixantaine en Europe. L’expérience de Porto Alegre constitue la figure de proue de ce mouvement. Si elle a pu séduire des acteurs très divers allant des mouvements altermondialistes à la banque mondiale, c’est qu’elle a su coupler un certain nombre d’ingrédients : empowerment des couches populaires et modernisation de la gestion publique, lutte contre le clientélisme et utilisation de la participation au service de la justice sociale, idéal de transformation politique et dispositif concret susceptible d’être adapté pour d’autres contextes.
Au-delà de ses limites, Porto Alegre a fait école. Ségolène Royal y a puisé en partie son inspiration dans la mise en œuvre du budget participatif des lycées en Région Poitou-Charentes. Pour la troisième année consécutive, la collectivité lui réserve 10% de l’enveloppe qu’elle consacre aux lycées publics. Dans chaque établissement se tiennent deux réunions animées par des animateurs extérieurs, des représentants de l’exécutif régional et des services administratifs, et auxquelles sont conviées les élèves, leurs parents et l’ensemble des personnels des établissements. Lors d’une première rencontre, après une présentation de la démarche, les participants réfléchissent en petits groupes aux projets qui permettraient d’améliorer la vie de l’établissement et chacun de ces ateliers désigne un rapporteur qui présente une synthèse des discussions devant l’assemblée générale. Dans les semaines qui suivent, les services techniques expertisent les propositions en vérifiant qu’elles relèvent bien des compétences régionales, en évaluant leur faisabilité et en chiffrant leur coût. Au cours de la seconde réunion, les participants disposent chacun de dix bulletins à répartir librement entre les projets expertisés, qui sont alors hiérarchisés en fonction du nombre de bulletins obtenus. La Région s’engage à respecter les classements établis et à retenir dans chaque établissement le maximum de priorités ainsi dégagées, dans la limite de l’enveloppe impartie de dix millions d’euros. En 2005-2006, 255 projets ont ainsi pu être financés pour les 93 lycées de Poitou-Charentes, permettant la réalisation d’aménagements et l’acquisition d’équipements améliorant le cadre matériel ou facilitant la vie lycéenne.
En moins de deux ans, le dispositif s’est hissé dans le peloton de tête des expériences les plus dynamiques en Europe. Il est désormais possible de commencer à en mesurer les acquis et d’en cerner quelques défis.
La participation. La participation moyenne aux réunions s’est située en 2005-2006 entre 60 et 70 participants par établissement. Environ 5% des 120.000 personnes conviées se déplacent dans les réunions, un chiffre qui se place dans la fourchette haute des réunions participatives en Europe (avec un taux comparable à celui de Porto Alegre et très nettement supérieur à celui de la plupart des expériences françaises). L’élargissement de la participation reste toutefois un enjeu majeur. En particulier, si le Budget participatif des lycées ouvre des espaces inédits d’expression, une certaine autocensure subsiste au sein des catégories les moins habituées à être entendues (jeunes, ouvriers…), qui sont dans le même temps les meilleurs soutiens de la démarche.
Les effets en terme de citoyenneté. Les évaluations menées montrent que la satisfaction des participants est particulièrement élevée. Le débat collectif permet d’entendre et de mieux comprendre les points de vue de chaque catégorie. Instaurant un espace de parole nettement plus égalitaire que celui des conseils d’établissement classiques, le Budget participatif acquiert un caractère pédagogique souligné par les personnes engagées dans la démarche, parce qu’elle constitue une forme d’apprentissage de la citoyenneté active et qu’elle facilite une meilleure compréhension des mécanismes de la décision publique. Parallèlement, l’institution régionale acquiert une meilleure visibilité au sein des établissements, contribuant à combattre le sentiment d’abandon des citoyens par le politique. Il faut cependant noter que le caractère somme toute restreint de l’engagement demandé jusque-là (une ou deux réunions par an, pour l’essentiel des participants) pourrait limiter la profondeur de cette dynamique si le dispositif n’était pas amené à évoluer.
Les effets en terme de gestion. L’un des effets majeurs du dispositif, qui n’était pas forcément planifié initialement, est de remettre fortement en question les pratiques et les représentations de l’administration régionale, incitée à se moderniser. La prise en compte croissante d’un savoir d’usage et une meilleure réactivité des services régionaux aux demandes qui leurs sont adressées constituent l’une des grandes réussites du Budget participatif des lycées, reconnues à la fois par les participants et par les agents des services techniques concernés. Toutefois, le dispositif génère une charge de travail supplémentaire pour les personnels. Il vient s’ajouter à des procédures déjà calées et bouscule des routines établies dans le fonctionnement des services, tout en poussant à une redéfinition des métiers et à une recomposition des identités professionnelles qui peut être vécue avec une certaine inquiétude. L’un des défis sera donc la capacité des services à intégrer la participation comme un principe essentiel de l’organisation d’une administration publique plutôt que comme une contrainte.
Vers une démocratie participative ? Le budget participatif des lycées rompt clairement avec la majorité des procédures qui existent en France en ce qu’il ne s’en tient pas à une « démocratie de proximité », purement consultative et où les responsables pratiquent l’écoute sélective en organisant un dialogue dont ils tirent les conclusions sans règles du jeu clairement définies. Il donne un pouvoir décisionnel réel aux participants, pour des montants qui sont loin d’être négligeables et pour des projets perceptibles dans la vie quotidienne des lycées. Cependant, notamment du fait des relations tendues entre le Rectorat et la Région, la participation reste cantonnée lycée par lycée et des réunions ou comités participatifs inter-établissements n’ont que rarement été mis en place. Cela limite l’impact d’un dispositif qui n’est pas à même d’interroger directement la répartition des ressources entre les lycées et qui ne peut par conséquent être un instrument au service de la justice sociale. De même, les participants n’ont jusqu’ici que peu eu l’occasion d’influer sur les règles du jeu décidées par l’exécutif régional et n’ont guère eu les moyens de s’organiser de façon plus durable au-delà des réunions avec l’administration régionale. C’est en s’affrontant résolument à ces divers défis que le Budget participatif du Poitou-Charentes pourra montrer jusqu’à quel point la dynamique d’ores et déjà engagée est susceptible de s’approfondir, et jusqu’où la démocratie participative et la démocratie représentative sont susceptibles de se renforcer mutuellement.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)