Europe : la norme contre la politique ? edit
L'Europe a fait le choix d'être une communauté de droit et un de ses principaux moteurs est l'activité législative. Mais c'est aussi le domaine où sa légitimité est le plus contestée. Cela tient notamment aux différences entre le temps du droit et celui de l'action politique classique.
Un des vecteurs privilégiés de l'action européenne est de produire des normes. C'est aussi le domaine où sa légitimité est le plus contesté : peu de voix s'élèvent quand il s'agit d'allouer des fonds pour les programmes de recherche ou même pour ce qui concerne les fonds structurels. En revanche, l'activité normative - les directives de Bruxelles - est souvent présentée comme le sommet de la technocratie. Il est à cet égard instructif de comparer la situation européenne à la situation française.
Constatons d'abord que le temps européen est un temps long, si on le compare à la rapidité avec laquelle on adopte des paquets législatifs nationaux. Une directive s'inscrit dans un programme législatif de long terme et n'aboutit qu'après plusieurs années. Le texte européen résulte d'une initiative de la Commission préparée par de larges consultations (livre vert, livre blanc). Puis le texte est discuté par les Etats membres - le Conseil - et par le Parlement. Ce dialogue peut prendre plusieurs années, le texte initial étant profondément amendé en fonction des compromis acceptables politiquement. C'est au prix d'une lente maturation législative que le Parlement et le Conseil adoptent un texte.
Au niveau européen, 94 directives ont été adoptées en 2005, 142 en 2006 et 76 en 2007 alors que l'adaptation des textes européens à l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie nécessitait l'adoption de nombreuses directives modificatrices pour des raisons linguistiques ou techniques.
Par contraste, rappelons que pour la France par exemple, le volume des lois a décuplé en 40 ans et doublé au cours des 15 dernières années. On évalue à 10 % des articles d'un code créés, modifiés ou abrogés chaque année mais que ce chiffre monte à plus de 37% pour le code général des impôts pour les années 2005 et 2006. Il est possible pour une majorité parlementaire d'adopter des mesures dans l'urgence et d'adopter de grande lois fondatrices sur un même sujet plusieurs fois par an si le besoin s'en fait sentir. La France peut-elle encore se prétendre cartésienne ? Le Discours de la méthode, pour mémoire, commence ainsi... " Et comme la multitude des lois fournit souvent des excuses aux vices, en sorte qu'un Etat est bien mieux réglé lorsque, n'en ayant que fort peu, elles y sont fort étroitement observées. "
Les deux approches sont donc radicalement opposées : côté français, un volontarisme politique qui se traduit souvent par l'adoption d'un texte quitte à ce qu'il soit modifié avant même sa pleine entrée en vigueur. Par exemple, la loi pour le " développement de la concurrence au service des consommateurs " adoptée en décembre 2007 sera modifiée par des dispositions de la loi " de modernisation de l'économie " dont l'adoption est prévue en juillet.
Côté européen, la lenteur des négociations entre Etats et entre institutions a comme corolaire la difficulté de faire bouger un compromis une fois celui-ci acquis. Est-ce pour autant une absence de politique européenne ?
Certainement pas dans la mesure où les textes qui résultent du dialogue politique entre le Parlement et le Conseil modèlent le quotidien des européens et dessine la société européenne. Par exemple, la proposition de directive sur la protection des sols a été soumise en septembre 2006 par la Commission. Cette directive vise notamment à imposer le nettoyage de plus de 500 000 sites gravement pollués en Europe. Une fois adoptée, la directive aura assurément un impact direct sur le quotidien de nombreux citoyens. Mais le processus prendra du temps ; seule la première lecture est achevée au Parlement. Ce temps du législateur européen est celui du Parlement et du Conseil, c'est un temps politique.
Mais il est aussi incontestable que le développement d'une législation sur plusieurs années, basée sur des compromis n'est pas très vendable : ceux qui ont négocié - les gouvernements - reviennent rarement devant leurs opinions publiques pour faire une pédagogie européenne des textes adoptés. Ils sont, au mieux, portés à présenter le compromis comme le meilleur possible. Piètre explication qui ne peut être comprise par l'opinion non comme la victoire du projet européen mais bien comme la défaite de la position nationale.
Le processus européen n'est compatible ni avec le temps médiatique, ni même avec le temps politique mesuré à l'aune des rythmes électoraux. Mais c'est le prix à payer pour un véritable débat, une appropriation des enjeux par tous les Etats membres et par les parlementaires, représentants élus des citoyens européens. Si cette lenteur politique est le gage du développement d'une production législative durable, elle ne mérite pas d'être sacrifiée au profit d'une loi jetable. N'est-ce pas au contraire une garantie démocratique essentielle pour l'Europe qu'elle soit à l'écoute des représentants élus des citoyens de tous les pays qui la composent ? Reste à trouver les moyens pour qu'une fois le texte adopté, les acteurs du jeu législatif défendent la position européenne devant leurs opinions.
Vous avez apprécié cet article ?
Soutenez Telos en faisant un don
(et bénéficiez d'une réduction d'impôts de 66%)